Thierry Hancisse, rencontre à la Comédie-Française pour Lucrèce Borgia
Posté par angelique lagarde le 29 avril 2015
Thierry Hancisse © Christophe Raynaud de Lage
Lucrèce Borgia
De Victor Hugo
Mise en scène de Denis Podalydès
À la Comédie-Française, Salle Richelieu, du 14 avril au 19 juillet (reprise)
Thierry Hancisse, entré à la Comédie-Française en 1986 en est sociétaire depuis 1993. Il reprend actuellement le rôle de Don Alphonse d’Este dans Lucrèce Borgia mise en scène par Denis Podalydès. Ayant évolué sous la direction des plus grands, de Jean-Luc Bouté à Alain Françon en passant par Anatoli Vassiliev ou Jorge Lavelli, il a accepté de nous dévoiler les admirations, les souvenirs et les secrets d’un membre de la maison, de la grande famille de Molière. Thierry Hancisse nous accueille au piano dans le foyer des comédiens.
Kourandart : Thierry Hancisse, belge de naissance, comment êtes-vous entré à la Comédie-Française ?
Thierry Hancisse : Il y avait déjà eu quelques belges : Berthe Bovy, Fernand Ledoux… Mais il est vrai qu’à l’époque un belge pouvait être pensionnaire cependant pour devenir sociétaire, il fallait nécessairement être de nationalité française. Je serais peut-être un jour dans le dictionnaire comme le premier sociétaire étranger qui ait pu garder sa nationalité ! Avant d’être comédien, j’ai commencé par les Beaux-Arts. Je faisais de la peinture en Belgique et je me suis intéressé au théâtre parce que j’avais des amis qui en étaient fous. Ils faisaient du théâtre depuis qu’ils étaient petits et ils venaient très souvent à la Comédie-Française. Je me suis inscrit au théâtre avec eux, je m’y suis senti très vite à l’aise et je me suis dit qu’il était temps d’aller à Paris et d’essayer de rentrer à la Comédie-Française ! Cela peut paraître ambitieux mais c’est tout simplement que je ne connaissais rien d’autre. Donc je suis venu voir beaucoup de pièces à la Comédie-Française. Certaines m’ont bouleversé, je pense notamment à la pièce Les Corbeaux d’Henry Becque dans la mise en scène de Jean-Pierre Vincent. D’autres m’ont exaspéré et j’ai écrit aux acteurs pour leur faire part de mon étonnement de voir que des gens aussi talentueux pouvaient se compromettre dans de telles choses. J’ai eu quelques réponses et notamment celle d’Yves Gasc, membre de mon jury quand je passais la classe libre au cours Florent qui m’a présenté à Jean-Luc Boutté qui à son tour, m’a fait faire de la figuration. J’ai donné beaucoup de répliques au conservatoire, puis un jour Jean-Luc Boutté m’a proposé le rôle du garçon tailleur dans le Bourgeois Gentilhomme de Molière et c’est ainsi que je suis entré comme stagiaire à la Comédie-Française, puis pensionnaire en juin 1986 et enfin sociétaire en 1993.
En bientôt 30 ans de maison, quels sont les metteurs en scène qui vous ont marqué, voire transformé en tant que comédien, en tant qu’homme ?
D’abord Jean-Luc Boutté parce que c’était un homme du non-dit : c’était assez magnifique parce qu’il nous demandait un investissement et une compréhension au-delà des mots, des explications qui sont parfois très raides des metteurs en scène. Il travaillait de l’intérieur sur une vraie sensibilité, sur une véritable responsabilisation de l’artiste par rapport à l’auteur et au public. C’est le premier grand metteur en scène avec qui j’ai travaillé. Ensuite, il y a eu Yves Gasc, un homme formidable. Puis, Alain Françon m’a vraiment bouleversée dans le rapport au concret, à la réalité, au niveau du personnage. Je me rappelle un jour, nous répétions La Cerisaie d’Anton Tchekhov, j’étais malade comme un chien, j’ai toussé et là il a dit : « Et alors ? Lopakine a le droit d’être malade ! ». Et il y a eu aussi un atelier avec Anatoli Vassiliev ; il m’a ouvert des portes que je ne pensais même pas pouvoir envisager d’ouvrir. Il me disait que la plus belle chose pour un acteur, c’était d’éprouver la plus totale liberté dans l’acte de jouer. Il prétendait que si un acteur décidait d’interrompre l’acte en pleine représentation et de rentrer chez lui, il en avait le droit. C’est une sorte de métaphore extrêmement riche d’enseignements sur cette liberté que l’acteur peut s’accorder. Dans son travail on retrouve cette vérité, cette responsabilité vis-à-vis de l’autre partenaire du public ; il m’a encore fait franchir un cap.
Quels seraient les trois rôles qui vous ont marqué ici ou hors de la maison ?
Celui qui me vient immédiatement c’est Sigismond dans La Vie est un songe de Calderón, mis en scène par José Luis Gomez à l’Odéon, en 1992 où j’ai pu découvrir les non limites de l’expression de la souffrance. Je suis parti tellement loin que j’ai eu peur de m’y perdre. Et puis il y a eu Sosie dans Amphitryon de Molière mis en scène par Anatoli Vassiliev. Je vais peut-être en oublier mais je dirais aussi le rôle-titre bien entendu, dans le Prince de Hombourg sous la direction d’Alexander Lang. Et aller, un quatrième, Arnolphe dans L’école des femmes dans la mise en scène de Jacques Lassalle.
Au fil des années avez-vous développé des affections particulières pour certains textes ?
