Les Enjeux du portrait en art par Lorraine Alexandre chez L’Harmattan par Rémy Thalie
Posté par angelique lagarde le 25 août 2011
Les Enjeux du portrait en art
Étude des rapports modèle, portraitiste, spectateur
Lorraine Alexandre
Série Théorie de l’image / Images de la théorie / In Champs visuels chez L’Harmattan
Penser l’art par sa pratique
La série Théorie de l’image / Images de la théorie, dirigée par Steven Bernas chez L’Harmattan, ouvre un état des lieux des enjeux esthétiques propres aux techniques photographique, cinématographique et vidéo. Elle interroge, plus spécifiquement, les particularités de ces techniques sur leurs modes de représentations du corps humain. La série publie Lorraine Alexandre, jeune artiste chercheuse, docteur en art et science de l’art, qui, à travers sa pratique plasticienne photographique, analyse volontiers le corps spectaculaire, le corps comédien, le corps art, théâtralisé, projeté dans l’univers visuel complexe et ambigu de la photographie.
Le livre commence sur une citation de Huis clos en chapeau, « Je te prendrai comme tu es. Je te changerai peut-être. » Une phrase clé pour une portraitiste dont la démarche, par nature, repose sur les rencontres avec les modèles ; des rencontres et leurs conséquences dont elle observe, en tant que plasticienne, et analyse, en tant que chercheuse, les enjeux. Un constat qui explique l’importance accordée à la photographie, clairement privilégiée ici en partie pour son lien au modèle et la nécessité de sa présence. Une démarche en miroir où chacun se cherche dans le regard de l’autre avant de soumettre le résultat de cette rencontre à un spectateur, entité extérieure qui viendra insuffler une nouvelle fonction, une autre valeur au portrait.
L’auteur situe tout de suite sa position, celle d’une plasticienne chercheuse dont la particularité repose sur le fait de développer son travail théorique au regard de sa production d’artiste. Ainsi le livre analyse les portraits artistiques et pousse cette posture au bout de sa logique par un effet d’intertextualité qui repose sur une stratification de différents arts. L’artiste / auteur sollicite régulièrement des modèles artistes du spectacle (comédiens, acrobates, transformistes, Drags Queens) ou des personnes transformant leur corps, à travers le Body Art, ou faisant de lui un support pour une création. Lorraine Alexandre aime ainsi interroger les tensions entre valeurs esthétique, artistique et la valeur d’une création identitaire. Comme elle l’annonce en introduction : « la création identitaire est l’objet de cette étude ». Le projet est alors de montrer comment le corps humain est amené à se théâtraliser, à s’écrire avec, ou contre, une culture et ses codes formels que les artistes peuvent se réapproprier et mettre en scène, en image.
Pour construire les bases fondatrices de ses recherches, l’auteur développe une interprétation du mythe de Narcisse. Celui-ci devient le fil conducteur de sa réflexion en sa valeur de mythe fondateur des arts visuels et représentant, à lui seul, la triple figure modèle, portraitiste, spectateur. Elle rappelle ainsi qu’interroger les rapports entre ces protagonistes du portrait suppose d’interroger la création artistique dans sa fonction médiatrice. Le portrait est donc présenté comme un acte de médiation entre les personnes.
Nous comprenons alors pourquoi le spectateur est admis comme protagoniste du portrait alors même qu’il est étranger à sa genèse. Lorraine Alexandre explique, en se basant sur la psychanalyse, que la perception est de nature subjective et révèle le monde psychique du regardeur bien plus qu’elle ne permet une vision « objective » de l’œuvre. Cette subjectivité, loin d’être vécue comme un piège, une limite de la compréhension, représente pour l’artiste une nouvelle étape créatrice. C’est le moment où l’artiste devient spectateur de la réaction de son « public » dont l’interprétation des créations engendre une démarche post-créatrice.
Avec cette étude, Lorraine Alexandre utilise différents outils de lecture ; elle associe psychanalyse, sociologie, anthropologie, esthétique et histoire de l’art essentiellement contemporain pour mieux élargir et préciser son propos. Sa démarche s’appuie sur ces questions et contribue à les introduire dans le domaine de l’articulation de la théorie et de la création artistique, elle valorise ainsi sa double fonction d’artiste chercheuse.
Rémy Thalie
Les Enjeux du portrait en art
Étude des rapports modèle, portraitiste, spectateur
Lorraine Alexandre
Série Théorie de l’image / Images de la théorie / In Champs visuels chez L’Harmattan
Paris 2011, 195 pages, 19 euros