Bilan du Festival d’Avignon et tournées à Paris et Strasbourg par Angélique Lagarde
Posté par angelique lagarde le 7 août 2014
Religieuse à la fraise © Christophe Raynaud de Lage
Quelle poétique aujourd’hui ?
Nouvelle édition du Festival d’Avignon, nouveau directeur en la personne d’Olivier Py et nouvelle lutte des intermittents, toutes ces nouveautés et peu de risques pourtant… On attendait une ligne nouvelle, Olivier Py prônant la poétique, il l’a conviée certes, mais la verve était plus celle de Gautier que d’Aragon. Le festival en dépit de ce que les médias ont propagé n’a pas été véritablement perturbé, si ne n’est par l’orage. Quant à l’intermittence, il faudra attendre septembre pour avoir une réponse. Voici donc en attendant, nos hauts et nos bas, nos coups de cœurs et mises en garde et leurs dates de tournées respectives en Ile-de-France et en Alsace d’août 2014 à mai 2015. Vous pouvez également consulter nos précédentes critiques sur Le Prince de Hombourg, Huis et La Famille Schroffenstein dont vous retrouverez les dates de tournées en fin d’article. A vos agendas !
Religieuse à la fraise
Par Kaori Ito et Olivier Martin-Salvan
Vu au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph / sujet à vif du Festival d’Avignon
Du 7au 9 août à La Dynamo à Pantin dans le cadre du Festival Paris Quartier d’été
La plume et le plomb
Une fable contemporaine, une douceur comme son titre l’indique. Le désir d’être l’autre, de se glisser dans son corps fut le point de départ de ce projet. Kaori Ito, petite, mince et svelte se hisse sur la montagne que lui offre la masse corporelle d’Olivier Martin-Salvan. La jeune chorégraphe a déjà un beau parcours, elle a notamment collaboré avec Alain Platel pour Out of Context. For Pina et Aurélien Bory dont elle co-signe la chorégraphie de son portrait dansé Plexus. Kaori Ito transmet le langage des gestes à Olivier Martin-Salvan, comédien à la présence rare, et tous deux parviennent à communiquer dans une véritable intelligence, à apercevoir cet autre qui questionne, qui attire par sa différence. Tout ce qui est exprimé dans cette parenthèse enchantée de trente minute en dit aussi long qu’un discours de Martin Luther King. C’est juste, puissant et drôle de surcroit ! Un remède à la xénophobie. A voir, vite !
Orlando ou l’impatience © Christophe Raynaud de Lage
Orlando ou l’impatience
Texte et mise en scène d’Olivier Py
Vu à La FabricA / Festival d’Avignon
Les 5 et 6 mars 2015 au Forum du Blanc-Mesnil
Du 8 au 18 avril au Théâtre de la Ville à Paris
Théâtre m’entends-tu ?
Nouveau directeur du Festival d’Avignon, mais néanmoins accoutumé des lieux puisque souvent convié à y présenter ses créations, Olivier Py a conçu Orlando ou l’impatience pour La FabricA, salle de facture très contemporaine inaugurée l’an passé. Il y est question de théâtre avec un grand « T », de poétique au sens premier, de philosophie, de politique et de filiation, de lui en somme. En effet, cette œuvre très autobiographique, n’est pas sans nous rappeler Théâtres, pièce de jeunesse, mais dans une écriture plus vive, plus moderne, presque novarinienne.
