• Accueil
  • > Spectacles
  • > Understandable ? de Shiro Maeda – Mise en scène de Jean de Pange à Metz puis au Théâtre National du Luxembourg par Irène Sadowska Guillon

Understandable ? de Shiro Maeda – Mise en scène de Jean de Pange à Metz puis au Théâtre National du Luxembourg par Irène Sadowska Guillon

Posté par angelique lagarde le 20 novembre 2012

Understandable ? de Shiro Maeda - Mise en scène de Jean de Pange à Metz puis au Théâtre National du Luxembourg par Irène Sadowska Guillon dans Spectacles understandable_pic1-300x200
Understandable ? © Jean de Pange

Understandable ?
De Shiro Maeda
Mise en scène de Jean de Pange
Avec Daisuke Kuroda, Maya Nishida, Junko Miyabe, Claire Hélène Cahen, Pierre Mignard et Volodia Serre.
A l’Espace Bernard Marie Koltès, Théâtre du Saulcy à l’Université de Metz jusqu’au 20 novembre 2012
Puis au Théâtre National de Luxembourg les 26 et 27 novembre 2012

Une rencontre explosive !

Issu d’une rencontre et d’un projet commun de l’auteur de théâtre japonais Shiro Maeda et du metteur en scène français Jean de Pange, Understandable ? explore ce que révèle et génère la confrontation des différences culturelles dans un processus de création artistique. Le texte a été écrit sur mesure par Shiro Maeda pour des acteurs français et japonais parlant dans leur langue et en mauvais anglais. La première phase de la création de Understandable ? a été présentée en mai 2011 au Festival Passages à Metz et à la Maison de la Culture du Japon à Paris. Créé à Tokyo en septembre 2012 le spectacle s’inscrit dans le questionnement récurrent dans le théâtre de Shiro Maeda du choc de deux réalités différentes générateur d’une force d’une grande violence et d’une puissance créatrice ouvrant sur l’imprévisible. A travers la rencontre d’un homme et d’une femme de cultures et de langues différentes qui tentent de communiquer, de se comprendre, de s’aimer, Shiro Maeda et Jean de Pange mettent en abîme du théâtre leur propre rencontre, leur propre expérience de création théâtrale commune.

L’enjeu de Understandable ? n’est pas simplement de confronter des différences et soulever des quiproquos qui en résultent, mais de provoquer dans une interaction le surgissement de ces forces immatures, puissantes, déliées des contraintes du réel à l’instar de celles qui agissent dans les rêves. Qu’est-ce qui va émerger de cette collision des personnes de cultures si différentes, française, occidentale et japonaise, orientale ?

C’est à la fois l’enjeu et le sujet de cette création qui rejoint la problématique de toutes les pièces de Maeda, à savoir l’expérience d’évasion du cadre réel, de la naissance, de la conception de quelque chose d’inconnu, de nouveaux, d’inattendu. Au-delà de tous les clichés déjà servis et resservis sur la rencontre, la confrontation, le choc des cultures, et des identités différentes, la transgression de la barrière linguistique, Shiro Maeda et Jean de Pange, avec trois acteurs de leurs compagnies Gotanndadan de Tokyo et Astrov de Metz, se livrent à la fois à une expérience humaine et artistique, mise en abyme dans une fiction théâtrale.

Le spectacle nous donne à voir en même temps leur expérience de création, et ce à quoi elle a abouti : l’histoire représentée dont nous sommes spectateurs. Des spectateurs actifs, impliqués dans cette expérience. Car si les acteurs français et japonais ont un recours très restreint à leur propre langue, ils tentent surtout de communiquer et de se faire comprendre dans un mauvais anglais extrêmement limité, difficulté à laquelle le public, dans l’absence volontaire de surtitrage, lui aussi est astreint.

Maeda retire aux personnages toutes les catégories identificatoires : on ne sait rien d’eux, les situations dans lesquelles ils se trouvent sont des plus banales, ils sont tout autant étrangers pour nous qu’ils le sont les uns pour les autres. Maeda brouille l’identification jusqu’au genre : trois acteurs japonais (deux femmes et un homme) jouent les personnages appelés hommes, les trois acteurs français (une femme et deux hommes) les personnages appelés femmes. La nationalité des acteurs japonaise ou française n’a aucune importance, ils pourraient être de n’importe quelle autre nationalité. Nous sommes hors des codes et des paradigmes déterminant des êtres, Maeda ramène ses personnages à un état brut, primitif, de simples êtres humains se trouvant dans une confrontation inédite dont ils n’ont pas les clefs et qui les oblige à inventer, à trouver en eux des ressources, des intuitions.

