Critique du théâtre 2 du moderne au contemporain, et retour de Jean-Pierre Sarrazac par Irène Sadowska Guillon

Posté par angelique lagarde le 17 mars 2015

Jean pierre sarrazac critique théâtre

Critique du théâtre 2
du moderne au contemporain, et retour
De Jean-Pierre Sarrazac
Série Penser le théâtre
Aux éditions Circé

Pour en finir avec l’intégrisme du contemporain au théâtre

Jean-Pierre Sarrazac propose un livre salvateur, libérateur, qui s’attaqueau terrorisme de l’idéologie sectaire du contemporanéisme qui se serait imposée depuis ces dernières décennies sur les scènes de théâtre mais aussi dans d’autres disciplines artistiques. Il constate que le moderne prend aujourd’hui le sens de ringard face au contemporain et à ses déclinaisons : post-moderne, post-dramatique… Que recouvre ce culte du présent immédiat, voire absolu, du contemporain qui constitue aujourd’hui au théâtre une plus-value esthétique, promotionnelle ? Dans Critique du théâtre 2 du moderne au contemporain, et retour, faisant suite à Critique du théâtre 1 de l’utopie au désenchantement il interroge le surgissement du dogme du contemporain et du post-dramatique qui se sont affirmés en discréditant le moderne et le dramatique.

Inventeur de la notion de « pulsion rapsodique » (assemblage d’éléments hétérogènes voire contradictoires) dans la dramaturgie et la mise en scène moderne, Jean-Pierre Sarrazac polémique avec les « apôtres » intransigeants du contemporanéisme et du post-dramatique (Hans Thies Lehmann inclus), bat en brèche leurs arguments dogmatiques en proposant de revenir sur les origines toujours actives de notre modernité, de penser le contemporain dans une relation complexe de continuité et de discontinuité avec le moderne, autrement dit de le situer au regard de la longue durée. Cette pulsion rapsodique qu’il a théorisée intervient tout aussi bien dans le texte que dans l’écriture scénique. Cette démarche rapsodique propre à la modernité vise la forme la plus libre mais pas l’absence de forme. L’écriture sur le plateau plus ou moins collective à partir d’improvisation des acteurs était pratiquée déjà dans les années 1960/70 par exemple par le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine qui ne se revendique ni du post-dramatique ni du contemporanéisme. « La contemporanéité, dit-il, n’est qu’une séquence toujours fuyante, toujours renouvelée de la modernité. » En ce sens le théâtre le plus novateur aujourd’hui entretient une relation de contemporanéité avec celui du tournant du XXème siècle.

L’art de la mise en scène d’Antoine Vitez est pour Jean-Pierre Sarrazac emblématique d’une démarche rapsodique. Dans le chapitre consacré à la dramaturgie du fait divers il traite des pièces qui, contrairement à celles de Brecht montrant des comportements socialisés, mettent en scène des dérapages, des passages à l’acte inexplicables, irrationnels. Il donne l’exemple de Frantz Xaver Kroetz qui allait chercher les sujets de ses pièces au greffe du tribunal. La rubrique des faits divers est une source inépuisable pour de nombreux auteurs pour questionner le non humain dans l’humain. Quant au tragique dans le drame moderne, Sarrazac en distingue six manifestations : tragique détaché de la tragédie, tragique sans grande action, tragique sans héros, tragique quotidien, tragique social, révélation du tragique.

Jean-Pierre Sarrazac décrit l’attitude présentiste qui domine aujourd’hui dans nos sociétés et se traduit dans les arts par le culte du contemporain érigé au rang d’une valeur absolue, de la doxa incontestable : « Le présentisme est une bulle dans laquelle s’enferme la société qui ne parvient plus à établir le lien avec son propre passé et qui s’avère incapable de se projeter dans l’avenir. ». Il s’attache dans cet ouvrage à analyser le phénomène apparu au début du XXIème siècle consistant à éclipser la notion de moderne au profit de celle de contemporain, considéré non pas comme un repère temporel mais comme une valeur esthétique. Le contemporain procède par l’effacement total du passé et par l’exclusion. Ainsi la modernité est-elle « l’ennemi à abattre ». Exit la forme dramatique, la pièce de théâtre, l’auteur dramatique, la mise en scène. Saluons l’avènement de l’absolument contemporain, du théâtre performatif, de l’écrivain du plateau. Plus de fable, plus de jeu, auquel on a substitué un « état de non jeu ». Bref un théâtre si cela en est encore, dont les prophètes seraient : Roméo Castellucci, Rodrigo Garcia, Angelica Liddell. Il dénonce la confiscation par le contemporanéisme de certaines caractéristiques de la modernité : « Le travail de déconstruction de la forme dramatique et de la représentation théâtrale caractérise aussi bien la modernité que la contemporanéité. »

« Il est temps de faire le deuil de ces utopies de recommencement et de retour à l’origine grecque du théâtre et de la politique occidentale » affirme Jean-Pierre Sarrazac. La dramaturgie de Jean-Luc Lagarce est pour lui emblématique de cet impossible retour. Il nous livre ici un ouvrage passionnant et passionné, écrit avec la verve de polémiste, d’un fin observateur du fait théâtral. 

Irène Sadowska Guillon

Critique du théâtre 2
du moderne au contemporain, et retour
De Jean-Pierre Sarrazac
Série Penser le théâtre
Aux éditions Circé, Strasbourg, 2015
224 pages, 19,50 €

 

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