Teatro a Corte édition 2015 par Angélique Lagarde

Posté par angelique lagarde le 31 juillet 2015

Teatro a Corte édition 2015 par Angélique Lagarde  dans Arts du Cirque torino-palazzo-reale-300x198
Le Palais Royal de Turin

Teatro a Corte
Le théâtre européen dans les demeures royales du Piémont
Au Théâtre Astra, sur la Piazzetta Reale et à l’Accademia Albertina de Turin, dans les châteaux d’Agliè, Racconigi, Rivoli et Stupinigi, à la Reggia de la Venaria Reale et à la Villa Reale de Fontanafredda
Du 15 juillet au 2 août 2015

Que dure la Dolce Vita a Torino !

Qu’il est doux de se rendre à Turin pour assister au festival Teatro a Corte, «  le théâtre européen dans les demeures royales du Piémont ». La nouvelle édition a débuté le 15 juillet et se poursuit jusqu’au 2 août, répartie sur trois longs week-ends (du jeudi au dimanche soir). Le deuxième week-end auquel nous avons pris part fut traversé par trois grands axes : le fil de la marionnette, la thématique « Nourrir la planète » de l’exposition universelle qui se tient actuellement à Milan, ville voisine, et la « vitrine » allemande au cœur de cette nouvelle édition, en lien avec l’opération locale « Turin rencontre Berlin ». Sous l’impulsion de son directeur francophile Beppe Navello, la France a eu, une fois encore, une place de choix avec ce week-end une création in situ et une proposition sonore qui se sont particulièrement bien intégrées au paysage piémontais. Néanmoins, honneur à l’Allemagne, notre coup de cœur cette année se porte sur la compagnie Gob Squad, qui par chance tourne beaucoup en Europe, alors surtout restez aux aguets, il serait dommage de manquer ce qu’on peut véritablement appeler… des artistes !

À chaque édition du festival Teatro a Corte, nous saluons le travail de son directeur, Beppe Navello, et de ses programmateurs qui tâchent, en dépit de la crise persistante du secteur culturel en Italie, de donner à voir des spectacles de qualités dans des cadres idylliques. Si les contraintes financières freinent certains projets et notamment la démarche de créations in situ pour lesquelles les compagnies se voient offrir un temps de création plus restreint, de belles fleurs persistent à éclore. Il faut donc continuer à porter notre attention sur ce festival, précieux à l’échelle locale, nationale et internationale.

La marionnette : avec ou sans fil ?

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Intimitäten, cie Meinhardt & Krauss © Benoit Fortrye

Qu’est-ce qui fait marionnette ? La question se pose, se posera encore et s’est placée au cœur de ce second week-end. La compagnie allemande Meinhardt & Krauss a ouvert le bal avec son spectacle Intimitäten. Une femme en crinoline tout droit sortie du 16ème siècle nous propose de parcourir ensemble son intimité… Sous ce préambule aguicheur, un travail basé sur la vidéo nous a laissé un peu pantois. À travers, « le livre » de ses explorations, nous découvrons son corps dans les recoins les plus inattendus, son dos, ses pieds, sa gorge, son oreille… malheureusement l’expédition manque de rythme, la précision du geste n’est pas suffisante pour créer les jeux d’illusion désirés et très vite, nous nous lassons, le voyage semble interminable. Si le projet aiguisait notre curiosité, le résultat apparaît comme un exercice de recherche, une pâle copie de ce que l’on a déjà vue notamment chez le chorégraphe Philippe Découflé, et non une finalité. Gageons que cette proposition n’entache pas la réputation de la compagnie et qu’elle saura nous séduire de nouveau.

Présente-t-on encore le Turak Théâtre ? Michel Laubu, auteur, metteur en scène et scénographe a fondé la Turakie peuplée de ses étranges habitants en 1985. Au fil des années, le pays s’est fait connaître par ses ambassadeurs en France et à l’étranger sous forme de théâtre de marionnettes et d’objets, et d’installations plastiques. Sur les traces du IFTO (le fameux Import’Nawouak Turakian Folklorik Orkr’stars) est l’un des spectacles phares de la compagnie que les italiens ont eu la chance de découvrir pour la première fois. Un orchestre sur le déclin voit ses membres contraints de partir un à un, prétexte à de belles inventions scéniques et musicales. Si l’on ne peut qu’applaudir les interprètes du Turak Théâtre, Michel Laubu en tête, passés maîtres en l’art de la manipulation et capables de créer une véritable complicité entre la marionnette et le manipulateur, l’on regrette que la représentation ne soit pas accompagnée de l’une de leur exposition d’objets éclectiques et insolites. Une jolie introduction, qui nous le souhaitons aura susciter la curiosité des spectateurs piémontais et l’envie de parcourir plus avant ce beau pays de Turakie.

