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Lilo Baur met en scène l’opéra Didon et Enée de Purcell à Dijon – Rencontre en coulisses

Posté par angelique lagarde le 23 mai 2011

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Lilo Baur © Kostas Tsirouis

La voix de la destinée

La talentueuse Lilo Baur que nous avions rencontrée pour sa mise en scène de la pièce de Gogol, Le Mariage au Vieux-Colombier Comédie-Française et récemment applaudie de nouveau pour Le Conte d’hiver de Shakespeare au Théâtre de la Ville, nous fait l’immense plaisir de nous recevoir à Dijon cette fois-ci afin de nous raconter sa première expérience à l’opéra avec Didon et Enée de Purcell. Incroyablement bien entourée, elle voit sa proposition orchestrée par Jonathan Cohen, sous les regards respectifs d’Emmanuelle Haïm pour la musique et Claudia de Serpa Soares (danseuse dans la troupe de Sasha Waltz) pour la chorégraphie.

Kourandart : Merci Lilo Baur de nous recevoir à l’Opéra de Dijon à l’occasion de ces quelques représentations de Didon et Enée. C’est la première fois que vous mettez en scène un opéra ?

Lilo Baur : Oui, puis la contrainte de mettre en scène un opéra c’est que le libretto définit tout. Cela signifie qu’au théâtre, on a des libertés de changements de scène, on peut même ajouter des choses visuellement tandis qu’à l’opéra, c’est vraiment la musique, le tempo, le fil conducteur qui dirige la scène.

KA : Didon et Enée c’est donc l’histoire d’amour de la Reine de Carthage et du Prince de Troie sur qui le sort, le fatum va s’acharner, en dépit de leurs sentiments réciproques…

LB : Oui, c’est exactement ce que je voulais montrer, que c’est avant tout une histoire d’amour… Et je voulais aussi qu’on les perçoive comme des réfugiés en quelques sortes. Il est un héros, elle aussi est une femme forte, mais ce sont les dieux qui ont décidé autrement quant à leur destin. Cette notion de destinée a été pour moi le fil rouge, je voulais que les sorcières soient un peu plus présentes. Ce sont elles qui ordonnent Mercure d’aller annoncer à Enée qu’il doit partir. Elles ont quelque chose de véritablement effrayant comme les sorcières de Macbeth… J’ai commencé à relire Virgile pour véritablement comprendre l’histoire et m’apercevoir qu’Enée a erré pendant six ans. Et ces sorcières, je les aies vues comme mi-oiseaux mi-humains, un peu comme les harpies.

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Didon et Enée © Gilles Abegg

KA : Au théâtre, en tant que metteur en scène, vous avez l’habitude d’être le seul maître à bord, mais à l’opéra, il y a un autre metteur en scène musical, le chef d’orchestre… Il y a-t-il eu plutôt lutte de pouvoir ou cohésion ?

LB : Je suis ravie, ça c’est très bien passé. J’ai beaucoup aimé travaillé avec Jonathan Cohen. Dès le début, je voulais qu’il y ait une collaboration. Il est très clair que sur un opéra c’est le chef d’orchestre qui a le dernier mot. Mon frère qui est musicien m’a toujours expliqué ça. Et pour les chanteurs, c’est lui le repère quand ils sont sur scène. J’ai rencontré Jonathan trois fois avant de commencer à travailler à Paris. Il est même venu aux Abbesses voir ma mise en scène du Conte d’Hiver de Shakespeare pour le Théâtre de la Ville. Et ensuite, je l’ai revu à Londres pour parler, échanger nos visions. Je lui ai expliqué ce que j’avais envie de faire, je lui ai demandé par exemple, combien de personnes il pensait qu’on avait besoin pour le chœur, si mes envies étaient cohérentes. Evidemment, au fur et à mesure, j’avais envie de prendre de risques, de mettre des choses en suspend pour prolonger une émotion mais musicalement les parties sont calées et ce n’est pas possible de les étirer.

KA : Jonathan Cohen avait déjà travaillé avec William Chrystie sur Didon et Enée, par conséquent, il avait peut-être déjà certaines images en tête…

LB : Oui, sans doute puisque c’était une merveilleuse production qu’il avait faite après Fairy Queen, avec notamment Deborah Warner et plein d’enfants qui faisaient les changements de scènes. C’était donc une proposition très différente esthétiquement. Je pense que musicalement, il est bien entendu influencé par les metteurs en scène avec qui il a travaillé, mais je dois avouer aussi que de mon côté quand j’ai entendu différents enregistrements c’est vraiment celui de William Chrystie que j’ai adoré. Nous avions donc quelque chose de complémentaire tous les deux, mais il est certain que chacun amène sa vision.

