David Altmejd – Flux au Musée d’Art Moderne par Marie DB
Posté par angelique lagarde le 23 novembre 2014
Detail of : Untitled 8 (Bodybuilders)
2013 Photograph by Kurt Deruyter
© David Altmejd, Image courtesy of Andrea Rosen Gallery, New York
Flux
Par David Altmejd
Au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Du 10 octobre 2014 au 1er février 2015
La poésie de l’évolution
En cette rentrée 2014, la sculpture a investi le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Dans un souffle nouveau au prisme du deuxième art, la partie haute de l’institution s’est mue pour quelques mois en singulière galerie de l’évolution. David Altmejd a envahi l’espace. Envahir, en l’occurrence, ne pourrait pas être un terme plus juste pour désigner cette exposition d’œuvres monumentales, où l’architecture même du musée semble s’être pliée aux exigences de la création : du sol au plafond, des murs aux néons, la sculpture s’approprie l’espace en lui remodelant notre vision. A la lisière de l’univers surréaliste des cyborgs de l’humanité mutante de Mattew Barney en 2003, cette rétrospective de l’artiste québécois est une performance intégrale, faisant de lui un nouvel Ovide de ses propres métamorphoses. David Altmejd offre une réflexion sculpturale fascinante sur l’avenir imaginaire du monde et le devenir incertain de l’Homme, et poétise les théories de notre dégénérescence à travers une mythologie vivace et vibrante.
L’espace a subi la métamorphose. Nous entrons dans l’exposition comme dans une galerie des glaces de l’évolution, le pan gauche entièrement habillé de miroirs. Dans cette scénographie de l’agrandissement, nos pas nous reflètent en marchant comme les spectateurs de l’Histoire en gloire. Puis, la surface arrondit se fait intérieur de grotte, recouverte de chaux pour qu’une main de modeleur creuse dans l’enduit même du mur, laissant la marque de ses doigts en trainée comme la signature d’un droit de propriété. Tandis que, ça et là, dans les belles hauteurs sous plafond se dressent et s’accrochent des êtres étranges, terrestres et volatiles, figés dans leurs mouvements ou leurs méditations tranquilles, libérés dans l’espace du chemin des salles ou enfermés dans les univers parallèles de labyrinthes en verre et plexiglas. Les œuvres miniatures font de nous des Gulliver le temps d’un couloir; les grandes se suffisent à elles-mêmes comme la composition idéale de ce lac des cygnes tout de fil tenus; les immenses semblent chercher à percer les cieux pour changer d’air et nous écrasent de notre condition mortelle et dérisoire. Dans la galerie se contaminent les mondes, à l’infini des dispositifs réfléchissants, été comme hiver, du micro au macro, en long, en large et en travers.
Detail of : The Flux and The Puddle
2014 Photograph by James Ewing
© David Altmejd, Image courtesy of Andrea Rosen Gallery, New York
La figure humaine fleurit dans les pas d’Arcimboldo. Les personnages sont des mutants de nos faciès, portant tous l’esthétique symbolique et perverse du miroir brisé. Assemblages étonnants de cire, d’objets, de poils, de terre, de verre, de mousse, plastiques recyclés ou cycles de silicone qui s’émousse, riches et rutilants de cristaux en liesse comme autant de discours évolutionnistes qui auraient ajouté leur grain de sel, ils apparaissent comme les parasites de rêve qu’une main divine gèle. Ils se clonent mais ne se ressemblent pas. Corps hétéroclites, restes humains comblés par des rajouts technologiques et naturels jonglant entre le mythe de l’homme-machine et l’angoisse de l’homme-légume, ils nous parlent de notre civilisation en-deça. Contre-utopie de notre glas? Que nous fasse rire la présence anecdotique des ananas de la pub Oasis hurlant derrière la vitrine !
Dans cette galerie de l’évolution, Horus en costume fait face à une pile anthropomorphe de bananes épluchées. Le dieu archaïque devenu pro chic de la bourse dévisage un Priape stérile domestiqué au régime overdosé du primate. L’ironie de la loi immuable des puissants qui dominent le monde fait concurrence à la singerie de la déroute des républiques bananières dans le détournement de la quatrième denrée alimentaire mondiale. Mais le monstrueux n’est que fragile : des bustes de têtes siamoises aux excroissances de terre glaise portant les ailes de Samothrace, la chauve-souris humaine de plâtre noir hiberne sans tête; les colosses massifs sont aux pieds d’argile malgré le contrapposto, déhanché emblématique du dynamisme et de l’équilibre pérenne de la statuaire grecque. Même les écureuils confondent les êtres avec les arbres et autres natures dociles ! Des joueurs d’échecs zoomorphes d’un Dostoïevski morose aux corps sublimés de trous d’obus en cristaux comme autant de bijoux de nos ecchymoses, nous apparaissons ainsi, projection de nos êtres, incarnation hybride d’un chant de Maldoror dans 3000 ans peut-être, faits de chair et de choses.
Dans cette folie paysagiste de (pro)créateur, de l’œuvre au support, des corps au décor, voilà l’artiste aux sources de l’âme, élite narcissique du règne animal, végétal et minéral, accouchant d’une sculpture aux sources de l’Homme… Pour reprendre les mots de Balzac dans sa Comédie Humaine, « un poète de l’humanité » aussi pécheur que Prométhée venu nous éclairer, croquant la vie, son oeuvre et son visage jusqu’à la pomme. Allez voir ab-so-lu-ment cette exposition magistrale en somme !
Marie DB
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris