De la maison des morts – Opéra de Leoš Janáček – Direction musicale de Marko Letonja – Mise en scène de Robert Carsen à l’Opéra national du Rhin par Angélique Lagarde
Posté par angelique lagarde le 2 octobre 2013
De la maison des morts © François Godard
De la maison des morts
De Leoš Janáček
Opéra en trois actes Livret du compositeur, d’après le roman de Fédor Dostoïevski
Direction musicale de Marko Letonja
Mise en scène de Robert Carsen
Décors de Radu Boruzescu
Costumes de Miruna Boruzescu
Lumières de Robert Carsen et Peter Van Praet
Chorégraphie de Philippe Giraudeau
Dramaturgie de Ian Burton
Avec Nicolas Cavallier, Pascal Charbonneau, Peter Straka, Adrian Thompson, Enric Martinez-Castignani, Patrick Bolleire, Rémy Corazza, Andreas Jäggi, Peter Longauer, Jean-Gabriel Saint-Martin, Gijs Van der Linden, Guy de Mey, Martin Bàrta et Philip Sheffield.
Les Chœurs de l’OnR
Et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg
A l’Opéra national du Rhin
Jusqu’au 5 octobre à l’Opéra de Strasbourg
Et les 18 et 20 octobre à la Filature de Mulhouse
Le duo Letonja/Carsen ressuscite les morts
Dernier volet du cycle consacré au compositeur tchèque Leoš Janáček confié par Marc Clémeur, Directeur de l’Opéra national du Rhin, au metteur en scène Robert Carsen, le choix de De la maison des morts étonne tant par son intrigue en récits de vies brisées que par le lyrisme de sa composition. La direction musicale de Marko Letonja, dynamique, précise et sensible, fait éclore le lyrisme, telle la pierre fendue, la carapace des bagnards se craquèle et l’âme s’échappe. Parmi tous les prisonniers, deux particulièrement marqueront notre attention par la qualité vocale de leurs interprètes, Alexandr Petrovitch Gorjantchikov par Nicolas Cavallier et Aljeja par Pascal Charbonneau. Après nous avoir amusé avec La Petite Renarde rusée, subjugué avec Kat’a Kabanova, Robert Carsen a choisi de clore ce cycle en nous offrant le cri de l’humanité sorti des entrailles de Janáček.
Le livret librement inspiré de l’œuvre de Dostoïevski (1861-1862) Souvenirs de la maison des morts, nous plonge dans un univers de misérabilisme proche de celui des Bas-fonds de Gorki, intensifié par l’univers carcéral d’un bagne de Sibérie. L’opéra débute par un superbe prélude qui revêt presque la forme souhaitée à l’origine par Janáček, celle d’un concerto pour violons. Le plateau est masqué par un immense rideau de fer orné de deux portes, un dispositif impressionnant qui nous évoque le même type de dispositif dont Stéphane Braunschweig avait usé sur cette même scène pour Le Son Lointain de Franz Schreker. Le rideau monte et laisse apparaître une cour de pierres grises où les bagnards eux-aussi vêtus de gris se tiennent figés. Cette teinte sombre crée une atmosphère fantomatique où il est difficile de distinguer chaque prisonnier. Puis tout à coup, un événement trouble cet étrange tableau, « on amène un noble ». C’est l’arrivée d’Alexandr Petrovitch Gorjantchikov, prisonnier politique interprété par l’excellent basse Nicolas Cavallier. Rapidement, il est emmené par les gardes. Tous s’intéressent alors à l’aigle blessé en cage qui n’est pas encore prêt à retrouver sa liberté. Puis, nous assistons à un moment de travail ou autour d’un tas de chaussures, les bagnards s’affairent. Cette image fortement évocatrice pourrait rappeler un tableau de la célèbre mise en scène de Robert Lepage de La Trilogie des dragons. Skuratov, le gentil naïf interprété par le trop timide ténor Andreas Jäggi entonne un air qui va rapidement agacer Luka, le ténor Peter Straka, forte tête du groupe, et l’une des fortes voix de cet opéra. Luka raconte comment il a tué un officier du Tsar et dès lors nous comprenons la trame de cette œuvre sans intrigue, qui sera une succession de récits de vies brisées, plus ou moins éloquents. Si les récits et leurs interprétations sont inégaux, les tableaux en revanche sont d’une esthétique parfaite et l’on applaudit cette scène finale du premier acte où seul au centre de la scène, Gorjantchikov nous tourne un dos lacéré par ses bourreaux.
De la maison des morts © François Godard
Le second acte s’ouvre sur les bagnards au travail, ils portent des parpaings. De nouveau, ils sont indissociables les uns des autres. Une belle amitié va naître entre Gorjantchikov et Aljeja et nous offrir le plus duo de cet opéra, celui du basse Nicolas Cavallier et du jeune ténor Pascal Charbonneau. Quant à Skuratov, il revient pour poursuivre son récit et annoncer comment il a tué le fiancé de sa bien-aimée et si l’on peut regretter un léger manque de puissance vocale, les talents de comédien d’Andreas Jäggi sont en revanche indéniables. Encore une fois, l’esthétique va sublimer le propos en proposant une nourriture de couleur orange vive pour signifier un jour de fête au cœur de la grisaille. La musique aux accents de fanfare suit le procédé répétitif de l’ostinato pour annoncer le moment spectaculaire de l’œuvre : deux courtes pièces interprétées par les prisonniers, Kedril et Don Juan et La Belle Meunière. Sous forme de théâtre d’ombres, la scénographie de Radu Boruzescu excelle à retranscrire cet atmosphère masculine d’hommes à l’humour gras, mais par dessus tout en manque d’affection.
De la maison des morts © François Godard
Le dernier acte s’achèverait presque sur une note d’optimisme. Après le résumé de Chapkine de son interrogatoire dans une interprétation sobre et efficace du ténor Guy de Mey, nous écoutons le long récit du crime abominable de Chichkov qui a assassiné son épouse parce qu’elle était éprise d’un certain Filka qui se trouve n’être autre que Luka en train d’agoniser près de lui. Véritable performance pour le baryton Martin Bàrta, ce solo est probablement le plus long, mais aussi le plus douloureux de l’œuvre. Luka rend l’âme, peut-être le mal avec lui et enfin l’espoir est de retour, tandis qu’Aljeja apprend à lire la bible avec Gorjantchikov, ils sont interrompus par le commandant venu s’excuser de son comportement et l’annonce de la libération du prisonnier politique. L’allégorie de l’aigle clôt ce dernier tableau, l’oiseau rétabli, il peut reprendre son envol, sa liberté !
Cette œuvre ultime du compositeur tchèque Leoš Janáček nous révèle ainsi les méandres d’âmes brisées et si la femme n’est pas sur scène, elle est peut-être ici au cœur des récits plus qu’elle ne l’a jamais été. Saluons la mise en scène de Robert Carsen qui nous plonge dans cette atmosphère ténébreuse et parvient à faire sens de fragments, la performance des interprètes, particulièrement celles de Nicolas Cavallier et Pascal Charbonneau, mais surtout la direction musicale de Marco Letonja qui encore une fois, nous donne à entendre l’ineffable.
Angélique Lagarde
Opéra national du Rhin
19 Place Broglie
67000 Strasbourg
Réservations au 03 88 75 48 01
La Filature
20, allée Nathan-Katz
68090 Mulhouse cedex
Réservations au 03 89 36 28 29