Retour sur le Festival Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes par Angélique Lagarde et Benoit Fortrye
Posté par angelique lagarde le 25 septembre 2015
Charleville-Mézières, vitrine de la marionnette contemporaine
Le programme de ce 18ème Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes nous est apparu aussi éclectique dans ses formes qu’exigeant dans ses réalisations. Et si la dimension populaire de cette nouvelle édition est moins apparente, elle est tout de même ancrée dans les fondations du festival et promue par la large participation de bénévoles locaux à l’organisation et à l’accueil des artistes, la gratuité des propositions du Festival Off et l’inventivité des spectacles de rue, bien que restreints en nombre. Saluons également la mixité artistique de l’évènement qui permet d’apprécier le travail de compagnies reconnues à l’échelle internationale, « habituées » du festival, comme de découvrir les talents de demain.
Le spectacle d’ouverture place Ducale, Transe Express de la compagnie Mù – cinématique des fluides, s’est avéré à l’image du festival, d’une grande créativité mais quelque peu rigide et compliqué à mettre en place. En revanche, la compagnie associée Les anges au plafond a su émerveiller les spectateurs qui n’avaient pas encore eu la chance de découvrir son panel de savoir-faire avec notamment Une Antigone de Papier, Camille Trouvé se réappropriant le théâtre de papier, et Au fil d’Œdipe, Brice Berthoud nous offrant une véritable leçon de manipulation. Le second artiste invité, Duda Paiva, moins éclectique dans le choix de ses supports a néanmoins su, avec sa dernière création Blind, séduire certains spectateurs par son travail de chorégraphie et manipulation de poupée ou autres formes en mousse, en dépit de la pauvreté du propos. Les afficionados de l’artiste ont également pu apprécié l’exposition photographique de Petr Kurecka, Puppet Fiction à la Gare SNCF qui métamorphose sa marionnette Diva Porshia en star du grand écran par le détournement d’affiches de films (et pour les plus férus, un calendrier des affiches était mis en vente par l’artiste à l’issue des représentations !).
La multiplicité des formes et des cultures
L’un des points forts du festival est de rassembler la fine fleure de la discipline à l’échelle internationale et il faut avouer que cette édition ne nous a pas laissé en reste. De nouveau invités, les anglais de la compagnie Green Ginger nous ont offert un moment d’exception avec Outpost une fable géopolitique sur la notion de frontière et la gestion d’un territoire ; un grand classique certes, mais plus que d‘actualité et extrêmement bien traité que ce soit par le texte à l’humour so british, la manipulation, le jeu ou l’incroyable scénographie. Une compagnie à voir absolument ! Habitué de la programmation, le Teatro Gioco Vita était très attendu par les carolomacériens fidèles du festival et amateurs de bel ouvrage. La compagnie italienne du metteur en scène Fabrizio Montecchi, spécialiste du théâtre d’ombre, en partenariat avec le Théâtre de Bourg-en-Bresse, nous a offert deux propositions très diverses mais de qualité égale. Le Ciel des ours d’après l’œuvre de Dolf Verroen et Wolf Erlbruch a su emmener les tout petits par sa dimension à la fois onirique et pédagogique, tandis le public adulte s’est laissé envoûté par l’histoire de ce pêcheur devenu fou d’amour dans Femme de Porto Pim d’après la nouvelle d’Antonio Tabucchi, porté par l’excellent Tiziano Ferrari.
Le Festival est aussi une occasion unique de découvrir ou redécouvrir des formes ancestrales telles que le Bunraku que l’on emploie aujourd’hui pour décrire la marionnette portée, à taille humaine, et manipulée à vue, mais qui tient ses origines du Japon dans une tradition née au 17ème siècle qui perdure encore aujourd’hui. Ainsi, la compagnie japonaise Hitomiza Otome Bunraku dans La scène du pont Modori nous a donné à voire une fabuleuse démonstration d’Otome Bunraku, c’est-à-dire de Bunraku manipulé par des femmes, ce qui est autorisé par les maîtres de la discipline seulement depuis les années 1930. La représentation d’une scène tirée de la légende du démon Shuten Doji, interprétée par deux marionnettistes et illustrée par la voix d’un récitant, fut suivie d’une présentation très instructive des techniques de manipulation des marionnettes.
Une autre technique, datant elle du 19ème siècle, resurgit sur la scène marionettique depuis les années 1980 : le théâtre de papier. Ainsi, le festival a accueilli les 11ème Rencontres Internationales de Théâtres de Papier créées et portées par Alain Lecucq de la compagnie Papierthéâtre avec un programme autour de la mémoire et des souvenirs. Étaient programmées notamment, les dernières créations de la compagnie Noir ou Blanc et Histoire Fragile du Théâtre de Papier que nous avions déjà saluées lors du Festival d’Avignon Off, et des propositions du monde entier. La compagnie mexicaine Badulake a retenu notre attention avec Geni, la última tentación de los dioses inspiré de la chanson de Chico Buarte Geni et le Zeppelin délicatement mis en scène et interprété par la comédienne et manipulatrice Ainé qui utilise notamment la technique du Pop up.
