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Albert Camus-Michel Vinaver S’engager ? Correspondance (1946-1957) chez L’Arche Editeur par Irène Sadowska Guillon

Posté par angelique lagarde le 10 juin 2012

Albert Camus-Michel Vinaver S'engager ? Correspondance (1946-1957) chez L'Arche Editeur par Irène Sadowska Guillon dans Critique en ligne 257632sengager1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Albert Camus-Michel Vinaver
S’engager ?
Correspondance (1946 – 1957)
assortie d’autres documents
Édition établie, présentée et annotée par Simon Chemama
L’Arche Éditeur

Le passage du relais

Le 15 avril 1946 Michel Vinaver, réfugié avec sa famille aux États-Unis, étudiant à Wesleyan University dans le Connecticut, marqué par L’étranger d’Albert Camus, assiste à sa conférence à New York. Il a l’audace de l’aborder et de demander à le voir. La première rencontre a lieu le 22 avril 1946 et débouche, au fil d’échange épistolaire et d’entrevues entre 1946 et 1957, sur une relation littéraire et amicale.

Vinaver veut écrire mais doute de sa vocation face à l’héritage écrasant. Camus l’encouragera, l’autorisera à aller de l’avant dans l’écriture, l’aidera à publier ses deux romans et sa première pièce de théâtre, Les Coréens. À travers 36 lettres (15 de Camus, 21 de Vinaver) : réflexions sur l’écriture, sur l’engagement politique d’homme et d’écrivain, sur la littérature engagée, sur le théâtre, on suit le cheminement de Michel Vinaver dont les choix, les convictions littéraires et éthiques vont se forger dans cette confrontation amicale, sincère et critique avec son aîné. Aux notes de Simon Chemama situant et apportant un éclairage précieux au contenu des lettres, s’ajoutent en fin de l’ouvrage plusieurs documents, textes inédits ou peu connus de Michel Vinaver et d’Albert Camus.

La question de l’engagement dans la voie de l’écriture, de la liberté et de l’engagement politique de l’écrivain, est au cœur de la correspondance entre Albert Camus et Michel Vinaver réunie sous le titre S’engager ?. Très jeune, à 17 ans, Michel Vinaver s’engage dans l’armée française de libération. La guerre finie, il rejoint sa famille réfugiée aux États-Unis et en 1946, étudiant à Wesleyan University dans le Connecticut, prépare un mémoire sur la dimension comique dans la colonie pénitentiaire de Kafka. Il veut écrire, cherche sa voie.

La rencontre avec Albert Camus, écrivain et homme public déjà célèbre, après la conférence que celui-ci donne à New York le 15 avril 1946, déterminera sa vocation et l’échange épistolaire qui s’en suit l’autorisera à écrire. Intrigué par ce jeune étudiant qui lui parle de l’humour dans L’étranger, Camus accepte de le recevoir. Le contact s’établit, la conversation se poursuivra à travers des lettres et au gré des rencontres. Dans ses premières lettres Vinaver fait part à Camus de ses doutes, commente la conférence donnée par Camus, donne une analyse personnelle de la pensée de Simone Weil, de George Thomson et de celle de Camus, lui envoie ses essais littéraires, quatre fables. Une certaine distance au départ évolue en une relation amicale, sur un pied d’égalité et non pas de maître à apprenti écrivain.

Vinaver parle avec franchise, fait part de son avis critique sur Les justes, sur le théâtre de Camus, sur La peste, lui reproche d’être trop lié dans son écriture par une mission et l’image qu’on a de lui, au détriment de la liberté. Tout en assumant son engagement d’homme et de citoyen dans le contexte social et politique, Michel Vinaver revendique la liberté d’écrivain qui n’a pas à s’engager, à mettre son écriture au service de ses convictions. Pour lui « un trop fort sentiment de responsabilité s’avère fatal à la créativité aussi bien qu’à l’efficacité des textes produits ». Même si les positions de Vinaver et de Camus sur ce sujet divergent le lien amical entre eux reste intact.

Camus accompagne Vinaver dans son écriture, l’aide à publier chez Gallimard ses deux romans, Lataume et L’objecteur qu’il préfère au premier. Si les rencontres des deux hommes se raréfient, la maladie de Camus le retenant souvent dans le Midi, Vinaver entrant dans le monde de l’entreprise, l’empire Gillette, à Annecy, leur échange épistolaire ne faiblit pas. Il porte souvent sur le théâtre. Les Coréens, sa première pièce de théâtre, la complicité avec Gabriel Monnet, ouvrent à Vinaver dès 1955 la voie de l’écriture dramatique. Là aussi, il se positionne en contradiction par rapport à Camus, excellent explorateur de l’écriture narrative, mais attaché aux formes classiques dans son théâtre. Pour sa part Camus dira des Coréens et davantage encore des Huissiers « ce n’est pas le théâtre dont je rêve ». Pour Camus le théâtre devait parler des choses grandes, du destin. Vinaver, au contraire, s’intéresse aux choses infimes, à la réalité du quotidien et aux existences ordinaires, prises souvent dans la tourmente de grands événements.

La correspondance entre les deux hommes s’arrête en 1957 mais leur lien d’amitié durera jusqu’à la mort de Camus en 1960. Durant ces plus de 10 ans d’échanges, se confrontant à l’attitude et à la pensée forte de Camus, Vinaver a trouvé et conforté sa propre position à l’égard de l’engagement et de l’écriture. Pour Camus être au départ et accompagner cette quête du jeune écrivain représentait un ailleurs dont il manquait dans sa vie d’écrivain et d’homme public célèbre.

Parmi les documents, en complément aux 36 lettres annotées, on trouvera plusieurs textes inédits de Vinaver « La crise de l’homme » notes et commentaires sur la conférence de Camus à New York, le récit de sa première rencontre avec lui, quatre fables, l’analyse critique de La peste sous forme d’un dialogue entre trois personnages A B C, l’article de Roland Barthes « Le degré zéro de l’écriture », enfin des textes de Camus « Pour un statut de l’objection de conscience » et le manifeste du Groupe de Liaison Internationale envoyé par Camus à Vinaver à la fin de l’année 1948. Il est aujourd’hui toujours d’une actualité étonnante. Un livre passionnant qui nous introduit au cœur de la relation de complicité, des débats et des confrontations des visions et des engagements politiques et littéraires de deux grands écrivains dont les questionnements restent toujours, 70 ans après, d’une brûlante actualité.

Irène Sadowska Guillon

Albert Camus-Michel Vinaver
S’engager ?
Correspondance (1946 – 1957)
assortie d’autres documents
Édition établie, présentée et annotée par Simon Chemama
L’Arche Éditeur

170 pages, prix 16,25 €

 

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