Rencontre avec Denis Marleau et Stéphanie Jasmin pour Les Femmes Savantes de Molière dans le cadre des Fêtes Nocturnes de Grignan par Marie-Laure Atinault et Angélique Lagarde
Posté par angelique lagarde le 19 juin 2012
Denis Marleau © Stéphanie Jasmin
Les Femmes Savantes
De Molière
Mise en scène de Denis Marleau – Compagnie Ubu
Collaboratrice artistique : Stéphanie Jasmin
Fêtes nocturnes du Château de Grignan du 28 juin au 18 août
« Le but de la mise en scène est d’éclairer un univers, d’amplifier ses résonances »
Les fêtes nocturnes du Château de Grignan sont depuis 25 ans un incontournable du paysage théâtral français. Nous avions l’an passé applaudi Hamlet mis en scène par Jean-Luc Révol avec Philippe Torreton dans le rôle titre. C’est avec impatience que nous attendons cette nouvelle édition avec Les Femmes Savantes de Molière dans la mise en scène du québécois Denis Marleau accompagné de sa collaboratrice artistique Stéphanie Jasmin. Ils nous ont fait le plaisir de nous accorder quelques instants en amont de la première représentation, le 28 juin 2012.
Kourandart : Avant toute chose, bravo pour votre mise en scène d’Agamemnon à la Comédie-Française que nous avons beaucoup appréciée. Nous avons passé un moment fabuleux et l’utilisation de la vidéo nous est apparue comme très intelligente. Nous avons donc grande hâte de découvrir la façon dont vous allez traiter Les Femmes Savantes. Comment ce que texte classique vous semble-t-il en adéquation avec la vision plastique que vous avez du théâtre ?
Denis Marleau : Je ne me pose jamais la question de la vision plastique avant d’aborder une pièce, c’est toujours le texte qui demeure la base de cette recherche qui deviendra une recherche visuelle et sonore de tous les signes qui vont composer le spectacle. D’abord, j’ai été inspiré par le lieu, le château de Grignan, un espace remarquable qui n’est pas un espace théâtral ordinaire. C’est une façade renaissance d’un château qui surplombe la région de la Drome et particulièrement ce village de Grignan. Ce château a aussi une histoire qui nous a intéressée Stéphanie et moi et que nous avons creusée un peu. Je dis « un peu » parce que nous n’avons pas eu le temps de fouiller à fond et de nous documenter, c’est un projet qui est assez nouveau, qui démarre depuis seulement quelques semaines et qui va donc se développer dans le courant des semaines et mois à venir jusqu’à la première le 28 juin. Il est vrai que nous avons cette façon de travailler la scène à travers les nouvelles technologies que nous utilisons à l’occasion, je précise « à l’occasion » parce que ce n’est pas nécessairement ; il nous ait arrivé de supprimer des vidéos envisagées aux origines d’un projet parce qu’elles n’avaient pas de pertinence.
Stéphanie Jasmin : Oui, ce sont des outils phares. Dès que l’on met une image sur scène dans la représentation qui est déjà une image elle-même, il est important de savoir la doser, quand et comment l’utiliser ou non. C’est un moyen comme un autre, pour nous en tous les cas, dans notre coffre à outils, et comme pour beaucoup de metteurs en scène aujourd’hui. Dans le cas d’Agamemnon par exemple, il y avait la problématique d’Icare, c’était une vraie problématique scénique. Dans Les Femmes Savantes, pour le moment, il n’y a pas de genre de problématique dramaturgique de la représentation.
DM : Il n’y a pas de fantômes (rires), il n’y a pas d’aveugle, de revenants…
SJ : C’est étrange à dire, mais en fait, nous nous inspirons du lieu d’une façon assez réaliste et nous allons jouer avec ça pour créer une amplification de certains rythmes, de certains motifs liés à la lumière ou à la domesticité du lieu, mais il n’y aura pas l’apport du personnage vidéo comme tel, cela est certain.
KA : Beaucoup de français ont découvert le travail de Denis Marleau avec Les Aveugles, puis plus récemment Agamemnon, mais ils n’ont pas forcément vu Une fête pour Boris par exemple qui mettait en scène des automates mais qui n’a pas beaucoup tourné en France, et le public pense donc qu’il va y avoir un systématisme dans l’utilisation des techniques vidéos…
SJ : Vous avez raison de faire cette mise au point parce que ce sont des attentes un peu faussées, je pense que chaque pièce, chaque texte est un nouveau paysage à explorer et le but de la mise en scène est d’éclairer un univers, d’amplifier ses résonances, mais ça part toujours du texte, la forme vient après dans le travail de répétition, de projection rêvée de cette partition précise. S’il y a un système au théâtre, c’est mauvais signe.
Stephanie Jasmin © Gabor Szilasi
KA : En termes d’attente, sur ce lieu intervient une autre contrainte, c’est qu’il a toujours été un lieu de représentation véritablement « grand public » au sens noble du terme, alors comment lier cette exigence que vous avez (vous avez été programmés au Théâtre de la Ville, à la Comédie-Française…) avec cette attente ?
DM : Pour ma part, j’ai pris ça comme une très grande respiration, une bouffée d’air frais que je peux prendre avec une équipe de comédiens qui me suit. Ce sont des comédiens qui travaillent avec moi depuis des années, on s’est croisés, perdus, retrouvés… Et là, c’est à l’occasion d’une aventure exceptionnelle qui nous déplace aussi dans un cadre de création très particulier. C’est une histoire de troupe. Je pense évidemment à Molière. Et pour moi tout cela a fait en sorte que je me suis donné l’autorisation d’aborder un répertoire que je n’avais jamais abordé jusqu’à maintenant. C’était pour moi quelque chose de nouveau qui prenait une justesse, par rapport à la proposition, au lieu, il y avait une sorte de pertinence, de convergence.
SJ : Pour toi finalement Denis, Molière est étranger (rires).
DM : Les gens pensent que parce que c’est Molière on a nécessairement la culture et non, là je ne suis pas du tout dans le familier au contraire.
KA : A ce propos, que représente Molière au Québec ?
DM : Il est très important, il est enseigné dans les Conservatoires, dans les écoles, c’est un incontournable évidemment. Il est aussi régulièrement joué au TNM, le Théâtre du Nouveau Monde qui est la grande institution montréalaise dont les pères fondateurs Jean Gascon et Jean-Louis Roux ont monté Molière de façon régulière, deux pièces par saison souvent. Ils avaient fait leur formation d’acteur chez Jouvet ou d’autres membres du Cartel et revenaient avec ce désir de poursuivre…
SJ : Oui, parce que le théâtre est jeune chez nous.
KA : En effet, et c’est probablement pour cette raison que les résonances les plus évidentes pour vous ont été avec le théâtre des années 50…
DM : Oui, avec Stéphanie, nous avons tâché de trouver des résonances qui nous étaient intimes, personnelles. Je me sens donc plus libre, plus légitime face à ce texte du répertoire qui a été analysé sous toutes ses coutures et dont l’exégèse est très importante. Je pense que c’est une démarche de création et c’est ce qui compte pour moi, je ne suis pas là pour faire du théâtre de professeur et enseigner la façon dont on doit jouer Molière. Ce sera une vision singulière, la nôtre, que Stéphanie et moi allons développer à travers l’interprétation. Je ne prétends pas que ça va bousculer des chose, je n’en sais encore rien, nous sommes en plein préparation, dans la cuisine (rires).
KA : Une importante part de la création va se faire au château ?
DM : Oui, nous allons avoir trois semaines de répétitions sur place. Ce qui est touchant de surcroît c’est que c’est une forme qui se rapproche du théâtre de tréteaux avec une grande proximité avec le public.
KA : Ce qu’il faut préciser c’est que cette transposition dans les années 50 n’est pas de l’ordre du gadget mais vraiment une manière de vous approprier le propos…
SJ : Oui, et nous avons monté il y a très peu de temps Jackie de Elfriede Jelinek sur l’icône Jackie Kennedy qui fait référence dans son texte à Sylvia Plath, à plein de femmes des années 50, 60, qui étaient aussi aux prises avec ce carcan de l’image, du vêtement, des apparences et je pense que ce n’est pas que québécois mais plus large… Et il est vrai aussi que d’un projet à l’autre, il y a des contaminations ou des inspirations et d’ailleurs, l’actrice qui jouait Jackie va jouer Bélise dans Les Femmes Savantes. C’est Sylvie Léonard, une très grande star chez nous du cinéma et de la télévision mais qui a beaucoup fait de théâtre avant sa carrière plus médiatique. Et donc, cela part aussi de désirs de rencontres avec des actrices, des acteurs… et au final, des liens un peu souterrains et incongrus en apparence mais qui finissent par se rejoindre. Ce qui est drôle c’est que l’intuition vient et ce sont des moments comme maintenant qui nous permettent de verbaliser et prendre conscience de ces liens qui se nouent.
KA : Toute la distribution est composée de votre compagnie Ubu ?
DM : Oui, plus une comédienne belge, Muriel Legrand, qui a travaillé avec nous dans Le Complexe de Thénardier de José Pliya, une actrice qui m’a bouleversée et que j’ai eu envie de retrouver.
KA : Merci beaucoup et nous avons hâte de venir vous applaudir à Grignan !
Propos recueillis par Angélique Lagarde et Marie-Laure Atinault
Château de Grignan (Drôme)
BP 21
26230 Grignan
TGV Valence ou Montélimar
Réservations au 04 75 91 83 65
ou sur internet : http://chateaux.ladrome.fr