Rencontre avec Beppe Navello, directeur du Festival Teatro a Corte à Turin par Angélique Lagarde et Benoit Fortrye
Posté par angelique lagarde le 19 juillet 2012
Beppe Navello © Benoit Fortrye
Teatro a Corte
Du 6 au 22 juillet à Turin
La création contemporaine européenne sublimée dans les palais turinois
Festival international, par la magie du hasard, pour sa douzième édition Teatro a Corte reçoit des artistes de théâtre, danse, nouveau cirque et marionnette de douze pays différents ! La part belle est faite aux français avec David Bobee et le CNAC ( Centre National des Arts du Cirque), la chorégraphe Blanca Li, la compagnie Bal de Jeanne Mordoj avec son spectacle L’éloge du poil, les circassiens Jérôme Thomas et Chloé Moglia, la compagnie Circoncentrique puis le chorégraphe Yoann Bourgeois. Nous retrouvons également des compagnies qui tournent régulièrement en France et que nous affectionnons particulièrement comme Dudapaïva et son excellent spectacle de marionnettes Malediction, le célèbre DV8 Pysical Theatre avec le documentaire The cost of living, titre de leur dernière création et enfin la stupéfiante compagnie Peeping Tom avec le spectacle For rent, programmé au Théâtre de la ville cette saison ! Cette édition est marquée par une volonté de saluer le Royaume-Uni qui reçoit les jeux olympiques sous la forme d’une vitrine Made in UK avec trois chorégraphes très attendus qui sont Luca Silvestrini, Tim Rushton et Claire Cunningham. Beppe Navello, directeur du Théâtre Astra de Turin et du Festival Teatro a Corte nous fait le plaisir de nous recevoir. Cet homme généreux nous confie comment il partage son amour de la scène en alliant le métissage culturel et la création contemporaine à l’histoire des somptueuses demeures de la famille de Savoie.
Kourandart : Nous sommes le 14 juillet et ce que nous fêtons ici à Turin c’est la richesse et la variété de la création contemporaine ! Beppe Navello, vous êtes à la fois directeur du Théâtre Astra de Turin et du Festival Teatro a Corte, merci de nous recevoir au coeur de cet événement…
Beppe Navello : Merci à vous d’être venus nous voir, il est très important d’élargir l’image du festival, de le faire connaître au-delà des frontières italiennes. La vocation du festival est de faire se rencontrer les artistes européens les plus éloignés et de mettre les centres de création en relation.
KA : Le festival est né en 2001 sous la première appellation de Teatro Europeo…
BN : Oui, puis il est devenu Teatro a Corte quand en 2007 nous avons proposé au Ministère d’installer dans les demeures royales de Turin et du Piémont , ce festival qui mettait en contact les artistes européens représentatifs du métissage dans la création de formes les plus différentes.
KA : A l’origine, est-ce la ville de Turin qui est venue vous chercher ou vous qui avez proposé le projet ?
BN : C’est moi qui l’ai proposé à la Province de Turin, la plus petite des institutions locales. Elle nous a financés avec une petite subvention de 25 millions de lires de l’époque. Puis, évidemment, ça a évolué, la Région est venue nous soutenir et en 2007, le Ministère nous a octroyé une subvention très importante mais qui malheureusement a duré très peu… deux ans. L’époque des diminutions des subventions commençait et se poursuit jusqu’à aujourd’hui en 2012 !
KA : Comment les demeures royales ont-elles été sélectionnées et quelles sont celles qui accueillent le festival cette année ?
BN : L’idée qui a séduit le Ministère était de mettre en confrontation les artistes contemporains avec les lieux, les paysages, les architectures de l’époque baroque parce que les demeures royales du Piémont remontent à cette époque. Ce sont aux 17ème et 18ème siècles que les Rois de Sardaigne qui étaient les souverains ont décidé de construire ces demeures merveilleuses à Turin pour affermir leur grandeur face au Roi de France et des puissances européennes de l’époque qui entouraient le petit état du Piémont. Et donc il y a un réseau d’une vingtaine de châteaux autour de Turin et même dans la ville de Turin ( Palais Royal, Palais Madame…). Ils ont construit ces demeures qui sont devenues à la moitié des années 1990, patrimoine mondial de l’Unesco. Donc, à l’époque, en 2007, quand on a présenté le projet au Ministère, venait d’être restaurée et ouverte au public la Venaria Reale, c’est à dire le plus grand et magnifique château, le Versailles turinois. Ça a été un événement, après une restaurations d’une quinzaine d’années et 700 millions d’euros investis. Le projet était donc de relier des propositions différentes dans l’univers des activités culturelles du spectacle vivant à ces lieux de prestiges. La volonté du festival est devenue d’inviter les artistes à se mettre en rapport avec les artistes du passé en se confrontant aux architectures des Palais, aux jardins, fontaines, escaliers…
KA : Ce sont ce qu’on appelle des créations In Situ, c’est-à-dire que les compagnies viennent avec un projet et le crée pour le lieu ?
BN : Dans les années passées, les créations In Situ ont été la caractéristique et la majorité des créations du festival. Aujourd’hui, nous devons malheureusement prendre en compte la diminution des budgets pare que les créations In Situ sont de vraies productions et que chaque fois il faut inviter les artistes et parfois beaucoup beaucoup d’artistes ! Nous avons invité par exemple des compagnies d’acteurs, de danseurs, de musiciens comme Décor Sonore ou encore Eric Lecomte et sa compagnie 9-81, des artistes qui restaient sur place pendant des mois parfois pour les repérages, les répétitions, les installations. Et donc ça a diminué un peu ces dernières années mais c’est à l’origine véritablement la spécificité du festival.
KA : Alors aujourd’hui comment s’organise la programmation, il y a une partie de créations et une autre de spectacles vus ?
BN : Oui par exemple, aujourd’hui, nous verrons Barak Marshall qui vient en Italie pour la première fois avec son grand spectacle qui ne sera pas véritablement inscrit dans le paysage mais sera représenté sur un plateau devant la façade du Racconigi. Yoann Bourgeois lui en revanche dansera demain à la Venaria Reale et là nous pouvons dire que c’est c’est In Situ. Il est venu faire un repérage et a décidé d’installer son corps, son mouvement chorégraphique sur cette image des jardins du Palais. Il travaille beaucoup avec l’infini et les jardins de la Venaria ont été conçus au 18ème siècle vraiment comme une sorte de perspective vers l’infini. L’architecte de l’époque, Juvarra a décidé de raser les architectures qui existaient déjà, qui avaient été bâties dans le jardin à l’époque du 17ème pour permettre de voir l’infini vers les montagnes, les champs, les forêts, vous verrez demain, c’est magnifique (Nous confirmons ndlr) ! Donc Yoann Bourgeois, un chorégraphe qui travaille avec son corps en regardant l’infini était l’artiste le plus juste à imaginer inviter à la Venaria. C’est typiquement ce qu’on essaye de mettre en place, d’organiser, de confronter dans les lieux.
KA : Nous sommes au deuxième week-end du festival, nous pouvons déjà faire un pré-bilan, nous sommes arrivés hier soir et nous nous sommes régalés avec Zio Vanja (Oncle Vania) de la Fondatione TPE et Lol (Lots of Love) de la compagnie Luca Silvestrini’s Protein, quel est votre propre bilan, en termes de propositions artistiques, sont-elles à la hauteur de vos attentes ?
BN : Oui et même au-delà ! Je dois dire qu’on essaye toujours de voir le plus possible de spectacles, mais parfois c’est impossible. Parfois, on voit un spectacle d’un artiste qu’on aime beaucoup et le spectacle n’est pas disponible à l’époque du festival donc il faut choisir un autre spectacle du même créateur. Ceci est arrivé également cette année, mais tout est est allé au-delà de nos espoirs, donc je suis vraiment très content et je pense que le public aussi (car nous avons augmenté notre public).
KA : La fréquentation du public a-t-elle augmenté ?
BN : Oui, elle a augmenté donc évidemment c’est un signe d’appréciation de nos propositions. Et même les articles, les retours que nous avons eu de la presse italienne et même un peu française, ils sont vraiment très bons.
KA : Vous êtes italien et avez étudié en France et vous vous intéressez, entre autres, à l’écriture et aux formes contemporaines française, à la danse, au cirque… Comment s’effectuent vos choix de programmation ?
BN : Des manières les plus libres et les plus variées… Nous avons eu beaucoup de français le premier week-end et dans les spectacles à venir, nous attendons donc notamment Yoann Bourgeois, Chloé Moglia et la compagnie Circoncentrique. Grâce à mon amitié avec la France, d’années en années, nous avons aussi beaucoup travaillé sur le bilinguisme. Nous avons présenté parfois des spectacles bilingues comme, par exemple, Dette d’amour d’Eugène Durif que j’ai créé il y a deux ans. Cette année non, mais la caractéristique de l’édition 2012, c’est vraiment le métissage des artistes à l’intérieur de chaque compagnie. A titre d’exemple, on peut avoir un artiste qui vient de France, a créé en Norvège, a rencontré un chorégraphe au Danemark… La compagnie Itaca qui sera présente le 21 juillet relie l’Italie et le Brésil. Aujourd’hui, le spectacle qu’on va présenter à Racconigi, c’est celui d’un israélien né à Los Angeles et qui a travaillé en Russie ! C’est ça qui me plaît beaucoup, d’essayer toujours d’attraper le talent n’importe où (rires) et de proposer un festival qui parle vraiment beaucoup de langues !
KA : Pour avoir un aperçu de la richesse et de la diversité des propositions, peut-on annoncer les spectacles à venir ?
