Hernani De Victor Hugo – Mise en scène de Nicolas Lormeau au Théâtre du Vieux-Colombier Comédie-Française par Irène Sadowska-Guillon
Posté par angelique lagarde le 8 février 2013
Hernani © Brigitte Enguérand
Hernani
De Victor Hugo
Version scénique, scénographie et mise en scène de Nicolas Lormeau
Musique originale de Bertrand Maillot
Lumières de Pierre Peyronnet
Avec Bruno Raffaelli, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Félicien Juttner, Jennifer Decker et Elliot Jenicot.
Voix de Thierry Hancisse
Au Théâtre du Vieux-Colombier Comédie-Française jusqu’au 18 février
Le triomphe du pouvoir
Hernani de Victor Hugo, pièce mythique, bafouant les conventions et les codes du théâtre traditionnel, déclenche à sa création en 1830 à la Comédie-Française la célèbre bataille d’Hernani marquant l’avènement du drame romantique. Comment aujourd’hui monter cette pièce grandiloquente, exaltant des passions exacerbées, ne reculant ni devant l’excès ni devant le pathos, qui de surcroît a perdu sa pertinence politique ? Nicolas Lormeau, qui avait déjà fréquenté le théâtre de la démesure de Victor Hugo, relève ce défi, prend le taureau hugolien par les cornes, resserre la pièce autour de la fureur des passions des quatre protagonistes centraux, reléguant dans le hors champ les bruits du monde les environnant et les coulisses du pouvoir. On est ainsi au cœur même des passions extrêmes, irrépressibles : amour, vengeance, désir de pouvoir suprême, qui s’affrontent. Nicolas Lormeau signe une mise en scène brillante, exemplaire, limpide à la fois dans sa conception dramaturgique et scénique.
Au-delà du choc de sa forme dramatique révolutionnaire, sous les dehors de l’Espagne du début du XVIe siècle, sous le règne de Carlos Ier en passe de devenir l’Empereur Charles Quint, la thématique politique de la pièce, son héros rebelle conspirant contre le roi, résonnent en France de 1830, juste avant la Révolution de juillet, d’une actualité singulière, annonçant la fin du règne de Charles X.
Hernani de Victor Hugo tient d’un théâtre de cape et d’épée avec ses multiples personnages, le tumulte des complots et des combats, dans lequel s’inscrivent les conflits et les affrontements des protagonistes. Le drame se situe en Espagne, vers 1519, juste avant l’avènement du roi Carlos Ier à la tête du Saint Empire sous le nom de Charles Quint. En attendant le résultat de l’élection le roi Carlos assiège de son amour doña Sol, issue de la plus grande noblesse, qui le repousse tout comme la passion amoureuse de son oncle le duc don Ruy Gomez de Silva auquel elle est promise en mariage. Elle aime passionnément et est aimée du jeune Hernani, chef proscrit d’une bande rebelle contre le roi. Hernani, dissimulant sa véritable identité, don Juan d’Aragon, duc de Segorde et de Cardona, cherche à assassiner le roi Carlos et à venger son père mort sur l’échafaud sur ordre du roi.
En suivant le scénario hugolien en cinq actes, Nicolas Lormeau le dégage de ses scories romanesques et articule sa version scénique du drame autour du conflit amoureux et des enjeux personnels ou politiques du quatuor de protagonistes principaux (Le roi Carlos Ier, le duc don Ruy Gomez de Silva, Hernani et doña Sol)… Sur scène les cinq actes, ayant tous pour cadre la nuit, se jouent dans un espace vide, situé dans un rapport bifrontal et dans une proximité au public ; la voix off de Thierry Hancisse indiquant chaque fois les lieux. Ils s’enchaînent avec une parfaite fluidité sans entracte, comme des mouvements musicaux, des étapes des parcours des personnages suivant fatalement leur destin : le roi Carlos devient Empereur, l’amour de doña Sol et d’Hernani, enfin unis, fauché par le serment fatal d’Hernani fait à don Ruy Gomez de se donner la mort, don Ruy Gomez enfin dont la vengeance se retourne contre lui. Tandis que dans la pièce don Ruy Gomez pris de remords se tue à son tour, Nicolas Lormeau arrête sa version scénique de l’œuvre sur l’image du duc contemplant l’horreur de sa vengeance face aux deux amants unis sur leur lit nuptial par la mort.
