Phèdre, la dernière danse – Création chorégraphique d’Eugénie Andrin – Mise en scène de Julie Desmet à Anthéa, Théâtre d’Antibes par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 9 mai 2013
Phèdre, la dernière danse © Cie Eugènie Andrin
Phèdre, la dernière danse
Création chorégraphique d’Eugénie Andrin
Mise en scène de Julie Desmet
Musique originale de Mikhaël Gautier
Avec Jean Guizerix, Eugènie Andrin, Julie Desmet, Gildas Diquero et Nathalie Laroche.
A Anthéa du 30 avril au 7 mai 2013
Le 22 mai 2013 à l’Entrepôt de Mérignac, suivi d’une tournée.
Anthéa, Théâtre d’Antibes, sous le signe de l’excellence
Alors que la crise fait annuler certains projets culturels et perdurer les restrictions budgétaires, un nouveau théâtre sorti ex nihilo, au terme de trois ans de chantier, voit le jour à Antibes grâce aux volontés politiques conjuguées des communautés territoriales locales, de la Ville d’Antibes, de l’agglomération de Sophia-Antipolis, du Conseil Général des Alpes-Maritimes et du Conseil Régional Provence Alpes Côte d’Azur. Le pilotage du projet et la direction artistique d’Anthéa ont été confiés à Daniel Benoin qui depuis 2002 a donné un nouveau souffle au Théâtre National de Nice en lui imprimant une identité solide. Inauguré le 6 avril 2013 avec La Traviata de Verdi, Anthéa affiche pour sa saison d’ouverture du 6 avril au 7 juillet 2013, une programmation pluridisciplinaire, très éclectique, offrant au public d’Antibes et de la région un large éventail de spectacle vivant : de l’opéra à la performance et au spectacle exploitant les hautes technologies, qui préfigure les programmations à venir du théâtre. Pour inaugurer la petite salle du théâtre, une excellente création chorégraphique, Phèdre, la dernière danse d’Eugénie Andrin mise en scène de Julie Desmet.
Comblant le manque d’un théâtre à Antibes, Anthéa réunit dans son architecture à la fois la modernité et l’évocation d’un symbole historique de la ville, le Fort Carré d’Antibes. La légèreté et l’élégance du bâtiment (9000 m²) en béton, verre, aluminium, acier, bois, posé sur une vaste esplanade, sont répercutées dans l’architecture intérieure privilégiant la déclinaison des formes circulaires, géométriques et de la verticalité, les effets de volume, des espaces ouverts, aérés, la luminosité. Une belle rampe circulaire montante trace du bas au cinquième niveau une ouverture centrale. Sur tous les niveaux les diverses nuances de rouge tranchent avec le blanc, le beige et le gris clair des murs et du sol. On arrive rarement à une alliance aussi accomplie de l’esthétique et de l’efficacité.
Deux salles pour accueillir des formes très diverses de spectacles. Salle Jacques Audiberti (natif d’Antibes) de 1 200 places, un immense plateau et une fosse d’orchestre pour l’opéra, les concerts symphoniques et les grands spectacles et la salle Pierre Vaneck, 200 places, pour des créations expérimentales, des productions régionales et les spectacles nécessitant une proximité scène salle. Pour le confort du public de nombreux vestiaires individuels à chaque niveau, des promenoirs, des espaces d’exposition, un restaurant bar au cinquième étage.
Anthéa © Milène Servelle
En préfiguration des programmations, la brève saison d’ouverture, d’avril à juillet, propose (à des prix très accessibles) trois opéras (la Traviata, Carmen, la gitanilla, Don Giovanni), du théâtre (Le jeu de l’amour et du hasard, la maison d’os, Conte chinois), de la danse (Phèdre, la dernière danse, Le ballet Nice Méditerranée, Panorama de Philippe Decouflé), des concerts, de la musiques actuelles, des variétés, du cabarets, des one-man-show. Un pari pas évident à gagner dans cette période pré estivalière, avec la concurrence du Festival de Cannes et des plages. Pourtant La Traviata qui inaugurait la grande salle et Le jeu de l’amour et du hasard affichaient complet. Phèdre, la dernière danse, création chorégraphique d’Eugénie Andrin et de Julie Desmet inaugurant le 30 avril la petite salle, a bénéficié d’un grand intérêt d’un public très divers, jeune et moins jeune, curieux de découvertes.