KA : Dans cette production, nous avons donc trois arts liés, le théâtre avec vous Lilo Baur, la musique évidemment avec de surcroît un directeur d’orchestre, Jonathan Cohen, qui est également violoncelliste et la danse avec Claudia de Serpa Soares qui a beaucoup travaillé avec Sasha Waltz dont on se souvient du superbe ballet Didon et Enée

LB : Les chanteurs ouvrent l’opéra avec des images très fortes dès le début dans le premier tableau à la cour, puis il y a ensuite l’antre des sorciers, la chasse, le port avec les marins qui préparent leur départ et le retour à la cour. Et il était très clair pour moi qu’il fallait chorégraphier ce chœur, orchestrer le mouvement aussi. Nous avons donc travaillé à partir d’improvisations, comme j’avais pu le faire d’ailleurs à la Comédie Française quand j’ai mis en scène Le Mariage de Gogol.

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Didon et Enée © Gilles Abegg

KA : Vous vous êtes donc emparé de cette dimension de chœur tragique pour le transposer en chorégraphie…

LB : Exactement. Par exemple, quand les marins doivent hisser les voiles, je voulais vraiment que le mouvement soit juste. J’ai été jusqu’à leur apporter des reportages sur les régates et à demander conseil à un ami skipper. Il était important pour moi de créer cette notion d’équipe et que tout ceci soit visible. J’avais déjà travaillé avec Claudia sur Fish love, elle dansait dans le spectacle et j’aime beaucoup son regard. Elle a un univers très particulier, que j’apprécie, l’univers de Sasha Waltz.

KA : Aviez-vous vu la version chorégraphique de Sasha Waltz de Didon et Enée ?

LB : Non, mais justement ce qui était intéressant c’est que Claudia a travaillé dessus. La première partie se passait dans un aquarium, c’était un spectacle fabuleux. Mais là, ce qui lui a plu, c’est que justement ce ne soit pas avec des danseurs, il fallait créer autre chose avec ces jeunes choristes, prêts à explorer leur côté physique, plein d’envies…Vous verrez par un exemple un des choristes pratiquer l’art des Yamakasis, même si c’est sur un court moment nous avons voulu intégré cela dans le spectacle Pour moi c’est ça le spectacle vivant, c’est l’endroit où se rejoignent la danse, l’opéra, le théâtre… Claudia a guidé les choristes. On ne savait pas ce qui nous attendait, mais c’était vraiment une grande et belle surprise, c’est un chœur très motivé !

KA : Et quel a été le rôle d’Emmanuelle Haïm dans la conception de l’Opéra ?

LB : C’est elle qui a choisi le continuo, c’est-à-dire qu’elle a apporté son regard musicalement, et donc c’est Jonathan Cohen qui a travaillé beaucoup avec elle. Ils ont souvent collaboré sur d’autres productions. Pour les instruments par exemple, la viole de gambe, le luth et la flûte à bec, c’est elle qui a choisi ce qui correspondait le mieux à cette musique baroque.

KA : Qui interprète Didon, la Reine de Carthage ?

LB : C’est Andrea Hill, une jeune femme canadienne qui habite à Paris depuis trois ans. Elle a une voix sublime et je pense que pour elle, ce rôle est une des plus grandes pressions qu’une chanteuse puisse avoir, particulièrement pour la lamentation de la fin qui est un exercice extrêmement ardu. Je lui ai dit qu’elle avait déjà une voix magnifique mais que maintenant il fallait qu’elle aille puiser en elle l’émotion. Il faut oublier que le public vient écouter de belles voix puisque ça c’est une évidence, il faut leur apporter autre chose.

KA : Et Enée, le beau Prince de Troie ?

LB : C’est George Humphreys. Quand on a improvisé la première semaine, avec Andrea et lui, c’était formidable. Il s’est montré très ouvert à toute tentative. Pour moi, il était essentiel qu’on mette en évidence cette histoire d’amour entre eux deux., qu’il y ait une cohésion  véritable entre les deux interprètes.

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Didon et Enée © Gilles Abegg

KA : Les sociétaires de la Comédie Française n’en reviennent pas de ce qu’ils ont fait dans Le Mariage, est -ce que ça a été plus difficile avec des chanteurs d’opéra qu’avec les Comédiens Français ?

LB : Non, pas du tout. Ils sont jeunes, ils n’ont encore pas beaucoup d’expériences de travail avec d’autres artistes, ils sont très ouverts, curieux… Puis, chacun a une formation un peu différente au niveau de sa voix. J’ai vraiment travaillé avec eux comme à la Comédie Française sur la base d’improvisations, surtout la première semaine quand on était un petit groupe de 6 -7 personnes et là, je trouve qu’ils étaient très ouverts, très à l’écoute. Le premier jour, nous avons fait que des improvisations sans le clavecin et à d’autres moments aussi, nous avons travaillé uniquement sur le texte pour qu’ils jouent entre eux sans y poser tout de suite l’interprétation du chant. Et souvent, c’est dans cette liberté qu’ils ont trouvé une vérité et après ils ont tenté de garder cette même force. Par exemple, quand Mercure vient dire à Enée qu’il doit partir, il fallait vraiment qu’il trouve l’intensité tragique de cette question, « Tonight?! ». Oui, précisons que l’opéra est en anglais… Et enfin, c’est aussi une difficulté de rendre lisible l’histoire pour les gens qui ne la connaissent pas parce que ce sont vraiment cinq tableaux complètement différents.