La représentation fut suivie de la projection du film de documentaire de Manuelle Blanc Frank Soehnle, filiation poétique. Ce documentaire s’inscrit dans la collection Maîtres et marionnettes, trois livres films sur la marionnette contemporaine, les deux autres étant consacrés à Neville Tranter et à la Handspring Puppet Company. Le choix de cette projection nous a laissé perplexe, l’allemand Frank Soehnle étant un maître de la marionnette à fil, technique très éloignée du Turak Théâtre. Si le choix de ce documentaire paraissait légitime dans la programmation de ce week-end en partie dédié aux arts de la marionnette, la rencontre thématique initialement prévue en présence des artistes invités et d’un journaliste italien spécialiste du théâtre de marionnettes n’ayant pu être maintenue, cette escapade marionnettique fut un joli préambule mais a probablement manqué de liens pour les spectateurs qui nous le souhaitons poursuivront le voyage.

« Nourrir la planète » : pour le pire et pour le meilleur

Une collaboration entre la fondation TPE qui porte le festival et l’Accademia Albertina di Torino, entendez l’Académie des Beaux Arts, a donné lieu à une installation présentée par les étudiants du cours de scénographie théâtrale et de systèmes interactifs. Intitulé Con-vivium, l’installation sur le thème du banquet a été réalisée en écho à la thématique de l’exposition universelle « Nourrir la planète ». Il ne sera pas nécessaire de s’étendre plus avant sur la forme présentée qui n’est en soit rien de plus qu’une présentation de travaux de fin d’année incluant projections vidéos et tentatives d’interaction dans une approche du thème à la fois très jeune et pourtant très vieillissante. Laissons de côté cette parenthèse estudiantine.

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Vidéo de présentation de l’installation Il falso convitto

Sur la même thématique, une fort jolie et fort maligne création in situ nous a été proposée, Il falso convitto. Au cœur des somptueux jardins de la Venaria Reale, nous avons été conviés à prendre le petit train de la prise de conscience ! Francesco Fassone, scénographe de talent qui avait sublimé en 2012 le décor d’Oncle Vania de Tchekhov en composant un jardin à l’étage du Teatro Astra pour y placer ces « scènes de la vie de campagne », se joint ici au projet d’Alice Delorenzi qui fut à l’époque son assistante. A bord de notre wagon, bavoir au cou, nous assistons alors au scandale de l’importation de matières premières des quatre coins du globe, à l’opéra de révolte des fruits et légumes, au gaspillage de l’eau, au faux discours des marques et à l’accession au trône du roi Mac Donald. Composition d’une rare intelligence, elle sensibilise à la fois sur la thématique « nourrir la planète » et démontre comment, les grandes firmes articulent les rouages de l’industrie agro-alimentaire et par extension, ceux de l’exposition universelle, au grand dam des italiens ! Ingénieux et d’une grande qualité plastique, voici du très bel ouvrage !

La « vitrine » allemande : coup de cœur pour Gob Squad

Si les allemands Meinhardt & Krauss nous ont laissé sur notre faim, la compagnie Gob Squad a su nous apporter un immense souffle de vie ! Groupe d’artistes anglais et allemands, il voyage à travers l’Europe pour nous offrir en pâture notre si éclairée société occidentale. Western Society dénonce l’hégémonie des réseaux sociaux, la vacuité d’une société fondée sur l’image, les dérives du capitalisme, la solitude des occidentaux, la perte des valeurs, la xénophobie en tous genres… et tout cela dans un grand éclat de rire, une farce, une comédie bouffe interactive ! Le compte à rebours commence d’Adam et Eve à aujourd’hui. Nus, ils composent les grandes scènes de l’évolution de la civilisation et de l’histoire de l’Art avec quelques clins d’œil, notamment à François Clouet avec Le Bain de Gabrielle d’Estrées.

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Western Society, cie Gob Squad © Benoit Fortrye

Au commencement, le chaos est représenté sur scène, petit à petit, les interprètes s’habillent et rangent, pour se présenter à nous en talons hauts, strass et paillettes pour un show télévisé délicieusement absurde. Les « présentateurs » nous expliquent qu’ils ont déniché une vidéo sur internet d’un groupe d’individus profitant d’une soirée karaoké. Cette vidéo très peu vue a ensuite eu des milliers de visiteurs suite à l’intérêt de la compagnie et à sa promotion par le spectacle. L’information virale n’aurait donc d’intérêt que par l’ampleur de sa diffusion et non son contenu. L’expérience continue. Sept membres du public seront choisis pour interpréter les protagonistes de cette vidéo ! Angoisse dans la salle… Les sept sont choisis. Ce dispositif crée alors une empathie immédiate pour les « spectateurs acteurs » et par conséquent une adhésion au « programme ». L’écran est placé devant le salon de la famille en fond de scène et la reconstitution du film se fait sous nos yeux.

