Laurent Poitrenaux – Portrait par Marie-Laure Atinault
Posté par angelique lagarde le 24 juillet 2010
Laurent Poitrenaux dans Un Mage en Eté © Christophe Raynaud De Lage
Laurent Poitrenaux 1er, Roi du Festival d’Avignon 2010
Acteur protéiforme, il a la classe d’un gentleman cambrioleur de tous les cœurs. Il est l’homme lige du tandem Cadiot-Lagarde. Laurent Poitrenaux relève tous les défis avec la virtuosité d’un danseur étoile, d’un magicien, d’un Roi.
Depuis quelques années, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, co-directeurs du Festival d’Avignon, ont eu la bonne idée de placer chaque édition du Festival sous le regard d’un artiste associé. Pour cette 64ème édition, il y eut deux lauréats : Christophe Marthaler et Olivier Cadiot. Nous aurons un silence compatissant sur les spectacles présentés par Marthaler qui nous avait habitués à plus de rigueur.
Qui dit Cadiot dit Lagarde, ajoutez-y Poitrenaux et c’est un axiome, une formule mathématique. Chacun a sa place définie pour la meilleure résolution des problèmes, offrant une équation souvent géniale. Olivier Cadiot écrit, Ludovic Lagarde met en scène et Laurent Poitrenaux joue. Ce triumvirat du talent nous enchante avec trois spectacles, trois ambiances : une pièce chorale sur les malheurs d’un roi en exil, Un Nid pour quoi faire, une lecture du Cantique des Cantiques et un solo époustouflant du comédien, Un Mage en Eté.
N’appelez pas Laurent Poitrenaux majesté, ça l’énerve. Appelez-le sire. Dans Un Nid pour quoi faire, il interprète un roi qui s’ennuie au milieu de sa cour en exil. Le texte de Cadiot est un roman touffu que Ludovic Lagarde a coupé pour en faire un huis clos. Quand on voit cette cour vivre, on hésite entre les colonies de vacances pour « people » à Gstaad et un stage de survie commenté par Stéphane Bern. Le début du spectacle est formidable car Cadiot et Lagarde savent habilement utiliser la voix-off, créant un univers sonore à la fois suave et dérangeant. Laurent Poitrenaux est un roi d’opérette, avec un humour de potache qui sait faire craquer les limites. Grande silhouette, parfois un peu voutée, Laurent Poitrenaux joue avec son corps pour créer des attitudes inouïes. Il ne faut pas rater le retour d’une descente en luge de son altesse. Pierre Baux d’une placidité et d’un mutisme qui confine à l’excellence et Valérie Dashwood en secrétaire plus princière qu’une Miss Moneypenny qui attend son James Bond se font les partenaires naturels du roi.
Un moment inouï de poésie et d’amour sacré.
Le Cantique des Cantiques est l’un des plus beaux textes sur l’amour et le désir. Les images poétiques pour parler de l’être aimé sont étonnantes de verdeur, d’imagination. Ce chant d’amour aux origines bibliques est un poème enivrant. Ce livre sacré est attribué à Salomon et la légende prétend qu’il l’écrivit lorsqu’il se maria à la fille de Pharaon. Divisé en huit chapitres, c’est un dialogue entre l’époux et l’épouse. Tantôt roi et reine, tantôt berger et bergère, il prône la fidélité et le mariage spirituel. Alain Bashung avait demandé à Rodolphe Burger de mettre en musique Le Cantique des Cantiques lorsqu’il se maria avec Chloé Mons. Rite religieux, musique et amour sont magnifiés par ces talents.
Olivier Cadiot en propose une nouvelle traduction, Rodolphe Burger (avec lui le triumvirat peut se transformer en quatre Mousquetaires !) compose une musique inédite et bien sûr les textes sont confiés à Laurent Poitrenaux et à la magnifique Valérie Dashwood. Le spectacle ne sera donné que deux fois au Temple Saint-Martial. Les trois musiciens, Rodolphe Burger, Julien Perraudeau et Mehdi Haddad jouent en contrepoint avec les comédiens, officiellement récitants mais tellement plus. Le texte est simplement posé devant eux sur un chevalet, mais il se passe ce petit quelque chose qui fait que ce moment devient mémorable. L’ivresse des mots et les voix à l’unisson des comédiens nous émeuvent. Laurent Poitrenaux exalte le verbe, sculpte ces phrases venues du fond des âges qui nous enthousiasment par leur liberté, leur suave sensualité. Il est l’amant, le bien aimé. Valérie Dashwood est l’amante, la maîtresse, le temple de l’amour. La puissance de ce spectacle tient dans sa simplicité mise en valeur par la musique envoûtante de Rodolphe Burger. Le récit incantatoire comme une antienne qui vous prend au cœur est d’une beauté enivrante.
Un Mage en Eté est le point d’orgue de ce festival.
Depuis Le Colonel des Zouaves (1987) le trio infernal nous avait catapultés dans une autre forme de seul en scène. Et cet équilibriste du texte qu’est Laurent Poitrenaux nous avait laissés ébaudis par son incroyable composition. Sans trahir un secret de polichinelle, Olivier Cadiot aime les monologues et il faut constamment que Ludovic Lagarde bataille pour demander à créer plus de personnages. Le Festival d’Avignon fut l’occasion de faire revenir « le monologue par la fenêtre » comme le dit si bien l’auteur. Un air frais, celui de la légèreté de l’invention souffla, enfin.
Raconter Un Mage en Eté, il n’en est pas question. Peut-on retransmettre l’importance d’un son qui est travaillé, un bruit qui se perçoit comme le battement d’ailes d’un papillon ? Peut-on expliquer le charme du temps suspendu entre mythe et réalité ? Le verbe de Cadiot est comme un elfe chevauchant le vocabulaire le plus simplement fantaisiste. Il écrit, il rêve, il voyage en une seconde d’éternité pour se retrouver dans des situations d’une drôlerie parfaitement incongrue. La partie de golf philosophique est un sommet du genre. Les trois magiciens (Olivier Cadiot, Ludovic Lagarde, Laurent Poitrenaux) réunis autour d’un grand chaudron pour préparer la potion du spectacle le plus élégant, le plus onirique qui soit, ont soupesé chaque condiment spectaculaire. Les lumières nous hypnotisent, les sons mettent nos oreilles aux aguets et le jeu supérieurement inspiré de Laurent Poitrenaux nous émerveille. Immobile au milieu du plateau, ce Mage de l’ineffable nous fascine. Ô temps suspends ton vol. Il semble immobile mais sa voix, ses intonations, ses manières d’athlète, de fildefériste qu’il a de jouer de son apparente fixité, sont un leurre pour mieux nous convier à ce voyage suspendu dans les airs et le temps. Un moment spatio-temporel de pure folie douce. Le charme des situations et l’humour de la narration procurent un plaisir délicieusement extatique. Les pirouettes immobiles et les cascades verbales du comédien nous poussent à écouter et à plonger au cœur du texte du poète et de l’excellence. Oui, décidément Laurent Poitrenaux est le roi magique qui règne sur Avignon.
Marie-Laure Atinault
Encore à l’affiche :
Un Mage en Eté
Festival d’Avignon
Opéra Théâtre
Place de l’Horloge
84000 Avignon
Réservation au 04 90 14 14 14
Site : www.festival-avignon.com