Les Translatines – 30ème Festival de Théâtre Ibérique et Latino-américain par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 29 octobre 2011
Les Translatines © Guy Labadens
Les Translatines
30ème Festival de Théâtre Ibérique et Latino-américain
Bayonne Biarritz du 13 au 22 octobre 2011
En péril !
Au terme de ses 30 éditions, ce Festival unique en France dédié à la découverte et à la promotion de la création théâtrale ibérique et latino-américaine novatrice, portant un regard critique sur notre monde, est menacé de disparaître. Le Théâtre des Chimères qui a créé et organise depuis 1981 le Festival s’est vu retirer le soutien des pouvoirs publics, en l’occurrence du Ministère de la Culture. A l’affiche de cette 30ème édition à la fois d’anniversaire et peut-être ultime, sont programmés des artistes incontournables, une belle vitrine du renouveau du théâtre chilien, les créations des compagnies Linea de Sombra du Mexique, la compagnie Timbre 4 de Claudio Tolcachir d’Argentine, Angelica Liddell d’Espagne, un spectacle de Vicente Pradal, un hommage à Miguel Hernandez poète et combattant républicain et bien d’autres à découvrir.
On ne compte plus les compagnies d’Espagne et d’Amérique latine comme Els Joglars, La Fura dels Baus de Catalogne, Teatro de Los Andes de Bolivie, Periferico de objectos, Timbre 4 d’Argentine, Teatro del Silencio et la célèbre La troppa du Chili, que la France et souvent l’Europe ont découvert au Festival de Bayonne, rebaptisé Les Translatines. La compagnie du Théâtre des Chimères profondément engagée dans le travail de création et de formation sur le terrain, a fait découvrir à travers ses propres créations et les programmations du festival de nombreux auteurs d’Espagne, du Chili, d’Argentine, de Cuba, etc… dont les œuvres sont aujourd’hui jouées régulièrement dans des théâtres et festivals d’Europe et même au-delà. Ce travail de découvreur, de passeur et de formateur du Théâtre des Chimères, largement plébiscité par le public et la critique, est aujourd’hui désavoué et sacrifié par les pouvoirs politiques. Emblématique de la démarche des Translatines, son édition 2011 a proposé la découverte de la nouvelle génération d’artistes chiliens dont les spectacles témoignent à la fois des singularités de leurs créateurs et de la diversité théâtrale au Chili.
Le petit panorama du renouveau de la scène chilienne allait du théâtre expérimental, politique, populaire, aux démarches pluridisciplinaires basées sur la recherche et la réhabilitation des traditions et du patrimoine culturel des communautés indigènes. Ainsi Kadogo enfant soldat de la compagnie Patriotico Interesante, en prise avec les injustices, les inégalités sociales, recourt à un langage accessible à tous, mêlant image, geste, parole, musique, y compris le rock, pour parler des adolescents qui, happés par la fièvre consumériste, marginalisés, sont recrutés par la guérilla, entraînés dans la délinquance et le trafic de drogue. Guillermo Calderon, un des metteurs en scène chiliens montant réinterroge dans Discurso y Villa, la présidence récente de Michèle Bachelet et le rapport à la mémoire des crimes de la dictature. Ñi pu tremen – Mis antepasados du Teatro Kimen, mis en scène par Paula Gonzalez, issu de l’exploration par ce collectif de la culture Mapuche restitue a travers les récits fragmentaires, les chants et la danse des femmes Mapuche de trois générations, la mémoire collective de cette communauté.
Inspiré par Déjeuner allemand, dramaticule de Thomas Bernhard, portrait d’une grande famille allemande, métaphore d’une société hantée par les fantômes du nazisme, Comida alemana mise en scène par Cristian Plana, évoque l’histoire macabre de la colonie Dignidad fondée au début des années 1960 dans le Sud du Chili par des immigrants allemands protestants, issus des Hitlerjüngen et imprégnés d’idéologie fasciste. Appelée cyniquement Dignidad cette société de type sectaire, sous la couverture de la bienfaisance, était en réalité un camp de concentration dirigé par l’ancien nazi Paul Scheffer dont les sinistres activités : tortures, abus sexuels, pédophilie, séquestrations, détournement de fonds, se sont poursuivies durant des décennies au su du pouvoir. Un camp d’intoxication et de formatage des esprits où les êtres humains sont transformés en esclaves, dont l’existence, après les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale et le solennel « jamais plus » nous confronte à notre bonne conscience.