La dramaturgie épurée proposée par Nicolas Lormeau fait apparaître avec beaucoup de clarté le moteur des alliances entre les protagonistes. Ainsi le pacte entre don Ruy Gomez, conspirant contre le pouvoir de Carlos Ier et Hernani qui veut venger son père. Le code chevaleresque de l’honneur pousse Hernani à sauver don Carlos du poignard des conjurés et le roi à sauver la vie, puis à accorder sa clémence à Hernani en lui restituant ses biens et en lui donnant doña Sol en mariage. Certes elle a moins d’attrait pour Charles Quint qui épouse l’empire. Le sens de l’honneur que l’on qualifierait aujourd’hui d’éthique résiste-t-il à la soif du pouvoir ou de la vengeance ? Hernani, tel Don Quichotte, n’est-il pas piégé par des valeurs en voie de disparition, ringardes déjà à l’époque d’Hugo, dérisoires et impraticables aujourd’hui ?
Il en serait de même des vers hugoliens, de leur grandiloquence, du pathos, des envolées lyriques frayant avec le grotesque, le trivial. Nicolas Lormeau prend le parti de jouer à fond ce langage parfois biscornu sans esquiver ses extravagances telle « vous êtes mon lion noble et généreux », ni les porosités de l’alexandrin relatif, « ni tout à fait vers, ni tout à fait prose », en faisant surgir du texte une musicalité originale. Il n’y a pas d’identification à une époque historique ni dans les costumes, évoquant vaguement le XIXe siècle dans ce qui peut en être reconductible dans le temps, (manteau long, jaquettes, etc.), ni dans l’espace du jeu vide. Un seul élément y intervient : une grosse caisse avec l’inscription Charlemagne, le tombeau de celui-ci, dans le quatrième acte qui, dans le cinquième acte, devient un lit nuptial et le lit de mort des deux amants. Images reliant tous les thèmes de la pièce : pouvoir, amour, vengeance, mort.
Dans cet espace vide pas d’autres repères matériels pour le jeu des acteurs dont les mouvements, la gestuelle, les déplacements, les corps à corps, ne relevant que des tensions dramatiques, des passions retenues ou libérées, des pulsions et des sentiments contradictoires des personnages, créent une sorte de chorégraphie émotionnelle. Une très belle musique originale de Bertrand Maillot intégrée dans cette partition du jeu en renforce les tensions, des crecendi et decrescendi émotionnels, suggère des atmosphères. De même les lumières jouant sur le clair-obscur, créent une ambiance nocturne, menaçante dans laquelle les éclairages saisissent les affrontements des personnages et livrent avec plus de force leurs émotions. En arrière-plan de leurs conflits, dans l’obscurité nocturne, des bruits de voix, des ombres, trahissent les présences invisibles des conspirateurs, des courtisans, des bandits d’Hernani.
Pour répondre aux enjeux du texte et de la mise en scène une distribution d’acteurs virtuoses. Jennifer Becker crée une doña Sol enflammée, déchirante, embrasée d’amour absolu, Félicien Juttner fait un Hernani fougueux, impétueux, contradictoire, extrême « je suis une force qui va », Bruno Raffaeli en don Ruy Gomez, fier, intransigeant, possessif, enfin don Carlos dont Jérôme Pouly rend superbement l’appétit vorace de pouvoir, la nature passionnée, violente, brutale, modérée par le sens et le calcul politique. Il est à la fois sublime et comique dans son monologue sur le pouvoir dans le quatrième acte. S’adorant en empereur, héritier de Charlemagne, régnant sur l’empire « aussi grand que le monde », il fait penser à Hitler du Dictateur de Chaplin, jouant amoureusement avec le globe. Le monde dont il changera le cours, » par où faut-il que je commence ? » se demande-t-il.
Dans sa mise en scène d’une cohérence admirable Nicolas Lormeau rend la violence des passions et la force poétique du texte hugolien dont il traduit remarquablement sur scène le basculement du tragique, du pathétique dans le grotesque, voire le dérisoire. Une mise en scène d’exception d’Hernani qui devrait s’inscrire dans les annales.
Irène Sadowska Guillon
Vieux-Colombier, Comédie-Française
21 rue du Vieux Colombier
75006 Paris
Réservations au 01 44 39 87 00