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Cendrillon – Texte et mise en scène de Joël Pommerat à l’Odéon Ateliers Berthier par Irène Sadowska Guillon

Posté par angelique lagarde le 15 novembre 2011

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Cendrillon © Cici Olsson

Cendrillon
Texte et mise en scène de Joël Pommerat
Scénographie et lumières d’Eric Soyer

Avec Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Marcella Carrara, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Deborah Rouach, Nicolas Nore et José Bardio.
A l’Odéon – Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier jusqu’ au 25 décembre 2011

Prisonnières d’un malentendu

Si vous croyez que cela commence par « il était une fois » et se termine par « ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », vous n’y êtes pas. Le happy-end est tout autre. Il n’y aura pas de citrouille changée miraculeusement en carrosse, pas plus que d’autres interventions du merveilleux venant secourir la jeune fille maltraitée par sa marâtre. Qui croirait encore aujourd’hui aux esprits bien ou mal veillants, aux fées et aux créatures surnaturelles ? Vous y retrouverez en revanche la méchante et égocentrique future belle-mère avec ses deux filles, un père veuf gentil mais veule, un roi et un jeune prince charmant mais reclus dans son chagrin, une fée extravagante au grand cœur et Cendrillon, naturellement, petite Sandra en l’occurrence.

Mais tandis que dans le conte d’origine, orpheline de sa mère, la jeune fille est simplement victime de la méchanceté de sa marâtre, ici c’est un malentendu stupide, les dernières paroles de sa mère mal comprises, qui sont à la source de son malheur. Partant du canevas du conte dont il conserve certains thèmes, des traces, Joël Pommerat tantôt les infléchit et les réinterprète tantôt s’en écarte, inscrivant cette fable archiconnue dans l’esprit et la réalité de notre société moderne, sans tomber dans l’écueil d’une transposition simpliste. Et si la fée de son Cendrillon  rate sans cesse ses effets, Joël Pommerat réussit un extraordinaire tour de magie de théâtre intelligent, fascinant, plein de tendresse et d’humour qui nous happe totalement.

Après Le petit chaperon rouge et Pinocchio, Joël Pommerat retrouve l’univers du conte avec Cendrillon en empruntant à la fable d’origine l’essentiel de sa matière pour en proposer une nouvelle approche et y imprimer sa marque de fabrique. Le conte n’est « pas seulement une histoire d’ascension sociale conditionnée par une bonne moralité qui fait triompher de toutes les épreuves ou une histoire d’amour idéalisé. Mais plutôt une histoire qui parle du désir au sens large : le désir de vie, opposé à son absence », explique Joël Pommerat. Dans la majorité des contes à but didactique, tout converge vers un happy-end qui n’est autre que la restauration de l’ordre moral et social, avec à la clef la punition des méchants et la récompense des bons. En règle générale le conflit se noue dans les rapports interhumains : jalousie, désir de pouvoir, de richesse, conquêtes de toutes sortes… Dans la lecture de Cendrillon proposée ici, le conflit est en nous, dans notre rapport à nous-mêmes, au réel, à la vie, à nos désirs, au vieillissement inéluctable, à la mort, la nôtre et celle des autres.

En partant de la mort de la mère de la jeune fille Sandra et de la dernière recommandation de la mourante qu’elle a mal entendue et comprise, Joël Pommerat articule son conte sur les thèmes de la perte, du devoir et d’une responsabilité trop lourde, de la culpabilité, de l’autopunition, mais aussi du temps, du pouvoir du langage, du refus de la réalité de la mort. Le happy-end chez lui n’est pas le retour à l’ordre moral et social, mais l’ancrage dans le réel, l’apprentissage de la lucidité, sans que cela n’exclut le rêve.

Le prologue et l’épilogue encadrant l’histoire réinventée de Cendrillon, la mettent en un double abîme temporel, celui du temps ancien, d’origine et celui du malentendu (propos mal entendus) qui pèse sur le destin de Sandra. Une image quasi identique dans le prologue et l’épilogue : sur le plateau vide, pendant que la voix off, comme venue d’un temps ancien, introduit et conclut l’histoire, on voit, dans un cercle lumineux, un danseur en noir esquisser, en écho à la voix off, tel un narrateur muet, juste avec les bras et les mains, une sorte de langage gestuel intemporel, dans un « ici et maintenant » du théâtre. Il y a encore le temps « immobile » représenté par la montre de Sandra, la fixant par ses rappels sonores sur son devoir de penser constamment à sa mère. Comme si les derniers mots de sa mère, mal entendus : si tu penses à moi à tout instant je ne mourrai pas pour de vrai, la retenait sous un charme, dans une immobilité permanente. Ces paroles mal entendues, telle la pomme empoisonnée d’un autre conte, la plongent dans un sommeil mortel, voire un cauchemar dont nous serons les spectateurs.

