Sélection Théâtre – Avignon Off par Angélique Lagarde
Posté par angelique lagarde le 25 juillet 2014
30/40 Livingstone
Qualité et éclectisme
Drame, tragédie, comédie, tout public, jeune public, seuls en scène… la somme des propositions théâtrales du Festival Off aurait tendance à effrayer. Aussi Kourandart vous propose invite à partager ses coups de cœur. Afin de vous transmettre, la qualité et l’éclectisme que nous avons pu apprécier lors de cette édition 2014, voici notre dernière sélection (à laquelle s’ajoutent bien entendu les critiques de nos différents rédacteurs en amont et en aval de cet article) : 30/40 Livingstone au Théâtre La Luna, Les Cavaliers au Théâtre Actuel, Fuck America au Grand Pavois, Les tribulations d’Ana à l’Alibi Théâtre, Perrault, ça cartoon au Cinevox et Chiwawa au Théâtre de l’Ange.
30/40 Livingstone écrit, mis en scène et interprété par Sergi López et Jorge Picó au Théâtre La Luna à 19h25 jusqu’au 27 juillet – Théâtre, Tout public – Coup de coeur
30/40 Livingstone est la seconde collaboration de Sergi López et Jorge Picó qui se sont rencontrés sur les bancs de l’Ecole Jacques Lecoq en 1990 et depuis ne se sont jamais perdus de vue. Leur premier essai en 2005 fut un coup de maître, Non Solum, monologue de création dirigé par Jorge Picó et interprété par Sergi López connut un vif succès en Espagne. Quel pari et quel bonheur de découvrir dans le cadre du Festival Off Avignon, la nouvelle folie de ce partenaire de longue date de Philippe Genty et de cet acteur fabuleux que nous ne présentons plus.
Sergi Lopez, l’explorateur annonce à son père qu’il a décidé de tout quitter pour se consacrer à sa passion qui le hante jour et nuit, la « recherche », non pas la recherche universitaire mais réellement l’appréhension du monde, la quête du sens de l’existence. Son père en plein visionnage d’un match de tennis n’est pas très réceptif à ses états d’âme et c’est alors que notre chercheur s’aperçoit que la vie de ses parents est figée dans un espace temps qu’il doit fuir de toute urgence. Il part, il part loin et longtemps, jusqu’à ce qu’il rencontre… l’autre. L’un est fort, viril, impulsif et terrien, c’est l’homme, l’autre est délicat, élégant, curieux et d’une légèreté infinie, c’est l’animal. 30/40 Livingstone, ode à la vie, à l’humour et au tennis retourne tous les préjugés en un revers. Saisissez la balle au bond et ne manquez pas la perle rare du festival !
.
Les Cavaliers © Sabine Trensz
Les Cavaliers d’après le roman de Joseph Kessel – Mise en scène d’Eric Bouvron et Anne Bourgeois au Théâtre Actuel à 10h15 jusqu’au 27 juillet – Théâtre, Tout public – Coup de cœur
Eric Bouvron multiplie les talents. Il signe ici l’adaptation du roman éponyme de Joseph Kessel et nous transporte dans les steppes d’Afghanistan où la vie est aussi aride que le climat, les codes et les lois de la terre, de la religion et de l’honneur guidant l’existence des hommes. Ouroz, jeune et intrépide participe au plus grand tournoi d’Afghanistan de Bouzchaki, une discipline extrêmement violente où des cavaliers risquent leurs vies et celles de leurs montures. Il doit pour l’honneur des siens remporter ce tournoi au péril de tout, pour ne pas décevoir son champion de père, le grand Toursène. Bien entendu, la course va mal tourner et la jambe brisée, accompagné de son cheval fou et de son fidèle serviteur, il devra parcourir le chemin semé d’embuches qui le ramènera chez lui. Cette quête initiatique lui fera dépasser ses limites et parfois franchir celles de l’humanité.
La mise en scène qu’Eric Bouvron a co-signé avec Anne Bourgeois est un bijou d’ingéniosité. Un tabouret donne corps à Jéhol, la fabuleuse monture d’Ouroz tandis que de belles étoles rehaussées par un éclairage chaud et la stupéfiante création sonore en direct de Khalid K nous transportent dans les steppes. Ariane Mnouchkine, l’un des maîtres d’Eric Bouvron semble lui avoir transmis sa magie de l’artifice, sa maîtrise de l’objet scénique dans l’économie de moyens. De surcroît, tour à tour, narrateur, serviteur et père du cavalier, le metteur en scène se trouve être également un interprète de talent. La jeune Maïa Guéritte compose avec justesse l’élément féminin, beau, sauvage, fourbe et dangereux. Enfin, Grégori Baquet qui vient de recevoir le Molière de la révélation théâtrale pour Un obus dans le cœur de Wajdi Mouawad, est définitivement un grand comédien. Jospeh Kessel n’aurait probablement pas imaginé Ouroz autrement. Un spectacle, fort, dur, éprouvant, pour les amateurs de bel ouvrage, à voir absolument !
.
