Les chaises d’Eugène Ionesco – Mise en scène de Philippe Adrien au Théâtre de la Tempête par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 31 octobre 2011
Les chaises © Compagnie du 3ème oeil
Les chaises
D’Eugène Ionesco
Mise en scène de Philippe Adrien
Scénographie de Gérard Didier
Avec Monica Companys, Bruno Netter et Alexis Rahgheard.
Au Théâtre de la Tempête jusqu’au 5 novembre 2011
Quand l’inattendu et l’invisible se montrent
Il serait aberrant de chercher à faire coller à une actualité quelconque Les chaises de Ionesco, créée il y a presque 60 ans, en 1952. Cette farce tragique universelle, à la fois métaphysique et concrète, n’est-elle pas un condensé même du sort commun et inéluctable des êtres humains, leur terrifiante décrépitude et leur mort ? Un théâtre qui se dépouille, se dévide, où le destin invisible, inattendu se montre comme « la manifestation ultime des personnages dans un univers dont la réalité même s’est retirée », au point qu’il devient scène de théâtre. En montant Les chaises dans la continuité de sa collaboration avec la compagnie du 3ème œil, dont Bruno Netter, devenu aveugle et Monica Companys, actrice sourde, sont des figures emblématiques, Philippe Adrien l’aborde avec une extrême rigueur et acuité, touchant à l’essence même de cette œuvre, défi au théâtre.
« Le monde m’apparaît à certains moments comme vidé de signification, la réalité : irréelle » dit Ionesco en parlant du sentiment qu’il a de l’étrangeté de « précarité du monde comme si tout cela était et n’était pas à la fois, entre l’être et le non être : et c’est de là que proviennent mes farces tragiques, Les chaises par exemple, dans laquelle il y a des personnages dont je ne saurais dire moi-même s’ils existent ou s’il n’existent pas, si le réel est plus vrai que l’irréel ou le contraire ».
Les personnages des Chaises, un vieux couple vit seul sur une île. Le Vieux ressassant, frustré, sa vie ratée, ses rêves ou ses fantasmes d’être maréchal des logis, tandis que la Vieille le console il décide de délivrer un message au monde, aux invités tout aussi importants qu’insolites qu’il a convoqué à la soirée : propriétaires, fonctionnaires, savants, militaires, le Pape, papillons, etc… Aucun n’apparaît alors que les coups de sonnette retentissent, que le Vieux les accueille l’un après l’autre et que la Vieille s’affaire en les installant sur des chaises. Les chaises restent immuablement vides et les invités invisibles.
Accablé par sa mémoire défaillante et son incapacité à se concentrer, le Vieux a confié son discours à l’Orateur qui lui apparaît en chair et en os, émet un message obscur dans un langage incommunicable puis sort tandis que les vieux se jettent par les fenêtres. Fidèle jusqu’au moindre détail au texte et aux abondantes et très précises indications scéniques de Ionesco, Philippe Adrien crée sur scène un univers à la fois concret et irréel se dévidant du sens, de vie. Le temps se retire, la lumière, la mémoire s’en vont, les chaises vides bien réelles envahissent l’espace, amplifient les présences absentes. Le langage indécis se disloque pour se dissoudre dans des sons et des borborygmes inintelligibles émis par l’Orateur.
Le décor : une cloison métallique formant au fond de scène un demi-cercle sans porte ni issue, évoque un lieu isolé, une île mais aussi une scène du théâtre – monde. Une fenêtre de chaque côté flanquée d’un escabeau, des chaises empilées complètent ce « paysage » plongé, au lever du rideau, dans une demie obscurité du jour, du temps sans temps, dans laquelle les deux vieux vont petit à petit avancer vers leur propre disparition.
Alexis Rangheard, le Vieux, costume et chemise usés, maquillage blanc, Monica Companys, la Vieille, robe défraîchie, bonnet sur la tête, forment un étonnant couple ionesquien, tous les deux très justes, naturels et précis, jouant finement le comique sans jamais en rajouter. Bruno Netter, l’Orateur en queue de pie, nœud papillon, imprègne l’espace de sa présence muette pour s’y imposer soudain, tel l’ange exterminateur, lâchant une série de borborygmes, ultime coup de grâce au langage.
Une mise en scène d’une simplicité, d’une limpidité, d’une maîtrise parfaite du rythme et du mouvement dramatique. Il est rare également que les acteurs fassent entendre ce texte, qu’on croit bien connaître, avec autant de clarté et de naturel, en nous en ouvrant la perception. Un spectacle à ne pas manquer.
Irène Sadowska Guillon
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – route du champ de manœuvre
75012 Paris
Métro Château de Vincennes et navette Cartoucherie ou Bus 112
Réservations au 01 43 28 36 36