BN : Aujourd’hui, nous serons donc à Racconigi, un château dans lequel on revient après cinq ans d’oubli parce qu’il y a chaque année une sorte d’alternance des châteaux comme on ne peut évidemment pas présenter le festival dans vingt châteaux. Et donc chacun choisit un site différent. Racconigi est un magnifique château, le dernier qui ait été quitté par la famille royale italienne; ils ont gardé la propriété jusqu’aux années 1970, il a encore le charme d’une vraie maison de campagne habitée jusqu’à avant hier par les anciens propriétaires. Nous allons y présenter un spectacle exceptionnel, merveilleux, pour la première fois en Italie et en Europe qui est le spectacle de Barak Marshall tandis que Peeping Tom, compagnie flamande présentera à l’Astra (le théâtre de Beppe Navello ndlr) son dernier spectacle For Rent.
KA : Peeping Tom est une compagnie qui tourne beaucoup en France, en Europe…
BN : Oui, bien sûre, que les français connaissent bien, mais les italiens en revanche très peu parce qu’ils sont venus juste une fois avec ce spectacle sur un petit festival. Nous avons décidé de les inviter parce que cela faisait des années que nous en avions envie. Pour poursuivre notre programme, nous verrons donc Yoann Bourgeois à la Venaria demain. Le matin, devant le palais royal de Turin, il y aura du cirque avec une compagnie turinoise, Cirko Vertigo qui va présenter sa dernière création dans la rue. Et puis la prochaine semaine, c’est un long week-end, de jeudi à dimanche qui va clôturer le programme du festival avec notamment un des deux spectacles de My Dream, une vitrine dédiée au handicap dans le théâtre. C’est un projet que l’on partage avec une fondation bancaire, la fondation CRT qui s’intéresse à cet univers très important et parfois oublié par les circuits des théâtres professionnels.
KA : S’agit-il de handicaps physiques ou mentaux ?
BN : Les deux, il y aura un spectacle dédié au handicap mental et un autre au handicap physique. Les deux spectacles ont été choisis parmi une soixantaine de projets reçus que nous avons ensuite sélectionnés durant deux mois de travail avec la fondation.
KA : Les deux spectacles italiens choisis dans cette sélection sont donc Il Minautoro du Teatro La Ribalta et Generale !! O l’azione di un fucile par le Casarsa Teatro que nous pourrons découvrir ce week-end puis l’axe majeur de cette édition c’est la vitrine anglaise Made in UK avec notamment le travail de la chorégraphe Claire Cunningham qui transcende par la danse son handicap physique…
BN : Oui puis il y aura, toujours dans la vitrine anglaise, la projection du film The Cost of Living de la compagnie DV8 Physical Theatre et Tim Rushton, un anglais très important et très aimé en Italie avec une première nationale, Love Songs.
KA : Est-il déjà venu sur le festival ? Douze années d’existence vous ont probablement permis de lier des amitiés particulières avec certains artistes…
BN : Non, c’est la première fois qu’il vient donc il est très attendu, mais oui, nous avons certaines amitiés… Billy Cowie par exemple, un créateur de vidéos anglais, vient pour la deuxième fois. Il a été beaucoup apprécié et aimé par notre public et il sera à Turin dans les rues du centre Ville et aussi la dernière journée à Rivoli dans un autre château du réseau à Rivoli. C’est un musée d’art contemporain qui est installé dans ce château magnifique, un château inachevé déjà à l’époque. Il avait été bâti par les rois qui évidemment bâtissaient trop (rires), il n’a donc jamais été terminé, jamais investi et surtout il y avait ces chantiers partout donc c’était une manière de faire bouger l’économie mais en même temps, c’était difficile d’arriver au bout de leur projet fantastique. Il a ce charme de l’inachevé, d’un lieu ouvert, en construction et donc il ressemble à un immeuble ou un château, enfin à une architecture qui doit encore se créer, se former, se poursuivre… Il a été restauré par un architecte génial qui a exalté toutes les coupures de l’architecture, tous ces murs non achevés et donc c’est le lieu idéal pour un musée d’art contemporain fantastique.
KA : Depuis combien de temps ce musée existe-t-il ?
BN : Depuis 1984. Il a été ouvert et inauguré à cette époque et il est devenu l’un des musées les plus aimés du monde parce qu’il a ce charme aussi de réunir les formes… Et donc Rivoli, c’est toujours une étape traditionnelle et très aimée du festival avec la journée de clôture qui se fera cette année le 22 juillet avec Billy Cowie, Chloé Moglia et sa compagnie française Rhizome, une chorégraphe qui a travaillé avec Kitsou Dubois sur l’apesanteur et qui paraît très juste au milieu des installations du musée qui sont parfois aériennes et très légères. Le balleto dell’esperia, une compagnie de danse turinoise fera des petites provocations au public durant les autres performances de la journée, et surtout Gandini Juggling, un chorégraphe italien parti en Angleterre et devenu un chorégraphe très aimé qui rend ici hommage à Pina Bausch.
KA : Merci beaucoup, nous avons hâte de découvrir la suite !
BN : Merci à vous, et nous vous attendons au festival en 2013 !
Propos recueillis par Angélique Lagarde et Benoit Fortrye
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Teatro a Corte
Du 6 au 22 juillet à Turin
Site officiel du festival