Michel Vuillermoz, rencontre à la Comédie-Française pour Tartuffe
Posté par angelique lagarde le 25 octobre 2014
Michel Vuillermoz © Christophe Raynaud de Lage
Tartuffe
Comédie en cinq actes de Molière
Mise en scène de Galin Stoev
Avec Claude Mathieu, Michel Favory, Cécile Brune, Michel Vuillermoz, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Nâzim Boudjenah, Didier Sandre, Anna Cervinka, Christophe Montenez et les élèves-comédiens de la Comédie-Française Claire Boust, Ewen Crovella, Thomas Guené et Valentin Rolland.
A la Comédie-Française, salle Richelieu jusqu’au 16 février 2015
De Don Juan à Tartuffe, la dévote séduction de Michel Vuillermoz
Michel Vuillermoz joue actuellement le rôle-titre dans Tartuffe à la Comédie-Française. Vous l’appréciez au cinéma sous l’œil Arnaud Desplechin ou des frères Bruno et Denis Podalydès, vous l’aviez applaudi dans sa magistrale interprétation de Cyrano de Bergerac déjà à la salle Richelieu, vous allez adorer le voir s’emparer d’un des rôles les plus complexes du Répertoire français. Il a accepté de nous accorder un moment en coulisses pour nous livrer quelques secrets d’acteur et nous sommes heureux de vous faire partager ce moment privilégié…
Kourandart : Vous tenez actuellement le rôle-titre dans Tartuffe à la Comédie-Française, mais le public vous connaît également par le cinéma pour vos collaborations avec Arnaud Desplechin et les frères Bruno et Denis Podalydès notamment, et par le succès de l’aventure théâtrale d’André le magnifique. Fidèle à vos partenaires, il apparaît presque évident que vous soyez dans cette maison tant vous semblez être un homme de troupe…
Michel Vuillermoz : Oui, c’est vrai, absolument. J’ai toujours aimé la troupe ou la famille d’acteurs. Je n’étais pas fait, je pense pour une carrière solitaire… J’ai toujours aimé travailler avec les autres, avec des acteurs ou actrices que j’aime bien. C’était le principe aussi d’André le magnifique de rassembler une équipe de comédiens, dont Denis Podalydès qui faisait partie de la création. La troupe de la Comédie-Française est donc venue assez naturellement, mais un peu plus tard. En 1989, à la sortie du Conservatoire, j’ai eu l’opportunité d’y rentrer, mais je ne m’en sentais pas encore les épaules, j’y suis rentré presque vingt ans plus tard et c’était très bien, c’était le bon moment.
La maturité et l’expérience étaient nécessaires pour rentrer à la Comédie-Française ?
Oui, j’avais le besoin d’expérimenter ailleurs, de me confronter à d’autres metteurs en scène. Sortant du Conservatoire, je ne me voyais pas rentrer tout de suite dans ce que j’imaginais être une prison dorée. C’est venu au bon moment, mais sans vocation, à la différence de Denis Podalydès qui est entré ici avec une vocation d’enfant. Pour ma part, cela s’est passé différemment. J’ai joué dans un spectacle mis en scène par Piotr Fomenko, La Forêt qui était magnifique, et il se trouvait que c’était à la Comédie-Française. C’est ainsi que j’y suis rentré et j’y suis resté parce que j’y ai trouvé des comédiennes et des comédiens absolument incroyables. Tout ce que je pensais du lieu s’est avéré être totalement faux ; nous sommes très loin de l’image fantasque de cette famille des Atrides qui se déchire en permanence, dans des jalousies de couloir, de règlements de comptes… C’est simplement tout le contraire.
