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Hannibal de Christian Dietrich Grabbe – Mise en scène de Bernard Sobel au TNS par Irène Sadowska Guillon

Posté par angelique lagarde le 9 octobre 2013

Hannibal de Christian Dietrich Grabbe - Mise en scène de Bernard Sobel au TNS par Irène Sadowska Guillon dans Spectacles hannibal_10_photo_herve_bellamy-300x300

Hannibal © Hervé Bellamy

2 invitations à gagner les 10, 11 et 12 octobre - renseignements à contact.kourandart@gmail.com

Hannibal
De Christian Dietrich Grabbe
Mise en scène de Bernard Sobel
Décor de Lucio Fanti
Avec Sarah Amrous, Jacques Bonnaffé, Romain Brosseau, Eric Castex, Pierre–Alain Chapuis, Laurent Charpentier, Simon Gauchet, Claude Guyonnet, Jean-Claude Jay, Yann Lefeivre, Vincent Minne, Anaïs Muller, François-Xavier Phan, Tristant Rothhut et Gaëtan Vassart.
Au Théâtre National de Strasbourg du 10 au 19 octobre

Au bout du possible

Après avoir monté en 1996 Napoléon ou les cent jours de Christian Dietrich Grabbe (1801-1836) Bernard Sobel crée Hannibal du même auteur. Relevant le défi de ce théâtre hors normes, réputé injouable, il nous fait redécouvrir cet auteur allemand contemporain de Büchner, toujours quasi inconnu sur nos scènes, dont l’œuvre autant par son esprit que par son écriture devance son époque, traçant déjà les grandes lignes de l’expressionnisme du XXème siècle. Si dans Hannibal on suit le parcours du général carthaginois qui au IIème siècle av. J.-C a fait trembler Rome, d’Italie en Espagne, de Carthage en Asie Mineure, jusqu’à son suicide et à la prise de Carthage par Scipion l’Africain, il ne s’agit pas d’une pièce historique. Grabbe y fait un détour par le conflit qui oppose Rome et Carthage se disputant l’hégémonie sur le monde méditerranéen pour réfléchir sur l’Europe du début du XIXème siècle d’après Waterloo, traversée par l’éveil des nations, secouée par les luttes politiques et sociales. Avec une extrême lucidité et une totale absence d’illusions et d’espoir, il interroge l’histoire, le sens de l’État, l’impérialisme, le rôle des peuples et des grandes individualités dans l’histoire. trans dans Théâtre

Sur le plateau nu, au sol quelques marches stratifient l’aire de jeu. Aucun élément scénique hormis, apparaissant à certains moments, des toiles peintes évoquant divers lieux : porte d’entrée dans Carthage, porte avec deux tours, une louve avec Romulus et Remus pour indiquer Rome, et un grand voile blanc flottant dans l’espace dans la séquence sur le bateau. Au fond du plateau une grande toile blanche servant à jouer certaines situations en ombres chinoises. C’est dans cet espace unique et démultiplié que Bernard Sobel concentre l’incroyable épopée du héros carthaginois qui défia Rome. Si on n’en retient communément que sa traversée des Alpes avec ses troupes et ses éléphants et sa victoire sur les Romains à Cannes, Christian Dietrich Grabbe déroule dans sa pièce l’ensemble de sa campagne tout en prenant des libertés avec l’histoire, la chronologie des événements et des personnages.

On est d’abord à Carthage. Alors qu’Hannibal victorieux mais avec des troupes décimées, replié à Capou, attend les renforts, à Carthage on attend l’arrivée de la caravane des marchands, le trio de dirigeants intrigue, chacun essayant de tromper l’autre, de l’évincer du pouvoir, et tous les trois jaloux de la popularité d’Hannibal, temporisent, mégotent sur les renforts à lui renvoyer. Hannibal qui n’est pas dupe de ce jeu politique, attend pour avancer l’armée conduite par son frère Hasdrubal qui, pour le rejoindre, suivra la même route à travers les Alpes où il sera écrasé par les Romains.

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Hannibal © Hervé Bellamy

Le sort d’Hannibal est-il désormais scellé ? Sa défaite, sa mort sont elle inévitables ? Même s’il l’envisage sans illusions Hannibal ne renonce pas et va au bout du possible. Puisqu’on ne sait rien de l’avenir et que tout est possible, il persévère. Hannibal ne croit ni en la fatalité ni en un au-delà. Pour lui tout dépend des choix, bons ou mauvais, des uns et des autres. Ce sont ces choix et nos actes qui donnent un sens qu’elles n’ont pas à notre vie et à notre mort. Souverain, Hannibal affirme sa liberté en choisissant sa mort, le suicide. Quand face à la mort il dit « nous ne tomberons pas hors du monde puisque nous sommes dedans » il serait en quelque sorte un existentialiste avant la lettre. Cette attitude exclut le tragique, absent autant dans la pièce de Grabbe que dans la mise en scène de Bernard Sobel qui, d’emblée l’installe dans un décalage ironique, parfois quasi grotesque, par rapport aux événements racontés.

Comme si les personnages étaient en même temps acteurs et spectateurs dans ce grand théâtre du monde dans lequel, comme les joueurs d’échecs, ils tendent des pièges à l’adversaire, déploient des ruses, des stratagèmes pour le mettre échec et mat. Ici on n’est pas dans la dénonciation supposant le surplomb de ce monde du jeu des apparences mais en plein dedans, au raz des intérêts, des ambitions, des luttes des individus pour le pouvoir, la richesse ou simplement la survie. Pas de conscience nationale ni politique, pas d’héroïsme non plus dans ce théâtre, contrairement à celui du roi Prusias qui tout en trahissant et en livrant Hannibal aux Romains, compose une tragédie édifiante, convenue, à la gloire du héros.

Bernard Sobel fait advenir sur scène ce monde du jeu des apparences par des moyens et des effets très simples de théâtre et à travers le jeu des acteurs, tous, sauf Jacques Bonnaffé (Hannibal) jouant plusieurs personnages. Les costumes, mélange de contemporain avec des éléments de divers époques (Hannibal en rangers, pantalon, chemise) confèrent à ce théâtre monde une dimension intemporelle, métaphorique. L’extraordinaire fluidité des enchaînements des séquences, la force poétique des images scéniques, l’harmonie du jeu des acteurs à la fois précis et distancié, une maîtrise totale des rythmes et des tensions du mouvement dramatique, sont autant de qualités réunies dans ce spectacle d’exception, libérateur.

Pour Grabbe l’histoire n’a pas de sens et l’avenir est indécidable. C’est cette attitude lucide de l’auteur d’envisager l’avenir sans illusions, plus que jamais nécessaire aujourd’hui, incarnée par Hannibal, que Bernard Sobel révèle dans sa mise en scène limpide, cernant avec une grande rigueur et une économie de moyens la complexité de cette œuvre difficile à dompter. C’est un grand Sobel et un grand théâtre à ne pas manquer.

Irène Sadowska Guillon

Théâtre National de Strasbourg
1 avenue de la Marseillaise
67000 Strasbourg

 

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