Pierre-André Weitz qui a conçu scénographie, décor, costumes et maquillage a su parfaitement rendre compte de tous les aspects de ce théâtre en construction, à tel point que l’on a le sentiment d’être projeté dans la représentation mentale d’Olivier Py. Ajoutons que pour parfaire cette projection, d’excellents comédiens servent ce texte dédié à l’art dramatique. Dans le rôle d’Orlando, Matthieu Dessertine a fait l’unanimité ; il est tout simplement ce jeune homme en quête de père qui va subir déception sur déception jusqu’à s’écharner, mais aussi jusqu’à se rencontrer enfin, faire sa propre connaissance dans l’âge avancé. Cette dimension philosophique de la pièce est renforcée par la série de personnages que campe le fabuleux Jean-Damien Barbin : le professeur de diction fou, le directeur de cabinet fou, l’apnéiste fou, l’affirmatologue fou, le théâtreux fou…Oui en un mot il est le fou, le dérangé, mais aussi le fou du roi, le bouffon, celui dont on a besoin aussi pour rire et exulter, parce que oui, Orlando ou l’impatience est entre autres, une comédie ! Mireille Herbstmeyer apporte également un ressort comique de la pièce dans le rôle de la grande actrice, la mère d’Orlando qui sera questionnée de manière récurrente et qui finalement ne sait peut-être pas bien elle-même qui est le père…
Toute quête initiatique croise le chemin de l’amour… Ici il revêt deux entités, Ambre interprétée par la pétillante Laure Calamy et Gaspard par le délicat François Michonneau. L’amour aussi se cherche, se fuit, se retrouve, se perd et se retrouvera peut-être au dernier acte. Et le père dans tout cela ? Le père interprété par le peut-être un peu trop sage Philippe Gérard est à la fois le un metteur en scène, le constructeur, la figure sacrée… parle-t-on du théâtre ou de l’existence ? Quand il fait dire à Orlando « Je veux jouer pour prouver l’existence de Dieu même si je n’y crois pas », Olivier Py poursuit son chemin sur les pas de Claudel et même si ce type de phrases péremptoires ponctuent la pièce, on se prête à croire que la grâce pourrait parfois descendre sur un plateau de théâtre. La dimension politique est traitée également dans les affres de l’art qui se frotte au pouvoir, à travers la figure très dérangeante d’un Ministre qui n’est pas sans rappelé de précédents détenteurs du mandat. On apprécie enfin que la pièce se conclut par la présence de la servante sur scène, la dernière lumière, l’âme du théâtre.
Conclusion, 3h30 de réflexion théâtrale, philosophique et politique, c’est long certes, bavard, mais beau, drôle, bientôt du Claudel mais encore de l’Olivier Py et franchement, c’est à voir !
Lied Ballet © Christophe Raynaud de Lage
Lied Ballet
Chorégraphie de Thomas Lebrun
Vu au Cloître des Carmes / Festival d’Avignon
Du 1er au 4 avril 2015 au Théâtre National de Chaillot à Paris
Portrait d’une sombre famille
Souffrance, angoisse, convulsions, pauses arrêtées, mouvements schizophréniques sur une musique agressive, voici en quelques mots les premiers instants de Lied Ballet. Poursuivons, poursuivons, il semblerait que l’on veuille nous dire quelque chose, c’est inaudible, peut-être nous prévenir qu’il faut regarder tout ceci avec beaucoup de recul pour comprendre cette parodie populaire de danse contemporaine par des interprètes néanmoins virtuoses… Les intentions ne sont pas claires. Le ténor Benjamin Alunni fait son entrée. L’harmonie de son Lieder accompagné au piano par Thomas Bernard se propage, Berg, Mahler, Scelsi et Schönberg sont convoqués, cela aurait pu mais ce n’est pas transcendant, agréable tout de même. Revenons à la danse… Les danseurs sont plus calmes, beaucoup plus calmes, tels les membres d’une famille endeuillée… qu’elle est longue cette heure ! A voir pour les amateurs de décalage spatio-temporel, sinon s’abstenir.
Coup fatal @ Christophe Raynaud de Lage
Coup fatal
Sur une idée de Serge Kakudji et Paul Kerstens
Direction artistique d’Alain Platel
Direction musicale de Fabrizio Cassol et Rodriguez Vangama
Vu à la Cour du lycée Saint Joseph
Les 12 et 13 mai 2015 au Maillon à Strasbourg
Le 19 mai à l’Apostrophe, Scène Nationale de Cergy-Pontoise
La générosité à l’état pur !
