Karl Marx le retour d’Howard Zinn au Petit Louvre (Van Ghogh) – Avignon Off – par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 19 juillet 2012
Karl Marx le retour © Tita
Karl Marx le retour
D’Howard Zinn
Traduction de Thierry Discepolo
Mise en scène de Christian Fregnet
Avec Émile Salvador
Au Petit Louvre (Salle Van Gogh) jusqu’au 28 juillet – Avignon Off – Tous les jours à 13h30
Tentative de réhabilitation du socialisme
Si Karl Marx revenait aujourd’hui sur terre de son paradis utopique, que nous dirait-t-il ? Se faisant l’avocat du diable, sur le mode de la pochade, d’une provocation, Howard Zinn dans Karl Marx le retour fait un plaidoyer de la pensée de Marx, assimilée à tort aux régimes oppressifs pseudo communistes, « jusqu’à être identifiée aux cruautés staliniennes ». Christian Fregnet relève le défi de cette opération de sauvetage des idées du père du socialisme en portant sur scène, avec humour et distance, cet inespéré come-back d’une star déchue de la politique.
L’effondrement de l’URSS et du mur de Berlin a sonné le glas des utopies marxistes et communistes. Le capitalisme triomphe plus que jamais. Sociologue et historien, professeur d’histoire politique à l’Université de Boston, Howard Zinn (mort en janvier 2010) auteur entre autres de L’histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours et de plusieurs pièces de théâtre, réagit dans Karl Marx le retour, écrit en 1999, au discrédit et à l’enterrement en règle de Marx et du marxisme. Avec humour, sur un ton quasi farcesque, il dénonce l’instrumentalisation et le détournement de la pensée et de la conception du socialisme de Marx par les pouvoirs dits communistes et les idéologues post et pseudo marxistes qui, tout comme la majorité des grands médias et des politiciens, à la chute du mur de Berlin, se sont engouffrés dans le paradis du capitalisme.
Howard Zinn montre Karl Marx au-delà du mythe, dans sa vie quotidienne, au sein de sa famille, avec ses faiblesses, ses lâchetés, ses contradictions, ses illogismes. Un homme qui a passé sa vie dans les bibliothèques à étudier, à réfléchir et à écrire, qui a donné une vision puissante du changement du monde et d’une société juste, gérée par les travailleurs, mais qui, se faisant entretenir par ses parents et par Engels, n’a jamais travaillé lui-même et ignorait tout de la réalité du monde ouvrier.
La perspective de l’Histoire permet aujourd’hui de dégager de l’utopie socialiste de Marx et de sa foi imperturbable dans la dictature du prolétariat ses analyses des mécanismes économiques et sociaux toujours opérants dans notre monde presque un siècle et demi après, monde régi plus que jamais par le profit et le pouvoir de la finance, déshéritant la moitié de l’humanité.
Reprenant le ton de la pochade, du gag provocateur d’Howard Zinn, Christian Fregnet a conçu un spectacle pour être joué dans un rapport direct au public, dans des petits lieux et dans des espaces rudimentaires : café, entreprise, lycée, appartement, parking ou petite salle de théâtre. Une économie totale de moyens, pour tout décor une caisse, une chaise. Dans un nuage de fumée apparaît un vieil homme barbu en redingote et gilet noir, lunettes rondes et sac à dos.
Karl Marx le retour © Tita
Sans chercher à s’identifier au portrait de Marx Émile Salvador l’incarne en relevant quelques traits de ressemblance. Écœuré de l’usage qui a été fait de sa pensée usurpée et déformée par les imposteurs, Karl s’installe, déballe la nourriture de son sac, mange un morceau et raconte : son expulsion de la Rhénanie pour activités politiques, l’exil, d’abord à Paris où ses idées inquiètent trop la police, puis à Londres, plus austère mais plus tolérante, où il s’installe avec Jenny, sa femme et leurs enfants. Il raconte sa vie de famille, la misère au quotidien, ses rencontres et ses débats avec des révolutionnaires réfugiés à Londres. Parfois il interrompt son récit, s’indigne, se met en colère, arpente l’espace, réfute les interprétations de ses idées, cite son Das Kapital, nous interpelle sur l’actualité de notre société, commente les titres dans les journaux éparpillés par terre, ironise sur la conception proudhoniste du socialisme, s’enthousiasme pour la Commune, rejoue ses polémiques tumultueuses avec Bakounine.
Émile Salvador ramène la figure statufiée de Marx à sa dimension d’homme presque bourgeois ordinaire, avec ses petits égoïsmes, ses excès, ses incompréhensions et son détachement des difficultés matérielles, parfois touchant et par moments irritant. Seule réserve, son interprétation vive, imprégnée d’humour, s’appuie trop sur les clichés de la gestuelle. Christian Fregnet nous offre un spectacle intelligent qui ne prend pas des airs de réhabilitation mais, donnant un coup de projecteur sur la substance originelle du marxisme, propose une réflexion, si nécessaire aujourd’hui, non pas sur l’utopie mais sur la réalité possible d’une société socialiste alors que le capitalisme dévore notre planète.
En jouant à fond la pochade du retour de la star, la compagnie propose à la sortie des T-shirts à l’effigie de Marx. Un clin d’œil encore à la commercialisation de l’image : après Che Guevara, pourquoi pas Marx ?
Irène Sadowska Guillon
Petit Louvre (Salle Van Gogh)
23, rue Saint Agricol
84000 Avignon
Réservations au 04 32 76 02 79
Le texte de Karl Marx le retour est publié aux Éditions Agone