Hacia la alegria (Vers la joie) de et mis en scène par Olivier Py au Festival d’Avignon
Posté par angelique lagarde le 9 juillet 2015
Vers la joie (Hacia la alegria) © Ros Ribas
Hacia la alegria (Vers la joie)
De et mis en scène par Olivier Py
Traduction espagnole de Fernando Gomez Grande
Avec Pedro Casablanc, Desislava Karamfilova (violon), Petya Kavalova (violon), Stamen Nikolov (Violoncelle), Albert Skuratov (violon) et cinq techniciens intégrés dans la mise en scène
À L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène / Festival d’Avignon du 7 au 14 juillet à 18h
Se perdre pour se sauver
Vers la joie (Hacia la alegria), premier chapitre de Excelsior, roman d’Olivier Py récemment publié, est traversé par les thèmes essentiels de son œuvre : le désir de la beauté, la force de l’art, la transcendance… Le réel le plus concret, l’irrationnel qui anime l’être humain et la métaphysique s’y croisent et s’interpénètrent. Un architecte renommé, comblé d’honneurs, une nuit pris de doute sur la puissance de son art, de son génie de construction, se lance dans une quête de l’absolu. Dans son parcours nocturne à travers la ville il va affronter le désespoir, se dépouiller des illusions, trouver l’apaisement dans le renoncement en parvenant à une spiritualité lumineuse, libre, sans dogme, sans Dieu. Olivier Py crée sur scène un univers captivant, à la fois concret et poétique pour y inscrire la trajectoire intérieure du personnage. Un spectacle bouleversant, un chef-d’œuvre d’intelligence, de simplicité et de profondeur.
À l’origine du spectacle une commande de « Cities on stage » regroupant plusieurs théâtres européens autour du projet, subventionné par l’Union Européenne, ayant pour thème la ville. Vers la joie est une aventure partagée entre le Théâtre National de la Communauté Française de Bruxelles, le Festival d’Avignon et le Teatro de la Abadia à Madrid, en collaboration avec le Théâtre National Radu Stanca en Roumanie.
« Le texte est une sorte de mythe platonicien de la caverne à l’envers – explique Olivier Py. Nous n’avançons plus vers une plus grande rationalité et une connaissance mais plutôt vers les ténèbres les plus mystérieux qui sont à l’origine de l’art et du désir. » Il y a dans Vers la joie d’Olivier Py du souffle et de l’énergie survoltée au propre et au figuré. L’image scénique d’une course éperdue du personnage à travers la ville résonne avec le rythme effréné du phrasé, dans les surgissements et les lancées en avant du verbe puissant et épuisant jusqu’à l’essoufflement. Il est dans l’urgence, voire le besoin vital de trouver une issue, de fuir, de transcender le monde, son système politique, social, culturel, oppressant, dont la ville et son architecture, imposante, étouffante, mirage de grandeur et de puissance arrogante, est une métaphore. Que fuit-il ? Pourquoi soudain doute-t-il de son œuvre ? De quoi se sent-il prisonnier ?
Comme d’habitude Olivier Py nourrit son texte de références littéraires et mythiques. La trajectoire de l’architecte peut évoquer à la fois la conquête terrestre et le renoncement final de Don Rodrigue dans Le soulier de satin de Claudel (poète si cher à Olivier Py), ou encore le parcours de Virgile dans La divine comédie de Dante, à ceci près qu’ici il ne s’agit pas d’une descente aux enfers mais d’une ascension dans la lumière, une révélation du sens de l’existence. L’architecte découvre dans sa traversée de la ville la vacuité du système politique et social, la prétention et l’échec de la politique culturelle, la facticité de la démocratisation de la culture et de l’art. C’est un grand cimetière de cité qui rappelle des images du film de Godard Alphaville.
La mise en scène d’Olivier Py ouvre des pistes de références et de réflexions et confère à la quête personnelle du protagoniste une dimension plus générale. Ne sommes-nous pas prisonniers de la civilisation, des technologies, de la réalité virtuelle que nous avons créées ? Comment y retrouver notre liberté, le sens de notre existence, de l’être humain ? Le dispositif scénique mobile, signé Pierre-André Weitz, est un énorme cube très haut avec des murs de briques qui à certains moments s’ouvrent, se referment, se déploient, tournent, créant ainsi les différents espaces. Tout au long de son parcours nocturne les diverses configurations de ce dispositif, sous l’effet des éclairages, évoquent divers lieux de la ville passages, ruelles…
Quatre musiciens, d’abord côté jardin, puis côté cour, accompagnent la parole du protagoniste par une musique stridente, inquiétante, référence à la fois à l’art vivant, insolite dans une cité morte. On peut penser aussi par ricochet aux orchestres de chambre dans les camps de concentration. Pedro Casablanc en architecte, impulse à son personnage une incroyable énergie tout en déployant un registre de jeu contrasté, changeant de ton, accélérant ou ralentissant le rythme, l’intensité du flot de la parole. L’acteur, avec maestria et finesse, dessine l’évolution du personnage depuis l’effondrement de ses repères jusqu’à la révélation finale d’une joie indicible.
A l’opposé des spectacles qui submergent la scène actuelle, n’offrant qu’une performance gratuite mais spectaculaire de l’interprète, Hacia la alegria (Vers la joie) est à la fois une performance d’acteur d’exception et un récit philosophique et poétique qui, avec un courage peu commun, ébranle les assises, les principes et les certitudes de nos sociétés modernes.
Irène Sadowska Guillon
L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène
avenue Pierre de Coubertin
Vedène – Festival d’Avignon
Vers la joie, extrait d’Excelsior d’Olivier Py, est publié aux Éditions Actes Sud, août 2014, 272 pages, 20 €