Quelques repères de la création théâtrale au Mexique à travers : conférences, lectures théâtralisées, documentaires et le spectacle Amarillo de la compagnie Linea de Sombra dirigée par Jorge Vargas. Créé sur des textes de Gabriel Contreras et un poème de Harold Pinter, Amarillo s’articule sur le thème de la frontière, du départ sans retour, peut-être sans arrivée à la destination, le Texas, oscillant entre réel, documentaire et fiction.
L’irrésistible ascension de Claudio Tolcachir et de sa compagnie Timbre 4 de Buenos Aires revenant au Festival avec leur nouvelle création El viento en un violin présentée se précise aussi au Festival d’Automne à Paris. La pièce s’inscrit dans la continuité du questionnement par Tolcachir des relations complexes, de l’ambiguïté des sentiments, des luttes et des élans apparaissant dans une communauté formée de toutes sortes de marginaux que tout sépare, réunis par le hasard ou les accidents de la vie. Ils vont s’inventer des liens, constituer une famille improbable et subversive rejetant les règles sociales. Le sordide, le tragique, l’humour et l’absurde s’imbriquent sans cesse dans cette fable sociale drôle et cruelle. Une mise en scène brillantissime servie par des acteurs prodigieusement naturels et justes.
L’ouragan Liddell et le souffle poétique de Miguel Hernandez d’Espagne sont présents également. Furie enragée de la scène espagnole, Angelica Liddell est venue avec Te hare invencible con mi derrota. Elle y incarne la souffrance de Jacqueline Dupré morte à 42 ans d’une longue et éprouvante maladie, hurle son dégoût des vivants et se rebelle contre la souffrance, contre la mort injuste, s’écorche, tire sur des bouteilles de bière, se roule sur des morceaux de verre, etc… dans des paroxysmes de violence autodestructrice, sans nous rendre sensibles à l’exhibition de sa douleur.
En revanche, on est saisi d’authentique émotion dans El viento del pueblo conçu et mis en scène par Vicente Pradal et Coraly Zahonero de la Comédie Française qui ressuscite la poésie profonde, rocailleuse, de Miguel Hernandez, poète, homme du peuple, combattant républicain mort en 1942 dans une prison franquiste. Ses poèmes mis en musique et chantés se mêlent aux fragments de ses lettres écrites en prison à Josefina, sa femme et aux souvenirs de celle-ci, incarnée dans le spectacle par l’immense Evelyne Istria. C’est une création de toute beauté qui, plus qu’un hommage pour le centenaire de la naissance du poète, est un chant d’amour dans lequel résonne aussi la mémoire de la tragédie de la guerre civile d’Espagne.
On n’est pas à un paradoxe près dans la politique culturelle de notre pays qui, clamant tout haut son ouverture aux cultures des autres, fait disparaître sans hésiter une compagnie ancrée profondément dans la vie des gens, et sans laquelle cet espace unique d’accès à la création théâtrale hispanique n’existerait pas.
Irène Sadowska Guillon
Pour soutenir le Théâtre des Chimères et Les Translatines contacter :
Théâtre des Chimères
75 ave Maréchal Juin
64200 Biarritz
Tel 05 59 41 18 19
festival-theatre@wanadoo.fr
Tournées en France des spectacles présentés au Festival
El viento en un violin de Claudio Tolcachir, à la Maison des Arts de Creteil, le 14 octobre 2011
Comida Alemana de Cristian Plana, au Théâtre des Ateliers à Lyon du 22 au 24 octobre 2011
Amarillo du Teatro Linea de sombra au Théâtre Le Monfort à Paris, du 22 au 26 novembre 2011