Si la trame du spectacle n’est qu’un prétexte pour traiter les problématiques de la société occidentale, la nonchalance des interprètes et l’engagement des « spectateurs acteurs » en fait un moment purement jubilatoire ! Trois questionnements récurrents ponctuent la pièce et résument la démarche de la compagnie. « Que fait-on ici ? » interroge tout simplement sur notre place dans la société. Une série de « tu préfères ? » met en exergue l’absurdité des choix que nous pensons avoir. Et enfin, une autre série de « sur une échelle de 1 à 10 ? » dénonce un bonheur quantifiable. Une proposition culottée, des interprètes déjantés, une compagnie à suivre !

In situ : Création, adaptation ou heureux hasard ?

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Urbaphonix, cie Décor Sonore © Michel Lagarde

Particularité du festival Teatro a Corte, la programmation a toujours inclus des créations in situ qui nous ont donné à voir de véritables moments de grâce au fil des saisons. Malheureusement, les baisses de budget croissantes ont réduit les temps d’accueil des compagnies et la finalité des créations en a subi les conséquences. Néanmoins, ces nouvelles contraintes permettent de mettre à jour l’engagement des compagnies et si certaines déçoivent, d’autres créent d’heureux hasard.

La programmation étant dédiée aux arts de la scène dans son prisme le plus large, le festival offre de belles opportunités de découvrir des artistes de tous horizons avec des disciplines récurrentes comme les toujours très attendues danses verticales. Cette année, la compagnie espagnole Delrevés a présenté son spectacle Guateque sur les murs de la Venaria Reale et malheureusement la déception fut au rendez-vous. Elle a simplement posé sa proposition sans aucune conscience apparente de l’espace et ce show acrobatique n’a pas fait mouche. Il est regrettable qu’elle n’ait pas joué le jeu.

La compagnie française Décor Sonore s’est, elle, emparé des rues de la Venaria pour créer son parcours sonore Urbaphonix. Faisant bruit de tout, lampadaires, fontaines, fenêtres… se sont transformés en instruments de musique et la rue est devenue partition. La virtuosité de cette compagnie de rues n’est plus à démontrer, elle nous a brillamment donné à entendre le paysage urbain. Avec un peu d’enthousiasme et d’engagement, la création peut ainsi devenir un jeu à partager, un bel exemple !

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La Fileuse, Compagnie Lunatic © P.Turmel

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Dans une salle du Château d’Aglié, la compagnie associée à l’école Arkè Danza a composé la chorégraphie Italy sur la thématique de la danse et des arts de la table en Italie, des ballets baroques comme Le tabac de Filippo d’Aglie aux musiques populaires. Plus une présentation de fin d’année qu’une véritable création, la proposition s’inscrivait néanmoins très bien dans ce cadre propice et a semblé réjouir le public local.

Enfin, si ce n’était à l’origine une création in situ, nous évoquerons ici la pièce chorégraphique La fileuse de la compagnie française Lunatic qui en un heureux hasard s’est prodigieusement intégrée au cadre du Château d’Aglié. Au cœur d’une structure de fils, sur des textes commandés à Laurence Vielle, Cécile Mont-Reynaud a mis en scène et interprété un pur moment de poésie. Notre week-end s’est achevé alors en ce cadre idyllique des jardins du château sur un banquet introduit par la lecture d’un extrait de Madame Bovary en allemand, italien et français avec notamment le plaisir de retrouver la charmante Maria Alberta Navello que nous avions vu dans l’Oncle Vania évoqué plus haut au Teatro Astra.

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Venaria Reale © Consorzio La Venaria Reale

Les spectacles du troisième week-end devraient encore réserver de belles surprises avec entre autres le très attendu Sacre du printemps de la chorégraphe Kenji Ouellet et le banquet littéraire et gastronomique orchestré par Bruno Franceschini et le chef étoilé Ugo Alciati. Et en avant goût de la prochaine édition, si vos pas vous mène en Italie cet été, nous ne pouvons que vous conseiller de venir découvrir ces superbes demeures royales du Piémont, et notamment la Venaria Reale avec sa Grande Galerie, son jardin des sculptures fluides de Giuseppe Penone, ses expositions et évènements culturels qui rythment tout l’été et l’installation Il falso convitto visible jusqu’en septembre. Nous saluons Beppe Navello et son équipe pour cette détermination à faire vivre Teatro a Corte en dépit des baisses de financement et souhaitons que nombreux soutiennent cette démarche de sincère curiosité artistique et de générosité, si rare, si précieuse.

Angélique Lagarde

Teatro a corte
Renseignements et réservations : teatroacorte.it
(Programme du festival disponible en anglais)

 

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