2666 à l’Odéon – Ateliers Berthier par Marie-Laure Atinault

Posté par angelique lagarde le 17 septembre 2016

2666 © Christophe Raynaud de Lage

2666 © Christophe Raynaud de Lage

2666
D’après le roman de Roberto Bolaño
Adaptation et mise en scène de Julien Gosselin
Avec Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé, Adama Diop, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc, Frédéric Leidgens, Caroline Mounier, Victoria Quesnel et Tiphaine Raffier
Création vue au Festival d’Avignon
À L’Odéon – Ateliers Berthier jusqu’au 16 octobre

L’époustouflant voyage de Julien Gosselin

La compagnie Si vous pouviez lécher mon cœur fut la révélation du Festival d’Avignon 2013 avec la mise en scène de Julien Gosselin des Particules élémentaires d’après le livre de Michel Houellebecq. Le retour de l’équipe avec l’adaptation de 2666 d’après le roman de Roberto Bolaño était très attendu. Une attente récompensée par un spectacle de plus de 11heures. Un véritable marathon, passionnant, époustouflant.

2666 à l’Odéon – Ateliers Berthier par Marie-Laure Atinault dans Festival Avignon trans

Il fallait trouver une œuvre qui puisse enthousiasmer l’équipe pour poursuivre leur aventure artistique commencée au théâtre du Nord de Lille, alors sous la direction de Stuart Seide. Julien Gosselin, lecteur compulsif a découvert le roman de l’auteur Roberto Bolaño et a su qu’il allait le mettre en scène.

Roberto Bolaño est né à Santiago du Chili en 1953. Il a vécu à Mexico, à Barcelone, puis après plus de 25 ans passés à l’étranger, il est rentré au Chili. Ses nombreux déménagements se ressentent dans son œuvre. Il est mort en 2003 terrassé par une maladie hépatite. Il a laissé une œuvre importante peu connue en France, quoique l’ensemble de son œuvre soit traduit. 2666 a été publié en France après le décès de l’auteur. Ce qui devait être cinq livres distincts devint un gros volume ; un ouvrage de plus de mille pages que Julien Gosselin a dévoré. Il a trouvé une œuvre d’une importance qui dépasse les clivages. Un roman monde.

Les histoires qui nous sont racontées nous entraînent dans un parcours étonnant. Au début, nous avons l’impression de suivre un film policier. Quatre universitaires européens cherchent à rencontrer le grand et mystérieux auteur allemand Benno von Archimboldi, que personne n’a pu voir. Leur périple a tout de la quête du Graal, un parcours semé d’embûches, de déception et de révélation.

2666 © Christophe Raynaud de Lage

2666 © Christophe Raynaud de Lage

Le spectacle est divisé en cinq parties. Le spectateur est à la fois séduit, parfois un peu perdu mais il ne lâche pas prise. La mise en scène et les comédiens impriment un tel mouvement que nous sommes comme des globe-trotters voyageant dans un univers à la fois familier et fantasque.

Lors du périple, nous touchons une réalité d’une cruauté révoltante. Nos universitaires se retrouvent au Mexique à Santa Teresa. Cette ville apparemment paisible est en réalité le théâtre de crimes horribles : des femmes sont enlevées, torturées, violées et tuées. Parfois on retrouve leur corps dans le désert sans que cela semble émouvoir les pouvoirs publics. Le journaliste Fate, venu de New York pour couvrir un match de boxe (ce qui n’est pas sa spécialité) apprend la sinistre affaire des femmes assassinées. Il décide d’enquêter, lui aussi va rencontrer des personnes, qui telles les cailloux du Petit Poucet sont des indices. Mais quelle alchimie peut relier les morts atroces des jeunes femmes à Santa Teresa, les quatre universitaires, et Rosa Almalfitano, Klaus Hass, Tate et Hans Reiter ? Jeu de piste, puzzle monumental, la révélation nous laisse pantois d’admiration.

La multiplication des lieux, des personnages et des histoires qui semblent n’avoir aucune connexion entre elles nécessite un maître d’œuvre. Julien Gosselin organise, crée des espaces, des modules de vie, de narration. On retrouve la patte de la compagnie, avec les titres projetés sur un écran, l’utilisation des micros et la maîtrise de la vidéo.

Le décor est constitué de modules comme de grands vivariums. Ce sont des boîtes rectangulaires montées sur roulettes. L’équipe technique émérite, pousse, tourne, avance, créant mille espaces. Les espaces deviennent salon, commissariat, hôtel. Il y a ce que nous voyons sur l’écran et ce que nous voyons sur scène. Fascinant de voir l’impact de la caméra et ses moments choisis, morcelés  créant une autre vision. La scène de la boîte de nuit entre autre, est un cas d’école car nous croyons en voyant l’image être dans une boîte enfumée, pleine à craquer de dizaine de danseurs. Julien Gosselin s’approprie tout l’espace se servant des couloirs, des coulisses du théâtre.

2666 © Christophe Raynaud de Lage

2666 © Christophe Raynaud de Lage

Ici tout est théâtre, nous sommes immergé dans un voyage au cœur d’un roman, de ces histoires qui se mêlent s’emmêlent sans que nous comprenions où nous allons atterrir. Comme les universitaires, nous allons de Londres à Barcelone, de Barcelone au Mexique à la recherche de cet écrivain mystérieux, mythique. L’intérieur des boîtes est meublé, changé et cela fonctionne à chaque fois. Les lumières, les tubes de néons, le jeu des caméras et de la vidéo ainsi que la musique omniprésente créent une ambiance qui déconnecte les spectateurs de leur réalité pour les plonger dans un monde cru, dur.

Le spectateur rit, palpite, s’inquiète pour les protagonistes. Des sentiments forts nous bouleversent, nous révoltent. Nous rions en voyant  cet homme qui affirme avoir vu Benno Von Archimboldi. Il  témoigne par le biais de la vidéo. Affabulateur ? Vincent Macaigne fait une apparition filmée des plus réussies comme une guest star.

Mais cette quête est une fuite en avant, un parcours initiatique pendant lequel, ils vont se découvrir eux-mêmes. On cherche la source du mal. Évidemment, nous assistons à des scènes difficiles. Difficile de ne pas sauter sur le plateau pour ordonner au flic macho de se taire. Difficile d’écouter et de voir la liste des noms des femmes assassinées et de supporter cette litanie.

L’une des grandes réussites du spectacle est d’avoir gardé la spécificité du roman. On aimerait en sortant pouvoir acheter le livre de Roberto Bolaño. Il faut souligner le bien que Julien Gosselin fait aux maisons d’édition ! Il faut parler du son, des voix des comédiens, ils jouent, ils récitent, ils commentent comme les chanteurs d’un oratorio d’un opéra baroque. Les comédiens sont tous exceptionnels de Guillaume Bachelé à Frédéric Leidgens, à Adama Diop, un nouveau venu qui campe Fate. Les comédiennes sont fabuleuses, nous retrouvons la ravissante Victoria Quesnel, la pathétique Thiphaine Raffier, Noémie Gantier et son élégance détachée, et Caroline Mounier et sa force incantatoire.

2666 est un spectacle qui fera date. Les spectateurs restent jusqu’au bout, passionnés, « scotchés » par ce spectacle fleuve qui est un véritable voyage.

Marie Laure Atinault

Théâtre de l’Odéon – Ateliers Berthier
8 boulevard Berthier
75017 Paris
Réservations au 01 44 85 40 40

 

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