Fuck America d’après le roman éponyme d’Edgar Hilsenrath au Grand Pavois à 12h10 jusqu’au 27 juillet – Théâtre, Ado-Adulte (à partir de 13 ans) – Coup de Coeur
Signer une mise en scène à la hauteur de ce texte brillamment adapté par Vincent Jaspard était un défi de taille, relevé par une équipe de comédien prêt à en découdre avec l’argot new-yorkais : Corinne Fischer, Bernard Bloch, Vincent Jaspard et un excellent violoniste, Thomas Carpentier. En effet, le récit est cru « brut de décoffrage », à l’image de son personnage central. De forte influence autobiographique, Fuck America d’Edgar Hilsenrath auteur également du célèbre Le nazi et le barbier, retrace le parcours d’un juif allemand immigré aux Etats-Unis après la Seconde Guerre Mondiale, après une attente de 13 ans pour obtenir un visa américain, après le ghetto… La langue est incisive, les propos parfois dérangeants et tout confère à donner vie à cet homme dans toute l’entièreté de ses faiblesses psychiques et physiques. Ce n’est pas un compte rendu théorique mais une parole vive qui lui permet d’exorciser ce que la guerre a fait à son âme et à son corps.
Bukowsky n’est pas loin, Woody Allen non plus… Comment retranscrire sur le plateau cette œuvre à la croisée des chemins sans tomber ni dans le pathos, ni dans le vulgaire et surtout pas dans l’intellectualisation ? La réponse scénique des quatre interprètes paraît alors évidente : la sobriété. Dans une économie de décor, d’accessoires, la lumière et la musique du violoniste Thomas Carpentier créent l’atmosphère idéale à ce spectacle qui ne fait pas économie de talent. A voir et à revoir !
.
Les tribulations d’Ana librement inspiré de l’ouvrage d’Anna Sam Les tribulations d’une caissière – Mise en scène de Sébastien Rajon à l’Alibi Théâtre à 17h15 jusqu’au 27 juillet – Théâtre, Tout public (à partir de 10 ans) – Coup de cœur
Ana c’est Anna Sam, étudiante en DEA de Lettres Modernes qui a pris un emploi de caissière pour pouvoir financer ses études. Chaque jour, elle rencontre la fine faune de la société, le soir elle a besoin d’exulter, naît alors son blog « la blogueuse des hypers » dont le succès dépasse toutes ses attentes. Elle se fait le miroir de ces employés, caissières certes, mais pas que, tous ces emplois de service qui sont confrontés au mépris et à l’intolérance, quand le minimum à leur attention serait de la considération, d’être à être. Sa verve incisive, son humour piquant séduisent et le livre Les tribulations d’une caissière caracole en tête des ventes.
Vica Zagreba, comédienne et Sébastien Rajon, metteur en scène adaptent cette parole vive à la scène. En une heure, nous est dressé le portrait type de l’étudiante qui a besoin d’un petit boulot, l’employeur despotique, l’animateur de vente pathétique et le panel des clients, du charmant au condescendant, une série de clichés qui malheureusement sont l’exact copie de la réalité, et cela libère d’en rire parfois, alors pourquoi s’en priver ? A voir avec ses collègues !
.
Perrault, ça cartoon de et par Stéphane Roux – Mise en scène de Tristan Petitgirard au Cinévox à 12h15 jusqu’au 27 juillet – Théâtre, Tout public (à partir de 5 ans) – Coup de cœur
Une excellente idée, aujourd’hui un « classique » du festival d’Avignon, Perrault, ça cartoon est un des spectacles tout public les plus malins qu’il nous ait été donné de voir ! Accompagne d’un pianiste (Samuel Sené ou Julien Mouchel), Stéphane Roux se fait le narrateur et interprète de tous les personnages de cinq contes de Perrault adapté à la façon « cartoon » (dessin animé type Tex Avery). Et alors petits et grands rient à gorgent déployée de retrouver ou de faire connaissance avec le chat botté avec la même malice que dans le film d’animation Shreck et son compagnon l’âne. De même la version « manga » de Barbe bleue est stupéfiante. Quant à la précision du théâtre d’ombre pour les fées, elle est saisissante.
Ce touche à tout qui prête régulièrement sa voix au cinéma de fiction ou documentaire nous emmène dans un tourbillon d’aventures sur le fil de son arc qui a bien plus d’une corde ! De surcroît, l’hommage à Perrault est totalement revendiqué, dans le costume, la scénographie et bien entendu dans l’énonciation de la morale qui clôt chaque conte. Inventif, intelligent, à voir en famille, puis y retourner entre amis, puis avec de nouveaux amis !
.
Chiwawa d’Aude Lener et Marie-Laure Malric au Théâtre de l’Ange à 19h15 jusqu’au 27 juillet – Théâtre, Tout public
Sous-titrée « Vos plus beaux souvenirs ne meurent jamais », cette comédie d’Aude Lener et Marie-Laure Malric prend comme point d’appui la réincarnation pour permettre à leurs interprètes d’endosser différents rôles. Nostalgie, Estelle et Bernard tissent des perruques qui se feront les supports de leur souvenir pour reconstruire mèche à mèche leurs existences et ainsi recouvrer la mémoire pour passer à une autre vie.
Le spectacle s’est construit à partir d’improvisations sur des thématiques sociétales très diverses comme le rapport à l’autre avec un saynète très drôle sur un stage d’endurcissement psychique, la solitude et ici celle en l’occurrence d’une institutrice dont le seul loisir est de recevoir ses parents le week-end, le bio, la chirurgie esthétique… Le fil conducteur est mince et les sujets plus qu’éculés, aussi peut-être qu’une succession de sketchs plus assumée fonctionnerait mieux. Aude Lener, Eugénie Ravon et Sébastien Perez déploient donc une belle énergie pour défendre cette histoire qui n’en est pas une et on assiste tout de même à de jolis moments de fulgurance. A voir avec beaucoup de légèreté !
Angélique Lagarde