Arab Jazz, Grand prix de la littérature policière 2012 – Entretien avec son auteur Karim Miské par Bilguissa Diallo
Posté par angelique lagarde le 18 novembre 2012
Karim Miské © Antoine Rozes.jpg
Arab Jazz
De Karim Miské
Aux Editions Viviane Hamy
Collection Chemins Nocturnes
Quand le polar se fait multiculturel
Réalisateur de documentaires depuis 20 ans, et fervent lecteur de polar, Karim Miské peut désormais ajouter sans rougir la ligne « auteur » à son CV. Titre d’autant plus mérité qu’il vient d’emporter avec brio le grand prix de la littérature policière et ce dès son premier roman. Dans un style percutant, vif et authentique, Karim nous promène dans le 19ème arrondissement parisien, sur les pas d’Ahmed Taroudant, anti-héros borderline dont la jolie voisine a été atrocement assassinée. En décalage avec son environnement où cohabitent de nombreuses communautés culturelles et religieuses, les yeux d’Ahmed nous offrent une plongée réaliste dans ces univers fermés et propices aux fantasmes sociaux… le tout sans oublier l’élément policier indispensable à tout polar qui se respecte. Encensé par la critique, l’auteur revient pour Kourandart sur la génèse de ce premier texte qui préfigure la naissance d’un univers littéraire riche, attachant et socialement authentique !
Kourandart : Comment est venue l’inspiration pour un tel sujet ?
Karim Miské : J’ai démarré l’écriture en 2005 après la réalisation d’un documentaire sur les néo-fondamentalistes (juifs hassidiques, chrétiens évangélistes et musulmans salafistes). Par ailleurs, je vivais alors dans le 19ème arrondissement qui était également très marqué par la présence de ces communautés. Les personnes que j’ai donc côtoyées m’ont fourni de la matière pour créer des personnages très ancrés dans la réalité. Il se trouve que dans mon métier, on rencontre des gens dont on garde des impressions qu’on ne peut pas retranscrire dans le film, parce que c’est du domaine de la perception ou que ça ne peut pas se dire ! La fiction me permettait d’aborder ces aspects et impressions.
KA: Et pourquoi avoir choisi un personnage central tant en décalage avec la société ?
KM : Parce qu’il est une réplique de ce quartier, en négatif. Il est d’origine marocaine, mais de par son histoire, il n’appartient à aucune communauté et les regarde de loin. Il s’est retranché du monde et ça symbolise une sorte de réponse à l’enfermement communautaire qui l’entoure.
KA : Le titre Arab Jazz n’a évidemment pas été choisi au hasard ?
KM : Il s’agit d’un clin d’œil au roman policier White Jazz de James Ellroy, qui joue un rôle dans les échanges entre deux de mes personnages (Ahmed et Rachel). Les indices sont dans le livre…
KA : Quelles ont été vos influences littéraires en terme de style ?
KM : J’aime une variété d’univers littéraires. J’ai autant puisé dans les auteurs français du 19ème siècle comme Balzac par exemple, que chez des américains comme Philippe Roth ou Brett Easton Ellis. Les grands du polar sont évidemment présents, par exemple Dashiell Hammett ou Raymond Chandler, qui ont établi les codes du genre « Hard boiled » (dur à cuire), avec les personnages de détective, la violence et la vision tranchée sur la société qui permet une mise à nu des conventions sociales et de la réalité. Ce type de regard sur le monde m’a influencé dans l’écriture, au même titre que certains réalisateurs de cinéma d’ailleurs (Lynch ou Godard).
KA : D’où vous est venu cette idée du ‘Godzwill’ ? (une drogue mentionnée dans le roman)
KM : En enquêtant sur les fondamentalistes, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup d’ex-toxicomanes dans ces mouvements, comme si une forme de religiosité extrême poussait à considérer Dieu comme une sorte de drogue dure. J’ai également aimé l’univers de l’auteur de science fiction Philip K. Dick, qui a inspiré des films comme Total Recall ou Minority Report. Dans son livre Dieu qui venait du Centaure, il a inventé une drogue (le Caprice) qui donne le sentiment d’être Dieu. Cette piste m’a semblé intéressante à poursuivre…
KA : Avez-vous été surpris de l’accueil du roman ?
KM : C’est bien entendu agréable, surprenant et paradoxalement, j’avais le sentiment que mon propos apportait un regard inédit sur la société française. C’était donc susceptible d’être accueilli positivement. On parle souvent des communautés de ce type en les jugeant, de manière négative ou bien-pensante. Je trouve qu’il est plus intéressant de les décrire simplement, sans jugement. De valider leur présence au quotidien, puisqu’on les côtoie, on cohabite tous sans se connaître au fond. Les Anglais comme Zadie Smith ou Salman Rushdie ont intégré cet élément depuis longtemps dans leur paysage littéraire. Ne parlons même pas des Américains pour qui c’est une évidence.
KA : Après un tel coup d’essai, que nous réserve la suite ?
KM : Je vais m’atteler à une suite (en vue d’une trilogie d’Arab Jazz) d’ici quelques mois. La structure est encore assez floue mais je ressens le besoin de poursuivre certains fils de l’histoire qui sont en suspens.
Propos recueillis par Bilguissa DIALLO
Arab Jazz
De Karim Miské
Aux Editions Viviane Hamy
Collection Chemins Nocturnes, disponible en librairie
Actualité de Karim Miské : http://karimmiske.com/
Prochain documentaire de Karim Miské : “Jews and muslims, so far so close…”