Des créations prometteuses
De nombreuses créations sont venues ponctuer cette 18ème édition avec notamment, celle de Gisèle Vienne, très attendue par le public et les professionnels, The Ventriloquists convention. Probablement pas le spectacle le plus accessible de la programmation, il est néanmoins de ceux qui restent en mémoire. Écrit par Dennis Cooper en collaboration avec les marionnettistes, il restitue une rencontre internationale de ventriloques qui se tient véritablement chaque année dans le Kentucky, mais se fait surtout prétexte à une étude psychologique de l’interaction entre le ventriloque et le pantin, exutoire de ses névroses. Si la forme est déroutante, il faut saluer le jeu des interprètes : Jonathan Capdevielle et Uta Gebert issus de la même promotion de l’École Nationale Supérieure des Arts de la Marionnette (ESNAM), en passe de devenir des figures de proue de la discipline, et sept marionnettistes du Puppentheater de Halle en Allemagne, autant dire, l’un des fleurons de la marionnette contemporaine. En somme, une création à voir absolument, en octobre au Centre Pompidou, en novembre et décembre au Théâtre Nanterre-Amandiers, puis en tournée en France et Europe.
La compagnie belge Point Zéro est de celles qui ont aujourd’hui dépassé le spectre du public conquis par la marionnette pour atteindre une audience plus large, grâce entre autres, à sa présence toujours saluée par la critique et les spectateurs au Festival d’Aignon Off. Après Les Trois Vieilles et L’École des Ventriloques d’Alejandro Jodorowski, le metteur en scène Jean-Michel d’Hoop a choisi pour sa nouvelle création un texte de Thomas Gunzig, Borgia, comédie contemporaine. La pièce ne traite absolument pas du clan des Borgia comme son nom pourrait l’indiquer mais des affres d’une jeune fille « différente » qui a du mal à trouver sa place au sein de sa famille, ou plutôt de « ses » familles. Jeu, manipulation et vidéo s’entremêlent pour nous livrer ce nouvel opus, absurde, dérangeant et fascinant, à découvrir !
Nous avions découvert la compagnie Bagages de sable en 2011 avec Hôtel de Rive / Giacommeti mis en scène par le marionnettiste Franck Soehnle. Les Deux vieilles Dames de Toon Tellegen réunit à nouveau le marionnettiste allemand à la mise en scène et à la création des marionnettes, et Patrick Michaëlis à la conception et au jeu. Sur scène, ce dernier est accompagné par les comédiens Gilles Ronsin et Zbigniew Horoks, et le manipulateur virtuose Christian Glötzner. Hormis quelques longueurs qui devraient se dissiper au fil des représentations, cette création prometteuse nous emmène joyeusement dans un univers absurde ou trois hommes interprètent ces deux vieilles dames avec dérision et bienveillance.
Autre création, Il faudra bien un jour que le ciel s’éclaircisse de la compagnie française Sans Soucis a démontré une belle maîtrise scénographique de la marionnette sur un grand plateau. Adapté du roman graphique Les Enfants Pâles de Loo Huiphang et Philippe Dupuy, la pièce retrace le parcours d’un adolescent qui, tel le joueur de flûte de Hamelin, va guider un groupe d’enfants à travers la foret pour fuir un monde en perdition où les parents doivent sacrifier leurs enfants pour ne pas leur faire subir la misère et la faim. Si le jeu mérite encore quelques ajustements, la manipulation et la maîtrise de l’espace confèrent une formidable dimension scénique à la représentation. À suivre…
Notre sélection de spectacles ne révèle bien entendu qu’un aperçu de la riche programmation de cette édition qui compte également la présence de l’institut International de la Marionnette (IIM) avec de nombreuses représentations présentant le travail des diplômés et une très belle exposition, ESNAM, La marionnette : une école d’art dans la ville, Vitrine des Ardennes. Notons également un autre moment fort qui, chaque année, permet d’avoir un regard sur la création, Les « À-venir » (en entrée libre sur réservation) coordonnés par THEMAA, Association nationale des Théâtres de Marionnettes et des Arts Associés qui proposent 12 présentations de créations par un collectif de 25 structures dédiées aux arts de la marionnette. Et évidemment, même si nous n’avons eu le temps de la parcourir, rappelons que la programmation du OFF proposée par la MCL Ma Bohème propose une foultitude de spectacles gratuits à tous les festivaliers.
Une galerie à ciel ouvert
De nombreuses expositions en entrée libre complètent ce panorama de la marionnette contemporaine et deux d’entre elles ont particulièrement retenu notre attention : La Ronde des Ombres proposée par la compagnie Jean-Pierre Lescot au Musée de l’Ardenne, superbe cartographie des origines du théâtre d’ombres et Doll-scenettes par Mariapia Bracchi dans le Hall du Théâtre de Charleville-Mézières, une carte blanche à une artiste à suivre absolument !
Le public peut également flâner sur la place Ducale pour découvrir Les irréels de la compagnie Créature dans leurs quinze cabanes qui sont autant d’odes à l’imaginaire, ou encore se perdre dans les rues, un plus sages cette année mais qui révèlent encore des rencontres insolites comme Les Rats ! ou encore Bira et Bede de la compagnie brésilienne Pigmalio escultura que mexe. Et enfin au coin d’une rue, nous est apparu un nouveau lieu à soutenir Le bateau des fous qui nous a permis de découvrir un extrait de la dernière création de la reine israëlienne du collage Yael Rasooly, Bon Voyage ! et autres mensonges d’après Etgar Keret, que nous avons hâte de voir dans son intégralité en 2017 !
Souhaitons qu’au fil des éditions le festival ne cesse d’offrir à tous, la chance d’explorer le spectre de la marionnette, et ne se réduise à une vitrine de la marionnette contemporaine pour les professionnels et spectateurs avertis. En attendant la réponse dans deux ans, profitez des derniers jours pour vous régaler des spectacles en salle et en rue et des expositions uniques qu’offre le Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes !
Angélique Lagarde et Benoit Fortrye
Pour connaître les dates de tournées des spectacles, cliquez sur les noms des artistes et compagnies (redirection vers leurs sites).