Quelle belle soirée ! Le chorégraphe Alain Platel nous fait la joie d’être là où on ne l’attend pas avec ce merveilleux spectacle Coup fatal qui met en scène et en musique le contre-ténor congolais Serge Kakudji entourés de musiciens et danseurs d’une énergie débordante. C’est beau, généreux, aucun discours n’est nécessaire pour apprécier l’œuvre qui s’offre dans son immédiateté à un public d’abord interloqué, puis séduit, puis debout ! Même si la finalité est plus de l’ordre du concert que de la représentation chorégraphique, qu’importe c’est du spectacle, c’est du vivant et la grande générosité qui s’en dégage n’en altère pas le talent des interprètes. A écouter les yeux grands ouverts !
At the same time…@ Christophe Raynaud de Lage
At the same time we were pointing a finger at you, we realized we were pointing three at ourselves
Vu au Gymnase du lycée Aubanel / Festival d’Avignon
Le 18 mars à la Ferme du Buisson, Scène Nationale de Marne-la-Vallée
Du 25 au 29 mars 2015 au Théâtre de la Ville à Paris
Les 11 et 12 avril au CENTQUATRE à Paris
L’antithèse
Tout ce que nous avons pu apprécier dans Coup fatal en est l’exact opposé. Prononcer le titre du spectacle est à l’image du labeur d’y assister. Si nous le traduisons littéralement cela donnerait quelque chose comme « Au moment-même où nous pointions un doigt vers vous, nous réalisions que nous en pointions trois vers nous-même » ce qui n’a aucun sens, à l’image de la proposition… Si ce n’est se regarder, ce que fait très bien la chorégraphe sud-africaine, mais pourquoi convier du public ? Pour lui faire croire qu’on s’intéresse à lui en l’escaladant ? Pour lui servir de la soupe démagogique en lui disant que grâce au spectacle le gentil pauvre africain est aujourd’hui une star qui fait le tour du monde ? Pour utiliser la pseudo modernité d’une vidéo d’i-phone pour « interagir » avec lui ? Stop, nous commençons à avoir la nausée… En somme, à éviter !
Falstafe © Christophe Raynaud de Lage
Falstafe
De Valère Novarina, d’après Henry IV de William Shakespeare
Mise en scène de Lazare Herson-Macarel
Vu à la Chapelle des Pénitents Blancs / Festival d’Avignon
Les 7 et 8 avril 2015 au Théâtre Luxembourg de Maux
Du 15 au 25 avril 2015 au Théâtre Paris-Villette à Paris
Rabelais dans une friche
Lazare Herson-Macarel s’attaque à l’adaptation très libre de Novarina d’Henry IV de Skakespeare. Le texte est brillant, la mise en scène surprend ! La langue est grasse, à l’image de ce Falstafe qui a quelque chose de Pantagruel tandis que la scénographie a des allures de friche artistique. Evidemment, tout ceci peut interloquer mais ne manquons pas de rappeler qu’il s’agit d’une proposition jeune public à prendre comme telle et donc à priori tout à fait adaptée à la cible par son décalage et son ingéniosité. L’ascension et la chute de Falstafe amuseront les enfants comme leurs parents. La mise en scène est dynamique, les comédiens tous justes, c’est bien fait, le parti pris est audacieux mais respecté de bout en bout, que demandez de plus ? A voir !
Le Prince de Hombourg sera présenté du 5 au 14 février 2015 aux Gémeaux, Scène Nationale de Sceaux
Huis sera présenté les 28 et 29 novembre 2014 au Maillon à Strasbourg
Il n’est pas encore prévu de reprise pour La Famille Schroffenstein.
L’intégralité des dates de tournées est consultable en ligne : www.festival-avignon.com
Pour connaître les points de vue des différentes rédactions, retrouver la vidéo de notre conversation critique « Esprit critique, es-tu là? » organisée par le Syndicat de la Critique Dramatique le 15 juillet : http://www.festival-avignon.com/fr/ateliers-de-la-pensee/2014/esprit-critique-es-tu-la