Aujourd’hui vous êtes sociétaire mais vous avez fait le choix de poursuivre vos activités annexes, au cinéma notamment…
En effet, je commence bientôt un film avec Alexandra Leclère sur un tournage qui va se prolonger jusqu’à mi-décembre. J’ai déjà collaboré à deux de ses films. Je suis fidèle également aux Podalydès bien entendu, mais il y en a d’autres et j’aime aussi découvrir de jeunes réalisateurs. Cet été, j’ai participé à la collection issue du partenariat entre la Comédie-Française et Arte avec Valeria Bruni Tedeschi qui a fait l’adaptation des Trois Sœurs de Tchekhov. Et oui j’adore, c’est aussi cela le métier d’acteur et il est vrai que j’ai la chance de pouvoir travailler en dehors de la Comédie-Française alors j’en profite. J’aime beaucoup tourner, le milieu du cinéma me plaît énormément. Et finalement, faire l’acteur au cinéma c’est aussi intégrer une petite troupe qui va exister pour quelques mois. J’aime aussi faire des lectures dans différents festivals, et j’ai fait une mise en scène récemment d’Introspection de Peter Handke à la Maison de la Poésie. C’est une respiration pour mieux revenir ici, évidemment.
Actuellement vous interprétez Tartuffe, le rôle-titre maintes fois mis en scène mais ce qui est intéressant avec ce personnage, c’est qu’il n’a pas d’histoire, pas d’attache, donc le comédien peut lui inventer un passé…
Oui, chaque comédien lui invente quelque chose, même si, à mon sens, les réponses sont dans le texte. En tous cas, les questionnements ou les intuitions viennent du texte de Molière. Je ne pense pas que ce soit quelqu’un qui joue, je pense qu’il est dans une immense sincérité à chaque instant, dans une expérience spirituelle qu’il propose à Orgon et que ce dernier accepte. Orgon lui donne sa fille, lui donnerait sa maison, lui ferait donation de tous ses biens, mais à aucun moment, on ne peut dire qu’il prenne, non, c’est Orgon qui donne et Tartuffe ne fait que dire « la volonté du ciel soit faite en toute chose » et accepte.
Tartuffe est un dévot certes, mais c’est aussi un séducteur…
Je ne dirais pas un séducteur, mais un homme qui tombe amoureux. Dans une réflexion que j’ai pu avoir sur le parcours de Tartuffe, j’ai imaginé que je présentais un Tartuffe qui serait Don Juan vingt ans plus tard. Cet homme aurait eu une révélation mystique, serait peut-être rentré dans les ordres… mais aurait été rattrapé par sa nature de Don Juan ! C’est un homme qui connaît les femmes, qui en a fait l’expérience dans cette période où il était Don Juan, mais qui maintenant est parti dans une autre direction, plus spirituelle. Il est alors rattrapé par sa nature parce que confronté à Elmire, une femme qui serait l’objet d’un désir physique, amoureux… mais qu’il met sur un piédestal, c’est une créature divine. Il y a une dimension sacrée, il lui parle avec un langage qu’il connaît, qu’il manipule très bien, un langage d’Eglise pour ainsi dire, religieux en tous les cas.
Aviez-vous cette même vision du personnage de Tartuffe avec le metteur en scène Galin Stoev ? Quelle marge de manœuvre vous a-t-il accordé pour créer le rôle ?
Bien entendu, nous en avons parlé, mais il nous laisse assez libres. J’ai construit le personnage avec lui, mais beaucoup aussi par ma réflexion d’un homme qui avance sans masque. Je ne voulais absolument pas être dans quelque chose qui ait à voir ni avec l’hypocrisie, ni la stratégie, du tout non, un homme amoureux, extrêmement sincère. Il est prêt à quitter la maison d’ailleurs quand Damis assiste en direct à sa déclaration à Elmire, il se confesse et il est prêt à partir quand il dit : « Armer votre courroux et comme un criminel, chassez-moi de chez vous ». Orgon pourrait très bien le faire et la pièce s’arrêterait. Il n’y a à mon sens pas de stratégie de la part de Tartuffe, en tous cas, ce n’est pas le parti-pris que j’ai pris.
