MCBTH par Guy Cassiers et Des arbres à abattre de Thomas Bernard – La rentrée du TNS par Angélique Lagarde
Posté par angelique lagarde le 16 octobre 2013
MCBTH © Kurt Van Der Elst
MCBTH
D’après Macbeth de William Shakespeare
Composition musicale de Dominique Pauwels
Mise en scène de Guy Cassiers
Au Théâtre National de Strasbourg du 2 au 6 octobre – en tournée
Des arbres à abattre
De Thomas Bernhard
Un projet de Claude Duparfait et Célie Pauthe
Au Théâtre National de Strasbourg du 3 au 19 octobre
L’art total de Guy Cassiers et l‘humour au vitriole de Thomas Bernhard
Le Théâtre National de Strasbourg débute sa saison par deux spectacles diamétralement opposés, le théâtre élisabéthain métamorphosé en art total par la mise en scène de MCBTH de Guy Cassiers et le théâtre de conversation de Thomas Bernarhd dans Des arbres à abattre porté à la scène par Claude Duparfait et Célie Pauthe. Les adeptes de la fantasmagorie prendront autant de plaisir que les aficionados de l’humour finement teinté au vitriole, quant au curieux, ils pourront déguster les deux avec gourmandise.
L’art total de Guy Cassiers
Si la maîtrise absolue de l’espace scénique n’est plus à démontrer chez le Guy Cassiers, c’est un véritable objet d’art total qu’il nous livre ici. MCBTH est une sorte d’élixir du Macbeth de Shakespeare, les sorcières annoncent à Macbeth qu’il deviendra roi et que Banco engendrera des rois, la soif de pouvoir de son épouse Lady Macbeth le pousse à une folie meurtrière, peu à peu il s’enferme dans la démence et la solitude… jusqu’à la mort.
Les voix des sorcières se font entendre par les tonalités de l’orchestre en fosse tandis que des bribes de lumières jaillissent d’un mur de lattes de bois (qui n’est pas sans rappeler le travail de Guy Cassiers sur Phalanx, une collaboration avec l’artiste vidéaste Kurt d’Haeseleer, installation artistique sur le pouvoir de la politique en lien avec son triptyque autour de L’Homme sans qualités). Cette création réalisée conjointement par le metteur en scène flamand et le compositeur Dominique Pauwels annonce ainsi dès les premiers instants la double emprunte du théâtre et de la musique.
Au fur et à mesure de l’intrigue, certes réduite à sa substantifique moelle, la scénographie évolue en résonance. Ainsi le plancher va craquer jusqu’à ce que le mur se rapprochant dangereusement le brise totalement, les projections se feront de plus en plus schizophréniques tandis que la robe de Lady Macbeth s’assombrira. Chaque élément du décor et des costumes traduit la progression vers la folie meurtrière des époux Macbeth. Au fil des spectacles, Guy Cassiers nous habitue à sa langue, le néerlandais, néanmoins si la partition n’est jouée dans la langue de Shakespeare, nous pourrions regretter le statisme des comédiens qui n’emplit pas suffisamment cette superbe œuvre d’art total et ne restitue pas toute la splendeur du plus beau monologue du théâtre qui résume la vie en la plus éphémères des oeuvres, « un récit, plein de bruit, de fureur, qu’un idiot raconte, et qui n’a pas de sens ».
Des arbres à abattre © Elisabeth Carecchio
L‘humour au vitriole de Thomas Bernhard
Thomas Bernhard a vécu si longtemps à Londres en quittant son Autriche natale qu’on pourrait le croire le digne descendant d’Oscar Wilde, d’aphorismes en sentences, la fine société est passée au crible d’une langue aussi douce à l’oreille qu’acerbe dans le propos. Des arbres à abattre est une oeuvre particulière dans la carrière de l’écrivain, férocement autobiographique, elle lui valut à combattre la censure et les victimes de ses mots. Bien évidemment, l’écrivaine, le couple bourgeois et la suicidée ont bel et bien existé dans la vie de Thomas Bernhard, l’heure n’est plus à estimer la véracité des propos mais à se délecter de sa résonance et de son actualité.
Le narrateur se tient dans le « fauteuil à oreilles » où il va entamer un long monologue qui couvrira la moitié de la pièce pour nous donner à entendre les tenants et aboutissants de cette société bourgeoise autrichienne, son évolution des années cinquante aux années soixante-dix et surtout ses liens avec cette étrange assemblée qu’il retrouvera au dîner artistique auquel il est convié : le couple de féru d’art sous toutes ces formes, lui compositeur, elle, épouse du compositeur, l’écrivaine et le comédien célèbre. Doit-il se rendre à ce dîner ? Qui était véritablement Joana, l’amie disparue ? Change-t-on ? Autant de questions qui perturbent notre narrateur et nous donnent l’eau à la bouche. Nous avons hâte de faire la connaissance des convives…
L’écriture de Thomas Bernhard allie la finesse de l’humour d’Oscar Wilde à cette rigueur toute autrichienne pour nous offrir un cocktail aussi délicieux qu’acide. La mise en espace qu’ont organisée Claude Duparfait et Célie Pauthe est tout à fait en adéquation avec la pièce : le « fauteuil à oreilles », un superbe piano à queue qui trône au milieu du salon comme l’art trône au cœur de ce microcosme et ce plancher aussi bancal que la société dans laquelle les protagonistes évoluent. Le jeu de Claude Duparfait mériterait peut être un brin de puissance supplémentaire mais avouons que ce monologue est un véritable exercice de style et saluons les deux interprètes féminines de ce spectacle qui rivalisent de justesse : Hélène Schwaller et Annie Mercier.
Angélique Lagarde
Egalement à l’affiche depuis le 10 jusqu’au 19 octobre Hannibal de Grabbe dans la mise en scène de Bernard Sobel
Lire l’article d’Irène Sadowska Guillon
Théâtre National de Strasbourg
1 avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg