Rencontre avec Anne-Laure Liégeois, metteur en scène du nouveau spectacle de la Comédie-Française Une puce, épargnez la ! par Marie-Laure Atinault
Posté par angelique lagarde le 2 mai 2012
Anne-Laure Liégeois © Christophe Raynaud de Lage
La puce n’a qu’à bien se tenir !
Anne-Laure Liégeois est d’un abord sympathique, disponible, elle nous accorde un entretien à J-3 de la première, entre deux répétitions. La puce est en passe de devenir l’animal de compagnie préféré des Comédiens Français, après la puce de Feydeau celle de Naomi Wallace nous propulse à Londres en 1665 en pleine épidémie. La Grande Peste ravage la ville et fauche les habitants, sans distinction de sexe, d’âge ou de classe sociale. Un couple se retrouve cloîtré dans leur maison. Tous leurs domestiques sont morts de la peste. Ils sont en quarantaine…
Kourandart : Comment le théâtre est-il arrivé dans la vie de la petite Anne-Laure ?
Anne-Laure Liégeois : Mes parents étaient des fous de théâtre. Je suis sortie très tôt. J’ai eu la chance de suivre des ateliers avec le Théâtre du Campagnol avec Jean-Luc Pechenat, à la Piscine. J’ai ensuite fait des études de Lettres Anciennes, cela m’a permis une véritable réflexion sur l’écriture. J’aime l’écriture. La mise en scène est alors devenue très vite une évidence lorsque je faisais du théâtre avec un groupe d’amis.
KA : Vous avez dirigé le Centre dramatique national de Montluçon pendant trois mandats, une vraie chance ?
ALL : Absolument. J’avais des conditions idylliques pour faire du théâtre. C’est un très bel outil. J’ai pu monter des spectacles de jeunes auteurs. Au bout de ces trois mandats, j’avais envie de rentrer chez moi. J’avais envie de Paris, d’aller au théâtre, de changer de projet, de reprendre ma liberté.
KA : Comment la Comédie Française est-elle arrivée dans votre parcours ?
ALL : Par Pierre Notte. J’ai monté des pièces de Pierre, puis il devenu secrétaire général de la Comédie-Française, c’est alors qu’il a pensé à moi pour monter Burn baby burn de Carine Lacroix, puis j’ai mis en scène Le bruit des os qui craquent de Suzanne Lebeau. J’aime travailler avec les auteurs contemporains.
KA : Vous avez un rapport très proche avec l’écriture et vous aviez initié un formidable spectacle, qui reste dans les annales, Embouteillage. Nous avons eu la chance de le voir sur les falaises de Fécamp. C’était formidable. Vous aviez réuni des auteurs pour ce projet…
ALL : C’était un beau projet, un peu fou. Mais J’ai aussi monté des auteurs classiques Molière, Marivaux, Marlowe. J’ai adoré monter La Duchesse de Malfi de John Webster et faire ma propre traduction. Cela correspond à ce travail que j’aime faire et à une réflexion sur le texte. Je prépare pour la rentrée Macbeth de Shakespeare.
KA : Parlez-nous de cette nouvelle aventure avec la Comédie-Française qui est un événement puisque trois femmes sont aux commandes, Muriel Mayette, administratrice de la Comédie-Française, Naomi Wallace l’auteur, et vous le metteur en scène.
ALL : Naomi Wallace est américaine, elle est très fière d’être crée en France à la Comédie Française après Tennessee Williams.
KA : Eclairez-nous sur le titre Une puce, épargnez la !
ALL : Le titre est un vers d’un poème du XVIIème siècle The Flea (une puce) de John Donne. Nous sommes à Londres en 1665, la peste ravage la ville. Un couple de riches bourgeois, les Snelgrave, attendent la fin de la quarantaine. Mais deux intrus s’incrustent chez eux, l’un par la cave, l’autre par les toits. Le premier est un marin Bunce, la seconde est une jeune fille de 12 ans, Morse. Cette intrusion repousse leur quarantaine car rien de ce qui se passe dans la maison n’échappe à Kabe le gardien, qui veille à ce que personne ne sorte. Le couple Snelgrave est désarmé face à ces deux êtres. Ils n’ont pas les codes de langage. La jeunesse de Bunce et de Morse bouleverse le couple… sexuellement.
KA : Les costumes sont très importants, les Snelgrave sont vêtus de noirs, Darcy Snelgrave porte un corset, une collerette, des gants, William Snelgrave est également figé dans son costume, mais porte des chaussures de belle facture et dans un très beau cuir.
ALL : Vous faites allusion à une scène importante et forte. Snelgrave tient à marquer sa position sociale. Bunce le marin est pied nus. Il remarque les belles chaussures de Snelgrave, ce dernier les lui prête pour qu’il les essaie et lui démontre que même avec ces chaussures de prix, il n’est qu’un marin. Il ne sait pas les porter. Il finira par les vendre pour monnayer sa liberté. On peut essayer à voir un début de bouleversement des classes.
KA : Vous avez choisi de respecter l’époque de la grande peste.
ALL : Oui, c’était important de conserver l’époque ne fusse que pour cette scène.
KA : Connaissez-vous la genèse de cette pièce ?
ALL : Naomi Wallace a été marquée par les émeutes en 1992 à Beverly Hills, cette guérilla urbaine qui envahissait les beaux quartiers. L’action de la pièce se déroule en 1665, mais le langage de Naomi est moderne, c’est une pièce politique. Elle parle de l’espoir d’une rencontre humaine. Le personnage de Morse la petite fille de 12 ans, interprétée par l’étonnante Julie Sicard, car il n’était pas question de faire jouer ce rôle étrange par une enfant de douze ans, porte à la fois l’orage, la rage et l’espoir. La pièce est un huis clos où les personnages sont bien obligés de s’écouter. Il y a l’espoir d’une rencontre humaine, d’écoute, de revendication pour la femme, la lutte des sexes, la révélation des corps. Le corps est très présent, et se révèle.
KA : Naomi Wallace donne-t-elle beaucoup d’indications, y a-t-il beaucoup de didascalies ?
ALL : Les didascalies sont extrêmement souples. Avec Naomi, c’est une belle rencontre. Elle est prête à entendre, elle vous laisse très libre. Dans ce texte, j’ai trouvé trois thèmes qui me sont chers et indispensables pour faire du théâtre le pouvoir, l’amour et la mort. Le théâtre, c’est de la poésie. Je suis très respectueuse des mots de Naomi Wallace, du décalage entre l’époque et le thème de la pièce, et cela avec ma sensibilité. J’aime l’idée de travailler sur l’espoir. Je suis heureuse de monter ce spectacle ici, avec tout le savoir de la Comédie-Française. Je profite de l’outil. Ce spectacle est un peu le prolongement de La Duchesse de Malfi, en attendant Macbeth.
KA : Pouvez vous nous parler de la distribution ?
ALL : Catherine Sauval a vraiment désiré être Darcy Snelgrave, c’est un personnage complexe. Guillaume Gallienne est William Snelgrave, Christian Gonon le gardien, nous avons déjà parlé de Julie Sicard qui interprète Morse et Félicien Juttner le marin. C’est une belle distribution.
Les répétitions reprennent. Anne-Laure Liégeois nous quitte souriante, prête à surveiller les derniers réglages de la scénographie qu’elle a imaginé, des costumes qu’elle a rêvés avec Renato Bianchi…Nous avons hâte d’assister à la représentation !
Propos recueillis par Marie Laure Atinault
Enfermés, les protagonistes le sont doublement : des préjugés de leur classe sociale et d’une demeure bourgeoise devenue prison. La menace ne vient pas seulement de la peste, l’atmosphère délètere de la maisonnée révèle les rancoeurs. L’interprétation de chacun, notamment Catherine Sauval, très émouvante, et Julie Sicard, étonnament crédible en petite fille rouée de 12 ans, est un régal. Seules les lumières s’allumant à chaque fin de scène et venant troubler, outre les yeux, la noirceur de la pièce, gâtent un peu le plaisir de cette représentation.