Pour les textes classiques oui, puisque je n’ai pas du tout jouer de contemporain, jamais. L’occasion ne s’est pas présentée. Je pense que l’auteur le plus contemporain que j’ai pu jouer c’est Tchekhov (rires) enfin si, il y a eu Tête d’or de Paul Claudel. La première fois que je l’ai joué, c’était à l’âge de 22 ans au cours Florent et puis ensuite je l’ai retrouvé de façon plus mature…
Quel regard portez-vous sur l‘évolution de la troupe et sur la médiatisation de certains Comédiens-Français ?
La troupe a beaucoup évolué, je dois dire que c’est une des choses que Muriel Mayette a le mieux réussie. C’est un agrandissement de la troupe dans le très bon sens du terme aujourd’hui la troupe est parfaitement harmonieuse. Elle a réussi à intégrer des talents complètement différents, des gens qui venait d’horizons complètement différents. Il y a aujourd’hui un véritable esprit de troupe et c’est très agréable d’y vivre et d’y travailler. Je crois qu’elle a rarement été à cette quintessence humaine et la qualité humaine apporte aussi du talent par la simplicité et l’évidence des rapports. Quelques-uns sont plus médiatiques en effet, mais la plupart ne le sont pas. Pour moi, personnellement, cela ne change rien mais c’est tant mieux pour ceux qui ont de belles expériences à l’extérieur comme Guillaume Gallienne, Michel Vuillermoz ou encore Pierre Niney, Pierre qui vient de nous quitter à son grand regret et au notre, mais cela devenait impossible pour lui de concilier les deux, il est trop demandé au cinéma. C’est un acteur tellement exceptionnel, un génie, mais peut-être qu’un jour il reviendra, comme il a démissionné, on peut le réengager !
Et sur l’évolution du Répertoire ?
Je suis extrêmement heureux de voir rentrer des textes contemporains à la Comédie-Française, sachant qu’au préalable, ils sont passés par les mains, les yeux et le cœur d’un comité de lecture extrêmement sérieux. J’ai fait partie de ce comité plusieurs fois. Ce n’est jamais anodin l’entrée d’une pièce au Répertoire, en tout cas pour Richelieu puisque au Vieux-Colombier on peut jouer une pièce contemporaine sans qu’elle soit répertoire. La Comédie-Française jusque dans les années 1900-1910 était un théâtre de création, tous les auteurs ont été créé ici, Hugo, Montherlant, Musset… Évidemment les moyens ont changé aujourd’hui les auteurs écrivent des formes plus petites pour des distributions plus petites. Beaucoup d’auteurs se sont tournés vers le cinéma, vers le scénario alors qu’avant les gens qui voulaient écrire des histoires ne pouvaient le faire que pour le théâtre. Aujourd’hui cela peut être plus rapide et surtout beaucoup plus lucratif d’écrire pour le cinéma ou la télévision. Mais évidemment, on est toujours enchanté d’accueillir une pièce contemporaine au Répertoire.
Lucrèce Borgia © Christophe Raynaud de Lage
Vous reprenez le rôle de Don Alphonse d’Este dans Lucrèce Borgia créé par Éric Ruf, comment s’effectue une reprise de rôle, particularité également de la Comédie-Française et de son principe d’alternance ?
On a le texte, on apprend le texte, on nous donne une vidéo et puis après on rentre en répétition. J’ai répété avec Guillaume Gallienne et Denis Podalydès, on a mis le costume et l’affaire était lancée ! J’ai la chance d’avoir une très bonne mémoire et de comprendre assez rapidement un auteur, une mise en scène et le travail d’un camarade, donc je m’y glisse assez facilement.
Vous aviez vu Lucrèce Borgia avant de reprendre ce rôle ?
Oui, oui je l’ai vu et j’avais adoré le travail de Denis Podalydès, celui d’Éric Ruf et aussi celui de Guillaume Gallienne. On s’est tous posé beaucoup de questions : pourquoi Guillaume ? Pourquoi un homme ? Ce qui est extraordinaire c’est que Guillaume en jouant juste Guillaume sans jouer la femme, a sa propre monstruosité mais le fait que ce soit un homme ajoute de la monstruosité sans devoir jouer cette contre-nature, cette dualité. Et donc quand Denis m’a demandé de reprendre le rôle d’Éric j’étais absolument enchanté.
Vous avez créé un nouveau Don Alphonse d’Este ?
Non pas du tout… Enfin si forcément parce que je ne suis pas Éric (rires). Ce qui est difficile c’est de créer un rôle, on cherche, on se pose mille questions… Quand le personnage a été dessiné, on a plus qu’à le suivre avec sa propre intensité, son émotivité… Quand on joue une partition de musique toutes les nuances sont indiquées mais cela change tellement d’un interprète à l’autre, même si tous les interprètes respectent exactement les mêmes nuances aux mêmes moments.
D’ailleurs vous êtes également musicien… C’est une autre particularité du Comédien-Français, d’avoir plusieurs talents…
En effet, on nous pousse à développer nos talents, et je crois que c’est cet aspect pluridisciplinaire qui l’habilité, que ce soit par la musique, le chant, la danse… Ce qui nous relie c’est aussi que nous sommes curieux.
Et vous aimez également pratiquer ce métier au cinéma…
Oui pour moi c’est le même travail, c’est exactement la même chose, quoi que certains veuillent bien gloser… On joue devant le réalisateur, le chef opérateur, les machinistes, les techniciens, les autres partenaires, c’est un public ! La réactivité doit être la même en répétition, sur scène ou face à la caméra quand on entend « moteur ! ». Pour moi il n’y a aucune absolument aucune différence si ce n’est qu’on parle moins fort au cinéma (rires)!
Propos recueillis par Angélique Lagarde et Marie-Laure Atinault
Comédie-Française – Salle Richelieu
1 place Colette
75001 Paris
Réservations au 08 25 10 16 80