Lilo Baur, rencontre à la Comédie-Française pour La Maison de Bernarda Alba
Posté par angelique lagarde le 30 juin 2015
La Maison de Bernarda Alba
De Federico García Lorca
Mise en scène de Lilo Baur
À la Comédie-Française, Salle Richelieu jusqu’au 25 juillet
L’antre de l’Aragne, un huis clos oppressant orchestré de main de maître par Lilo Baur
Lilo Baur, la pétillante metteure en scène suisse, retrouve les comédiens-français pour la troisième fois. Elle met en scène La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, qui entre au répertoire de la Comédie-Française dans la traduction de Fabrice Melquiot. Nous rencontrons Lilo Baur dans le Foyer des artistes de l’illustre maison, son carnet de note à la main, elle nous accorde un rendez vous entre deux répétitions.
Kourandart : Vous avez mis en scène deux spectacles au théâtre du Vieux Colombier Le Mariage de Gogol et La Tête des autres de Marcel Aymé. Quelles sont les contraintes et les avantages que l’on a lorsque l’on réalise une mise en scène dans la maison mère de la troupe de la Comédie-Française ?
Lilo Baur : La première contrainte est l’alternance. Il faut réfléchir très vite au décor, j’ai donné la maquette du décor en juin 2014. Les équipes techniques doivent réfléchir aux possibilités des autres décors pour savoir la capacité de rangement dans les coulisses, quelles perches seront libres. Cette contrainte n’existe pas au Vieux-Colombier puisque l’on joue pour une série de représentation. Ici il faut calculer tous les changements. Très vite la toile de fond s’est imposée comme une évidence.
Ce décor joue sur le registre de l’enfermement, de l’ombre et de la lumière. La toile de fond est superbe. On dirait un mur de dentelle noire, faisant référence au travail d’aiguille des femmes, mais c’est aussi un travail arachnéen. Bernarda est une araignée impérieuse.
C’est absolument ce que nous voulions créer comme sensation quand nous avons conçu le décor avec le scénographe Andrew D. Edwards. Je suis ravie que vous ayez ressenti cela. Je voulais que le spectateur ressente le poids de l’enfermement et l’appel de l’extérieur pour les filles de Bernarda. Oui, c’est à la fois de la dentelle, mais aussi comme des moucharabiehs, les fenêtres sont ouvragées pour empêcher toute évasion. Très vite nous avons opté pour ce mur de dentelle, qui permet tout un jeu pour les comédiennes, qui plus tard vont l’escalader.
La pièce commence par le retour de l’enterrement du mari de Bernarda. Elle vient d’enterrer son second époux. Après avoir reçu, comme le veut la tradition, des connaissances qui sont venus car avec Bernarda Alba, on ne peut pas parler d’amis, elle décrète un deuil de 8 ans. Un deuil carcéral. Est-ce une vengeance ?
Bernarda Alba a déjà vécu plusieurs deuils. Entre autres, celui de son premier mari. Elle continue la tradition. Mais pour elle c’est surtout l’occasion de dire : je tiens les rênes, j’ai le plein pouvoir. Elle n’aime pas sa belle famille, ni sa propre famille. Elle ne veut pas perdre le contrôle. Elle ne veut pas que ses filles épousent des gens qui ne sont pas à leur hauteur. Elle sait bien que ce deuil de 8 ans empêchera ses filles de se marier. Sauf sa fille aînée, Angustias qui est issue de son premier mariage. Son statut est différent, elle a hérité de son père. Bernarda ne veut pas laisser ses filles se marier.
On peut se demander pourquoi Bernarda Alba est si dure.
Je pense qu’elle n’aime personne. Mais surtout elle veut garder la main surtout.
Si ses filles se marient, il faudra leur donner une dot donc morceler le domaine. Impensable !
Absolument. Bernarda est terrible quand elle dit à ses filles : « Vous pouvez commencer votre trousseau ». Alors que seule Angustias va se marier avec Pepe Le Romano.