L’instant d’oubli de penser à sa mère précipite Sandra dans une culpabilité auto punitive, le refus de la vie, l’acceptation de toutes les humiliations, des travaux les plus sales et lourds dont l’accable sa future belle-mère. L’histoire du prince que l’absence de sa mère, dont on lui cache la mort, plonge dans un chagrin profond depuis dix ans, et dans l’attente de son retour, est symétrique à celle de Sandra. Et c’est en révélant au prince la vérité : ta mère est morte, brisant son espoir illusoire de retour de celle-ci, que Sandra affrontera et assumera la réalité de la mort pour de vrai de sa propre mère. Le charme du mensonge et de l’auto mensonge est rompu. Délivrés ainsi Sandra et le prince renaissent à la vie, à la réalité. Celle d’aujourd’hui où le mariage n’est pas forcément une conclusion heureuse. Ils partiront chacun de leur côté, se donnant de temps en temps des nouvelles, peut-être par mail ?

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Cendrillon © Cici Olsson

Le père, délivré lui aussi de la méchante ex future épouse, finira par se marier avec une autre, de bien meilleure compagnie. Voilà le happy-end très réaliste. Mais, grâce au pouvoir de la fée, Sandra va revoir la scène initiale en entendant cette fois les vraies paroles de sa mère : chaque fois que tu auras du chagrin, pense à moi avec le sourire, cela te donnera du courage. Mais entre temps nous verrons notre Sandra, surnommée par ses futures belles-sœurs Cendrier, à cause des taches sales, dégradantes qu’elle accomplit, traverser les épreuves sans se rebeller ni se plaindre. L’intervention inopinée d’une fée au look très moderne, adepte de la prestidigitation, la sortira, à son corps défendant, de sa torpeur.

On verra le père humilié, traité comme un valet par sa future famille, sa future épouse rêvant de l’éternelle jeunesse, se liftant sans cesse pour paraître l’âge de ses filles, admiratrice béate de la modernité, fière de sa maison tout en verre, construite par un architecte célèbre, ses deux filles oisives, arrogantes, grossières, accrochées à leur portable. Le cauchemar dans lequel sombre Sandra contraste avec des situations comiques que Joël Pommerat multiplie sur scène, toujours avec finesse, sans rajouter d’effets inutiles, en y injectant avec humour et ironie subtile, poétique, les éléments du quotidien et des expressions du langage moderne, de sorte que notre société contemporaine avec ses travers transparaît tout naturellement dans cet univers. Les références à notre réalité et les traces du fantastique du conte s’interpénètrent. Ainsi le père et Sandra arrivent-ils dans leur future famille avec des valises à roulettes, la fée, jeune femme désinvolte, apparaît en ratant sa sortie de l’armoire puis loupe ses tours magiques pour trouver une robe de soirée pour Sandra, la transformant en Pom Pom Girl ou encore en mouton. La scène des préparatifs de la future épouse, de ses filles et du père pour la réception royale et celle de leur arrivée à la cour déguisés en costumes du XVIIème siècle, le père coiffé d’une perruque, pour la fête tenant d’une soirée dans une boite de nuit, sont hilarantes. Parmi les collisions du fantastique du conte et du réel d’aujourd’hui : l’évocation d’Halloween en référence à la citrouille, Cendrier pour Cendrillon, la pantoufle perdue devient une chaussure que le prince offre à Sandra, etc…

La scénographie, comme toujours chez Pommerat et son comparse Eric Soyer, est basée sur le principe de la boîte noire : trois panneaux neutres des trois côtés de la scène, sur lesquels sont projetées parfois des images constituant le décor (par exemple forêt, arbres entourant la maison en verre) ou des formes géométriques créant une dynamique de l’espace. Les projections, jamais illustratives, s’intègrent dans la dramaturgie. Quelques objets apparaissent à certains moments : lit de la mère mourante, armoire déglinguée en toile et lit dans la chambre de Sandra à la cave, un panier à linge, deux chaises. Les éclairages créent, modulent l’espace, lui conférant une dynamique étonnante, tracent les parcours des personnages.

Déborah Rouach en Sandra, Catherine Mestoussis en future belle-mère, sont sublimes, virtuoses d’un registre de jeu, de l’incarnation à la parodie et l’on peut en dire autant des autres acteurs jouant chacun deux personnages, en leur conférant à la fois une présence réelle et une dimension de figures types. Joël Pommerat signe un chef d’œuvre de l’art du théâtre qui sous la forme d’un conte, interroge le rapport au réel, à la vraie vie et à la mort dans notre société contaminée de plus en plus par les réalités virtuelles.

Irène Sadowska Guillon

Odéon théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier
38, boulevard Berthier
75017 Paris
Réservation au 01 44 85 40 40

Le texte de la pièce sera publié aux Éditions Actes Sud Papiers en mars 2012.

 

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