Elsa Lepoivre et Michel Vuillermoz dans Tartuffe à la Comédie-Française © Christophe Raynaud de Lage
Vous faîtes montre sur scène d’une belle connivence avec Elsa Lepoivre dans le rôle d’Elmire…
Oui, nous avons un lien particulier avec Elsa Lepoivre, nous sommes rentrés ensemble à la Comédie-Française, avait été nommé sociétaires ensemble. Nous avons beaucoup partagé la scène. Nous avons fait Les trois sœurs notamment. Nous nous connaissons bien et c’est toujours très agréable, c’est une comédienne que j’adore. C’est une belle interprète et j’ai un grand plaisir à jouer avec elle.
Ce que vous avez composé avec Valentin Rolland, le jeune élève-comédien qui interprète Laurent est également très intéressant…
En effet, c’était l’idée de Galin Stoev d’avoir comme une ombre, quelqu’un avec qui il partage les choses, une présence assez mystérieuse… On ne sait pas quel est ce rapport de couple entre eux ; est-ce qu’ils prient, que font-ils ensemble ? Il y a un lien entre eux auquel les autres n’ont pas accès… Je ne me suis pas trop éloigné de ce qu’a écrit Jouvet par exemple dans un texte magnifique qui s’appelle Pourquoi j’ai monté Tartuffe que j’ai lu et relu. J’ai aussi beaucoup suivi Jouvet dans sa version de Tartuffe de 1950, qui était extrêmement moderne justement qui cassait tout ce que l’on pouvait avoir comme idées reçues sur un Tartuffe manipulateur alors qu’à mon sens non, il ne prend rien, on lui donne et il accepte. On peut dire tout ce que l’on veut mais pour moi il est dans une grande sincérité, j’ai chassé l’hypocrite, l’imposteur… je n’ai pas envie de le définir de cette façon.
Aviez-vous un acteur contemporain de référence dans ce rôle si complexe de Tartuffe ?
Peut-être Gérard Depardieu, même si je ne l’ai pas vu au théâtre, mais j’avais vu son film, Le Tartuffe, et je comprends pourquoi il l’a fait. J’ai trouvé décevant le film parce qu’entre la mise en scène de Lasalle et son propre projet, c’était trop compliqué. Mais dans son interprétation, il serait le seul avec qui j’ai vraiment cru comprendre où il voulait aller avec son personnage. C’est en effet un comédien auquel j’ai pensé. A mon sens, il était dans quelque chose de juste, dans la séduction, dans une grande sincérité, dans une perdition avec bien entendu tous les paradoxes que peut avoir Depardieu : une grande douceur et une grande violence, quelque chose d’assez viril, et en même temps une grande féminité.
Vous évoquez Gérard Depardieu, on ne peut que rebondir sur votre excellent Cyrano de Bergerac… vous avez eu de très beaux rôles dans cette maison, quel serait le prochain qui vous ferez envie ?
Oui, Cyrano bien sûr, je le porte encore en moi. Ayant tâté Molière évidemment, j’ai envie d’y retourner. Puis, il y a des personnages dans Shakespeare qui m’attirent beaucoup comme Richard III qui serait dans une continuité des monstres… pour essayer de comprendre un peu comment cela fonctionne.
Et il-y-a t-il un désir voire un projet de mise en scène à la Comédie-Française ?
Je vais proposer des projets, mais tout d’abord, je vais m’occuper des élèves comédiens cette année, nous présenterons en juillet au Vieux-Colombier une pièce que j’ai commandée à un ami auteur, Rémi De Vos. J’espère, je l’avoue, que ce sera le départ de quelque chose au Vieux-Colombier. Bien entendu, la mise en scène m’intéresse et j’espère y revenir, ici ou ailleurs…
Il y a donc Tartuffe, un film et quand est-ce qu’on vous revoie à la Comédie-Française ?
Nous allons reprendre Le songe d’une nuit d’été où j’interprète Obéron, le roi des elfes juste après Tartuffe, et l’année prochaine je ne sais pas encore, mais les projets ne manquent pas !
Propos recueillis par Marie-Laure Atinault et Angélique Lagarde
Comédie-Française – Salle Richelieu
1 place Colette
75001 Paris
Réservations au 08 25 10 16 80