Antigone, mise en scène de Satoshi Miyagi au Festival d’Avignon par Angélique Lagarde
Posté par angelique lagarde le 26 juillet 2017
Antigone
De Sophocle
Traduction de Shigetake Yaginuma
Mise en scène de Satoshi Miyagi
Avec Asuka Fuse, Ayako Terauchi, Daisuke Wakana, Fuyuko Moriyama, Haruka Miyagishima, Kazunori Abe, Keita Mishima, Kenji Nagai, Kouichi Ohtaka, Maki Honda, Mariko Suzuki, Micari, Miyuki Yamamoto, Moemi Ishii, Momoyo Tateno, Morimasa Takeishi, Naomi Akamatsu, Ryo Yoshimi, Soichiro Yoshiue, Takahiko Watanabe, Tsuyoshi Kijima, Yoji Izumi, Yoneji Ouchi, Yu Sakurauchi, Yudai Makiyama, Yukio Kato, Yuumi Sakakibara, Yuya Daidomumon et Yuzu Sato
Vu au Festival d’Avignon, programmé à la Cour d’honneur du Palais des Papes du 6 au 12 juillet à 22h
Tournée à venir
Poétique de la scène
Il y a deux ans, le metteur en scène japonais Satoshi Miyagi avait stupéfait le public du musée du quai Branly, puis du Festival d’Avignon avec son Mahâbhârata sublimé par le décor naturel de la carrière de Boulbon. Il revient cette année avec Antigone en spectacle d’ouverture du Festival. Si le choix des éléments étonne et le jeu déstabilise le spectateur occidental, Satoshi Miyagi n’a pas son pareil dans la maîtrise de l’esthétique et le croisement des disciplines pour créer des tableaux d’une grande poésie.
Rappelons brièvement le propos d’Antigone. Fille d’Oedipe et Jocaste, sœur Ismène, Antigone est anéantie par le chagrin d’apprendre que ses deux frères Etéocle et Polynice viennent de s’entretuer et surtout, révoltée que Créon, dirigeant de Thèbes refuse la sépulture à Polynice, ennemi de la cité. Promise à Hémon, fils de Créon, elle sacrifie son amour et sa propre vie pour rendre les honneurs à son frère.
Satoshi Miyagi avait crée une première version du spectacle en 2004, mais il a choisi pour le Festival d’Avignon, et au regard des circonstances géopolitiques actuelles de plus plus axer sa mise en scène sur la figure d’Antigone. Selon lui, Antigone représente parfaitement celle qui ne juge pas « amis » et « «ennemis », c’est à dire qu’elle n’a pas de vision manichéenne des êtres comme dans les religions monothéistes, mais les pense variables comme dans le bouddhisme.
Pour « apprivoiser » la Cour d’honneur, et exploiter au mieux son mur immense, le metteur en scène s’est inspiré du wayang kulit, théâtre d’ombre indonésien. C’est une technique qui a inspiré nombre de marionnettiste. À titre d’exemples, au Festival Villeneuve en Scène La compagnie Jeux de Vilains avec son Mahâbhârata a offert un très bel exemple de cette pratique, tout comme dans le Off, le Teatro Gioco Vita, référence en théâtre d’ombre qui a su adapter cette technique au jeune public dans Moun. Dans le wayang kulit le spectateur peut se déplacer au cours de la représentation pour voir le spectacle, soit du côté de l’écran où sont projetées les ombres, soit derrière où se trouvent les manipulateurs et musiciens. Pour Antigone, Satoshi Miyagi nous place derrière, du côté des figures, qui en l’occurrence ici sont des acteurs bien vivants, mais avec cette même particularité qu’en marionnette : voix et corps sont dissociés comme dans le bunraku japonais.
Chaque scène offre un tableau d’une immense poésie. Les deux éléments qui ont réellement étonné puis séduit l’assistance sont les tenues d’un blanc immaculé et la présence de l’eau. Le metteur en scène explique ses choix de mise en scène par les croisements qu’il a pu faire entre la mythologie grecque, le théâtre Nô japonais et les croyances bouddhistes. Pour les Grecs anciens comme dans le bouddhisme, l’eau est la frontière entre le monde des morts et celui des vivants. Au Japon, le blanc est la couleur des morts et une pièce de théâtre Nô et jouée par des « morts ». Un moine vient voir les âmes errantes et leur propose de jouer un spectacle, celles qui ont un grand remords restent en surface et doivent rejouer le moment le plus regrettable de leur vie pour être apaisées. Cette vision d’une frontière poreuse entre les vivants et le monde des esprits confère à la mise en scène de Satoshi Miyagi cette atmosphère quasi mystique, surnaturelle, que l’on peut relier à l’esthétique japonaise en peinture comme en cinéma. Ajoutons à cela, comme nous l’avions tant apprécié dans son Mahâbhârata, la présence des musiciens sur scène, et une chorégraphie des mouvements d’une extrême précision.
La mise en scène de Satoshi Miyagi fait la passerelle entre les cultures. Nous ne savons si l’âme d’Antigone est apaisée, mais en revanche nous sommes certains de la perfection esthétique des tableaux, et d’un profond sentiment de bien-être à l’issu de la représentation. Antigone est un spectacle bénéfique !
Angélique Lagarde
Site officiel du Festival d’Avignon : www.festival-avignon.com