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Goya et la modernité à la Pinacothèque de Paris par Marie DB

Posté par angelique lagarde le 13 février 2014


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Enfants se battant pour des châtaignes © Photo : Dénes Józsa
Série de petits tableaux Scènes de jeux d’enfants 3/6
c. 1777-1785
Huile sur toile, 30,5 x 43 cm
Musée des Beaux-Arts, Budapest

Goya et la modernité
A la Pinacothèque de Paris jusqu’au 16 mars 2014

Le fantasme de Goya

La multiplication des expositions monographiques ou thématiques sur le peintre espagnol Francisco de Goya (1746 – 1828) , témoigne de la fascination de notre époque pour son personnage à la fois peintre du Roi Charles III d’Espagne et de l’aristocratie bourbonnaise, et dévoué à la dénonciation des injustices. Cette quasi permanence muséale du peintre et graveur espagnol s’affiche dans les institutions publiques comme privées, du Petit Palais au Musée d’Orsay en passant aujourd’hui par la Pinacothèque. Elle rend compte autant de l’ambigüité d’un homme entre ses envies de confort facile et ses besoins de stigmatiser l’indécence, que du fantasme collectif de l’artiste engagé dans une époque d’inégalités sociales et de barbaries renouvelées. Goya était un activiste enragé. Goya était un royaliste insurgé. Parler de Goya aujourd’hui, c’est aborder l’humaine complexité et le contemporain complexé. A l’heure des opportunistes politiques, des discours subversifs et de l’individualisme forcené du monde contemporain, c’est surligner la pertinence remarquable et réactualisée de son œuvre critique. Voilà une exposition pertinente qui taquine en chacun la part d’affliction équivoque face aux boucheries de la nature humaine.

 

Saluons le choix du commissaire d’exposition de ne pas éclaircir le black cube oppressant des murs du lieu quand le noir et blanc de la gravure est dominant. Nous pénétrons ainsi l’imaginaire de l’artiste dans sa mélancolie profonde, sombre, torturée, guidés par un éclairage discret non loin du chemin de bougies, suivant une procession où chaque toile joue la veilleuse. La gradation chronologique du pathos de sa production fait le squelette de l’exposition. Alternant peintures et gravures sur même fond de dénonciation des horreurs de la guerre, de l’indicible de la misère et de la barbarie ordinaire, entre explicite et implicite, couleurs et nuances se disputent la dramaturgie du discours. La critique est acerbe : tout le monde et tout y passe. Goya nous montre cléricaux et profanes grimaçants au pouvoir avilissant, cercles impies des prétentiards de la parole divine, adorateurs de perroquets, violeurs de bourgeoises esseulées, vampires alcooliques de leurs petites reliques, aux heures des mâtines déjà souillées. La vulnérabilité de l’Homme s’impose et s’expose, comme autant de portraits de Dorian Gray en puissance. De la torture du démembrement aux vilaines ecchymoses, des saintes familles immaculées de foi aux familles saintes maculées de sang, il y a quelque chose d’insupportable dans cette récurrence du vil, du sale, du malsain, du dépeçage, de la viande du peuple en putréfaction, de l’humiliation, de la souffrance dans la production, auquel le choix des œuvres fait écho. En effet, la surabondance des gravures, où la lisibilité demande un travail accru de l’œil, fait défaut. Trop d’épreuves sont difficiles à soutenir, qu’elles soient une morsure sur plaque ou une blessure de corps, d’esprit ou d’égo. Quel dommage que ce soit presque ravis du défilé des portraits royaux que nous finissons la visite, d’un élan pressé, alors que s’étalent d’intéressants désastres congénitaux !

La modernité de Goya, c’est d’avoir su saisir les affres permanentes du réel, cet instinct auto-destructeur de l’Homme qu’il décline à tous les canons. Caprices et folies du mariage, de l’éducation, des politiques, de l’Eglise obscurantiste et d’autres systèmes d’organisation ne sont que les fondations de l’absurdité d’un monde qui a faussement évolué. Les soldats sont avachis, comme nous devant la télévision, mais se délectant du spectacle de pendus aux culottes pendantes avec la nonchalance fière du travail bien fait et d’un devoir accompli. La médiocrité des élites corrompues se relaie en eaux-fortes, de pointes sèches en aquatintes, pour mieux se faire sanguine, comme un manifeste de nos désaccords. L’artiste espagnol n’épargne pas même ces jeux d’enfants où, la candeur apparente des bagarres rougies par le pinceau, l’innocence s’estompe pour laisser jaillir le filigrane douloureux de la projection guerrière, le malaise de l’avenir belligérant et mortifère, qu’un enfant seul, toujours en retrait dans l’image, observe. Que cet enfant soit le peintre lui-même, témoin de son temps, ou nous, spectateurs impuissants à l’abris en hors-champ, il intronise son œuvre comme la catharsis de nos propres traumas. L’erreur est dans l’horreur, et l’horreur est dans l’erreur : il y a autant de responsabilité dans l’acte que dans la passivité complice du passant. Goya exorcise ses fantômes dont nous parlait déjà le film percutant de Milos Forman, Les fantômes de Goya. Mais ce sont des fantômes qui s’avèrent être encore les nôtres, malheureusement.

En gage indiscutable de pertinence et d’intelligence, il nous faut retenir cette force du verbe qui travaille l’œuvre virulente de l’artiste : tel un agent du marketing du pathos, Goya exploite le rapport entre le texte et l’image, connivence entre sa main indicatrice et son discours accusateur. En effet, les titres emphatiques et fatalistes sont parfaitement reçus par le public contemporain : Personne ne viendra à leur secoursVaines lamentationsInutile de crierC’est pour cela que vous êtes nésEnterrer et se taire - La même chose en d’autres lieuxC’est insoutenable… Tel un stratège des sous-titres, le peintre espagnol se pose comme la figure de proue de notre époque d’hypermédiation et d’hypermédiatisation de tout, où la communication visuelle est souvent le premier lien entre les individus. Focus substantiel sur cet insurgé du clair-obscur du monde à la fois soucieux d’humilité et de compassion entre les hommes, Goya et la modernité nous livre l’étendue de la puissance humaniste d’un seul par le truchement de la main de ce regard du XIXème siècle, soulignant la nécessité du modèle d’humanité aujourd’hui et la consécration d’un modèle d’artiste engagé. En manquerions-nous ?

Marie DB

Pinacothèque de Paris

28 Place de la Madeleine
75008 Paris
Renseignements au 01 42 68 02 01

 

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