Phèdre, la dernière danse ou la ronde des passions funestes
La création chorégraphique d’Eugénie Andrin, originaire d’Antibes, s’inscrit dans la trame dramaturgique de Julie Desmet, condensant les versions de Racine et de Sénèque du mythe de Phèdre. Eugénie Andrin et Julie Desmet qui ont déjà créé ensemble Ondine au Festival d’Avignon 2009, proposent un traitement contemporain du mythe. La chorégraphie s’allie ici au jeu dramatique, le texte constituant un matériau du langage scénique.
Sur scène peu d’éléments : côté cour un grand lit, au fond une table, côté jardin une baignoire, au fond un grand écran sur lequel sont projetés à certains moments les fragments du texte dit par les acteurs danseurs et à la fin des images fugaces évoquant la mort d’Hippolyte. Pas de narration dans la trame dramaturgique qui reprend juste les moments essentiels de l’histoire, articulée autour du thème de la transgression des amours interdits ou empêchés : de Phèdre pour Hippolyte, d’Hippolyte et d’Aricie, de Thésée pour Phèdre. La musique originale de Mikhaël Gautier fait partie intégrante de la dramaturgie scénique, relevant les tensions, les explosions paroxystiques des désirs qui propulsent inéluctablement les protagonistes vers la danse avec la mort.
D’entrée nous sommes dans l’intemporalité du mythe. Autant les costumes que les éléments scéniques en sont des signes. Dans l’étouffante atmosphère du huis clos familial font irruption par la voix off, sur le mode des infos de la radio ou de la télé, les nouvelles de la guerre et de la probable mort de Thésée introuvable. La voie est libre pour les passions étouffées, cachées, de Phèdre, d’Hippolyte et d’Aricie, entraînant la fidèle Oenone au cœur de la tempête. Mais voici que d’autres nouvelles arrivent : Thésée retrouvé est de retour. Trop tard, le compte à rebours est déclenché, rien ne pourra arrêter les passions avouées, exacerbées, la fatalité en marche.
Thésée ne comprend rien à l’accueil froid de Phèdre qui se refuse à lui, ni d’Hippolyte qui le fuit, ni d’Oenone embourbée dans les non-dits. La partition chorégraphique, rendant magnifiquement, sans jamais outrer, les états d’âme, la lutte contre les passions violentes, extrêmes, les lâchés prise et les montées des désirs, tisse avec art la danse et le jeu dramatique s’incarnant dans des images scéniques poétiques, oniriques, comme hallucinées. Ainsi par exemple Phèdre traversant le plateau, s’avançant comme hypnotisée, possédée, vers son destin ou jouant sur le lit d’une gestuelle d’esquives, de ruses, pour repousser les caresses de Thésée. Je citerai encore le moment saisissant, violent, de l’aveu de Phèdre de son amour à Hippolyte, le duo dansé sensuel, passionné d’Hippolyte et d’Aricie, le duo guerrier, tel un combat pour le pouvoir, d’Hippolyte et de Thésée.
Les danseurs acteurs, envoûtants, fascinants dans leur registre d’expressions allant du sublime, de la grâce, à la violence, s’emparent avec un étonnant naturel de l’alexandrin dans quelques fragments du texte racinien. Le parti pris de modernité dans le traitement scénique du mythe ne cherche guère à le transposer dans une supposée actualité ni à convertir ses protagonistes en personnages types contemporains, mais au contraire en leur conférant le caractère intemporel, fait apparaître la dimension archaïque, brute, des passions humaines. Un spectacle à ne pas manquer !
Irène Sadowska guillon
Anthéa d’Antibes
260 avenue Jules Grec
06 600 Antibes
Réservations au 04 83 76 13 13