Deux groupes de personnages, japonais en vêtements décontractés et français, costumes plus formels, se trouvent successivement dans trois lieux publics : banc public, au cinéma puis au musée, constituant les étapes de la rencontre d’un homme et d’une femme. L’homme, un Japonais, déclare son amour à la femme, une Française. Le couple tente de communiquer, de se comprendre dans un anglais approximatif. Les malentendus, l’incompréhension, les quiproquos, souvent comiques, jalonnent cette histoire d’amour improbable.

Sur le plateau vide juste trois bancs que les acteurs vont déplacer. Les deux groupes, alignés, chacun sur un banc, s’observent, les Français l’air un peu pincé tournant la tête, les Japonais, plus expressifs, essayant d’entrer en contact. L’homme et la femme appartiennent chacun à un groupe différent représentant à la fois un collectif et des voix intérieures, (les codes, les usages sociaux et culturels) de chaque protagoniste du couple.

Peut-on s’aimer si l’on ne parvient pas à se comprendre ou si le dialogue se réduit à des sujets superficiels ? s’interroge la jeune femme. Mais quels peuvent être des sujets profonds, la politique ? réplique l’homme. Tout au long de leur difficile échange les protagonistes et leurs acolytes se consultent, ces derniers conseillant ce qu’il faut ou ne faut pas dire ou faire, comme une sorte de conscience collective, ce qui produit souvent des effets comiques.

Les rôles du couple sont pris en charge ensuite par d’autres acteurs. La rencontre se prolonge au cinéma où, dispensé de dialogue, le couple se plaçant dans la salle assiste, avec nous les spectateurs, à un film sur la guerre dans une langue incompréhensible. Tandis que deux acteurs jouent sur scène les actions du film, les autres interviennent par moments en faisant le bruitage, tirs de mitrailleuses, cris des animaux, etc. On retrouve le couple dans le musée où les autres acteurs font les tableaux, les personnages des tableaux qui suivent, interpellent, cherchent à attirer le regard des visiteurs.

La dernière réplique « l’amour n’est qu’un mot » est suivie d’une sorte de pantomime, les deux groupes se mélangeant, se serrant les uns les autres dans les bras, dansent. Même si on parlait la même langue on ne pourrait pas se comprendre vraiment, semble dire Maeda, mais au-delà des mots il y a le langage des émotions, du désir, du corps.

Le spectacle témoigne d’une complicité exceptionnelle entre l’auteur et le metteur en scène. On est ébloui face à l’art de Maeda de composer une partition textuelle : tissage de trois langues, des onomatopées, des silences, du langage corporel dans les scènes visuelles. En totale adéquation avec la partition proposée par Maeda Jean de Pange la fait s’incarner sur scène avec des moyens simples, artisanaux. C’est un théâtre pauvre à l’instar de celui de Peter Brook, où le jeu des acteurs, riche d’inventions, produit le décor, dessine des situations, des rapports entre les personnages et plus encore, fait apparaître les traditions et les éléments culturels, interagissant avec les désirs, les pulsions des personnages.

Sans uniformiser le jeu des acteurs français et japonais Jean de Pange réussit à conférer à l’ensemble une harmonie tout en conservant certaines particularités culturelles, provoquant des frottements et ouvrant sur ce que Shiro Maeda appelle « le geste vers… » l’autre. Un spectacle d’une rare perfection à la fois ludique et profond. On espère qu’après une trop courte série de représentations en France à Metz et au Luxembourg Understandable ? sera programmé dans plusieurs théâtres français et pourquoi pas au Festival d’Automne à Paris.

Irène Sadowska Guillon

Théâtre du Saulcy
Université de Metz – Campus du Saulcy
BP 80794
57012 Metz Cedex 1
Tél : 03 87 31 57 77

 

ndiheferdinand |
sassouna.unblog.fr/ |
pferd |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Konoron'kwah
| Montségur 09
| INTERVIEWS DE STARS