La Maison de Bernarda Alba © Brigitte Enguérand
Elle donne à ses filles des pièces de tissu et des dentelles pour coudre leur trousseau. Elle pousse un certain vice à donner à Martirio (Jennifer Decker) sa fille qui est bossue, ses plus belles dentelles. Comme on donnerait un bonbon à un enfant pour le consoler d’un gros chagrin…
Comme Bernarda les enferme, il faut bien les occuper. J’ai voulu que cela soit réaliste, avec des accessoires, des meubles, des tissus. Que l’on ressente bien la vie de ce foyer replié sur lui, de cette maison qui entre dans un deuil si long que la vie extérieure soit oubliée. Il faut que ses femmes soient occupées, afin qu’elles ne pensent pas à autre chose qu’à leur ouvrage, à leurs travaux d’aiguilles. Il y a une certaine cruauté dans tout cela.
En somme, Bernarda Alba est une veuve noire, cette terrible araignée ! Son rapport à l’humain est inhumain !
Avez-vous remarqué comment Bernarda Alba parle des membres de sa famille ? Pendant l’enterrement, elle a fait enfermer la grand-mère. « Lâchez-là », ordonne-t-elle, comme on parlerait d’un chien. Bernarda parle comme un homme. Elle utilise le vocabulaire de l’élevage des chevaux. Elle tient les brides.
Le deuil de tradition de huit ans est terrible. Il revient à enfermer dans un huis clos oppressant ces femmes qui ne rêvent que d’espace. Mais pour Bernarda, c’est le garant de son statut social.
Elle a connu deux deuils et elle est bien là. Mais surtout elle veut que l’on respecte sa maison. Pas question de pardonner à celle qui a faillit. Pas de mésalliance avec un homme qui n’est pas de la même caste qu’elle. Elle veut que le « front de sa maison soit lisse ».
Elle règne sans partage sur ce gynécée. Elle a compris que pour régner il faut diviser, comme l’Aragne universelle surnom que l’on donnait à Louis XI.
Elle fait tout pour diviser ses filles qui s’entendaient bien. La distribution des tissus et des dentelles en est un exemple. Bernarda est une voleuse d’émotion. J’aime bien ce nom Aragne !
Vous avez choisi avec la costumière Agnès Falque, une thématique de teintes sobres avec de modeste point de couleurs. Elles sont au début du deuil donc pas complètement en noir.
J’ai voulu que chaque fille se distingue par une nuance. Les costumes sont sobres, à part Angustias qui est en vert, les couleurs ne sont pas vives. Il y a du marron, du violet. Seule Adela porte une jolie robe pour son solo, plein d’espoir. C’est un moment de grâce qui me semble indispensable.
Votre mise en scène n’est pas hispanisante. Vous avez cerné les tensions entre ces femmes emmurées malgré elles. Il y a un très grand soin aux détails et aux accessoires.
J’ai désiré faire un peu un documentaire photographique. Cela me semblait très important pour le ressenti du désir de l’extérieur.
Pouvez-vous nous parler de la distribution. Vous jouer avec les âges et les emplois. La pièce débute avec deux servantes dont Poncia, la gouvernante. On se demande qui est cette comédienne ? On connaît cette voix…
La vieille Poncia est interprétée par la ravissante Elsa Lepoivre tandis qu’Angustias la fille aînée au physique de vieille fille est interprétée par Anne Kessler, étonnante. Il faut noter qu’Anne Kessler a reprit le rôle que Véronique Vella devait jouer, car elle est dans l’impossibilité de le faire pour la création. Anne a reprit le rôle au pied levé. Elle est impressionnante. Florence Viala joue la grand-mère, elle y met beaucoup d’humour. D’ailleurs j’ai beaucoup de chance avec cette distribution.
L’affrontement entre Poncia et Bernarda interprété par Elsa Lepoivre et Cécile Brune est un point d’orgue entre les non-dits, les secrets.
Elsa Lepoivre s’est jetée dans l’aventure. Quelle énergie. Le duo de Bernarda et de Poncia est tellement fort, quelle hargne ! Elle est un pilier de la maison, elle est la seule à pouvoir tenir tête à Bernarda, elle sait des secrets. Mais ce qui prime c’est vraiment la hargne.
La pièce offre aux comédiennes des rôles forts. Vous avez concocté une distribution inattendue et donner à entendre cette pièce loin des conventions. Comme toujours dans votre travail, vous pointez le texte au cœur et vous entraînez les comédiens dans des chemins de traverse dont ils sortent grandis, nous vous remercions pour cette belle mise en scène.
Propos recueillis par Marie Laure Atinault
Comédie-Française – Salle Richelieu
1 place Colette
75001 Paris
Réservations au 08 25 10 16 80