Chansons déconseillées au Studio Théâtre de la Comédie-Française par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 26 septembre 2011
Chansons déconseillées © Cosimo Mirco Magliocca
Chansons déconseillées
Cabaret à la manière de « La prochaine fois je vous le chanterai » dirigé par Philippe Meyer
Arrangements et direction musicale de Pascal Sangla
Avec Cécile Brune, Sylvia Bergé, Françoise Gillard, Serge Bagdassarian, Benjamin Jungers, Stéphane Varupenne et Félicien Juttner.
Musiciens : Pascal Sangla ou Oswaldo Calo (Piano), Anne Causse (violoncelle), Frédéric Dessus (violon) et Jean-Claude Laudat (accordéon).
Au Studio Théâtre de la Comédie-Française jusqu’au 30 octobre 2011
L’ange de la censure passe…
Entraîné par le succès de son premier cabaret avec des comédiens chantants de la Comédie-Française en 2009 au Studio Théâtre, Philippe Meyer réitère en 2010 avec Chansons des jours avec et des jours sans et poursuit ce « feuilleton cabaretique » en proposant actuellement le chapitre suivant, plus parfait encore, Chansons déconseillées. Idée lumineuse que de rappeler aujourd’hui à l’heure où le politiquement et moralement correct régit l’espace public et privé, la belle époque de la censure qui traquait toutes les atteintes à l’ordre moral, social et politique, jusqu’aux chansons et ritournelles populaires.
A travers une vingtaine de chansons rebelles ou libertines, connues et moins connues, représentatives de la diversité de thèmes et de styles, le spectacle rappelle cette époque pas très ancienne d’après la Seconde Guerre Mondiale où la police des mots et des idées veillait et sévissait. Sans oublier la tradition de cette protection bienveillante datant du XIXème siècle. Un spectacle en tout point parfait servi avec grâce, finesse et humour par les fabuleux comédiens qui, tout en surprenant par leurs qualités vocales, impriment aux chansons juste ce qu’il faut de théâtre.
La chanson, art éminemment populaire, mettant la poésie à la portée de tous, parole libre, parfois libertine, a toujours bénéficié d’une vigilance particulière des gardiens du bon ordre. Ainsi à la fin du XIXème siècle, les chansons interprétées au caf’conc’ étaient-elles soumises au contrôle, souvent corrigées, épurées ou interdites quand leurs auteurs, par le truchement de métaphore, de jeu de mots, n’avaient pas réussi à déjouer l’œil et l’oreille du censeur. Après la guerre, avec la création de la Radiodiffusion nationale se met en place le Comité d’écoute, organe officiel de censure, composé de représentants de l’armée, de l’église, de la culture…, chargé d’autoriser ou non la diffusion des chansons à la radio. Les infractions visées : antimilitarisme, antipatriotisme, irréligion, offense aux bonnes mœurs, à la police…
Certains auteurs, poète, comme Ferré, Brassens, Vian, Dimey, Prévert, connus pour leur pensée insolemment libre, seront quasi « abonnés » à ce Tribunal redoutable. Plusieurs chansons interprétées par Greco, Aznavour, Les Frères Jacques, Trenet même, etc. seront ainsi purement et simplement interdites d’antenne, d’autres, selon le degré de liberté prise avec les valeurs sacro-saintes, autorisées en diffusion restreinte après 22 h ou minuit.
On voit encore sévir l’Inquisition culturelle dans les années 1960 même si elle lâche un peu prise à l’approche de mai 68 avec son « il est interdit d’interdire ». Mais ce n’est pas pour autant qu’elle ait disparu. Les temps ont changé, les mœurs aussi. La censure officiellement supprimée en notre démocratie moderne, perdure toujours officieusement, diffuse dans le tissu social, gardienne du « politiquement correct » respectueuse des sensibilités et du consensus. La fameuse citation de Beaumarchais ironisant sur la censure : si on ne parle pas de ça, de ça… et de ça, on peut écrire tout ce qu’on veut, ouvre en voix off, en guise d’épigraphe, le spectacle. Il commence en reprenant la chanson d’ouverture et de fin de Chansons des jours avec et des jours sans, Méli-mélo du Chanoine J Bovet, chantée en chœur à l’avant-scène.
Le décor est le même que dans le cabaret précédent : petite estrade au centre, micros sur pied et baladeurs, tabouret, petite banquette. Les musiciens : violoncelliste côté jardin, pianiste côté cour, accordéoniste et violoniste au fond, auxquels se joindront à certains moments une guitare et un trombone joués par les comédiens. Tous en costume pantalon foncé chemise blanche. Une mise en scène très sobre, extrêmement fluide et efficace. Vingt chansons, toutes censurées, certaines interdites, d’autres reléguées aux heures de diffusion nocturnes, s’enchaînent, interprétées en solo, duo ou à plusieurs, donnant parfois lieu à une brève esquisse de jeu, d’expression du personnage, de situation.
Des perles coupables de transgressions diverses. Ainsi, par exemple, Les progrès d’une garce (1950) de Mac Orlan interprétée superbement par Cécile Brune ou Vénus callipyge (1964) de Brassens, accusées d’outrage à la pudeur et aux bonnes mœurs. Le général à vendre de Francis Blanche (1954), créée par Les Frères Jacques, interdite pour atteinte à l’honneur de l’armée, dont Sylvia Bergé, Serge Bagdassarian, Stéphane Varupenne rendent la saveur et l’humour subversif. Les cimetières militaires (1966) de Pierre Louki, taxée d’antimilitarisme ou encore La gavotte des bâtons blancs de J. Guigo, d’offense à nos braves gardiens de la paix. Il y a aussi la rebelle Les Quat’ Cent coups de Léo ferré dont Stéphane Varupenne traduit admirablement la force poétique de la révolte, puis franchement anarchiste Giroflé Girofla à laquelle Cécile Brune, Françoise Gillard, Benjamin Jungers et Félicien Juttner impriment un souffle et un rythme très tonique. Il y en a beaucoup d’autres mais on n’oubliera pas Folâtreries de Valette (1931) par Serge Bagdassarian qui, avec la complicité d’autres comédiens en censeurs, improvise sur le mode farcesque un jeu de cache-cache avec la censure.
Dans l’ensemble moins de gags, de jeu de scène, que dans le spectacle précédent, rien d’illustratif. Les comédiens se relayent instantanément sans jamais rompre la fluidité du spectacle. On n’en sort comme sur des ailes, porté par son élégance et la force poétique de la parole libre résistante.
Irène Sadowska Guillon
Studio Théâtre de la Comédie-Française
99, rue de Rivoli
75001 Paris
Réservations au 01 44 58 98 58
Deux CD La prochaine fois je vous le chanterai volume I (2009)
La prochaine fois je vous le chanterai volume II (2010)
chez Harmonia Mundi Radio France, Comédie Française
Prochain cabaret Nos plus belles chansons au Théâtre Éphémère
du 1er au 16 juillet 2012