KA : Il y a un autre rôle d’importance que nous n’avons pas encore évoqué, c’est Belinda, la soeur de Didon…

LB : Oui, et j’aime beaucoup que vous l’appeliez « la soeur » parce que ce n’est pas du tout précisé dans Purcell, alors que dans Virgile oui, c’est Anna, la soeur, qui d’ailleurs a le même texte. Au début, quand on a parlé du rôle, je lui ai tout de suite dit : «  Belinda, je pense que tu es Anna dans Virgile, l’amie, la confidente, la soeur… ». Leur relation est très importante parce que c’est elle au début qui lui recommande d’écouter Cupidon, de se laisser aller à ses sentiments en réponse à cet air très difficile où Didon est tourmentée qui ouvre l’opéra. Elle dit : « la paix et moi sommes des étrangers ». Elle est arrivé à Carthages après l’assassinat  de son mari par son frère. Elle a juré de ne plus jamais aimer, elle porte comme une fatalité…

KA : En effet, Didon et Enée est une tragédie puisque la fatalité est en scène dès le début… On connaît déjà la fin, mais l’âme humaine ne peut qu’espérer une fin plus heureuse.

LB : Oui, pour moi, le destin est le thème essentiel de cet opéra. Dès le début, quand Enée demande à Didon quand va-t-elle sourire, va-t-il enfin gagner son coeur pour lui et pour l’Etat, pour réunir les deux royaumes, elle répond que c’est le destin qui lui interdit. Dès le début, elle a un dilemme, elle est tombée amoureuse de lui et elle sait que quelque part ce n’est pas possible.

KA : C’est aussi une parabole sur le devoir…

LB : Oui et sur le pouvoir. Ce qu’il y a de différent avec Purcell c’est que l’intrigue commence le jour après son récit alors que chez Virgile, Enée est déjà là depuis un an. Par exemple, dans l’opéra, le choeur dit à Didon, « ton amoureux arrive » ça veut dire qu’il s’est peut-être déjà passé quelque chose. Il lui dit : « J’ai envie que tu dises oui à mon amour ». Nous on a décidé qu’il est donc arrivé la veille et qu’il lui déclare son amour et c’est encore plus tragique, qu’elle dise oui et que Mercure les sépare.

KA : Vous semblez avoir une véritable envie de recommencer cette expérience à l’opéra…

LB : Oui une autre, mais pourquoi pas le même aussi ! Il y a déjà eu deux représentations, la seconde était meilleure que la première, il y avait plus d’harmonie musicalement et au niveau du jeu. Je vais juste encore modifier de petites respirations pour que l’histoire soit la plus lisible possible.

KA : C’est aussi la grande différence entre le théâtre et l’opéra, les chanteurs ont besoin de reposer leurs voix donc il y a des pauses entre les représentations qui sont d’ailleurs dans un nombre très limité. Au théâtre, on a le temps de s’installer, tandis qu’à l’opéra il y a une césure entre les représentations et en plus le temps d’exploitation est très court, n’y a-t-il pas une frustration par rapport à ça ?

LB : Moi, je pense que justement, c’est un peu comme les danseurs, ils ne dansent pas tous les soirs et comme j’ai travaillé dans une compagnie de danse, il y a longtemps maintenant, en 1989, je connaissais un peu cette différence, physiquement, ou pour les cordes vocales, évidemment que le repos est nécessaire. Même si cet opéra n’est pas des plus difficiles au niveau vocale et qu’en plus il est court. Pour  moi c’est un peu difficile, je pense par exemple à la coupure entre vendredi et aujourd’hui dimanche, on a accouché de quelque chose, on  a envie de continuer et du coup il faut lâcher prise et hier c’était une journée très bizarre pour ça et les interprètes me l’ont confirmé, ils ont ressenti la même chose. Ils chantent ce soir, pause demain et la dernière mardi.

KA : Va-t-il y avoir une tournée ?

LB : Je ne sais pas, peut-être, il faut voir si des programmateurs sont intéressés. Claudia a dit qu’elle allait essayé de faire quelque chose pour qu’on puisse l’emmener au Portugal.

KA : Quels sont vos projets ensuite Lilo Baur ?

LB : Alors justement, il y a un autre opéra, voyez vous l’aviez senti, c’est La Résurrection de Hendel avec l’atelier lyrique de l’Opéra Bastille en avril 20212, mais avant nous allons reprendre Le Mariage de Gogol au Vieux-Colombier en janvier 2012 et j’ai rendez-vous la semaine prochaine pour une autre pièce à la Comédie-Française pour la saison 2012-2013 et en même temps, j’ai envie de faire une pièce que mijote depuis très longtemps sur le savon et l’hygiène et c’est ça que j’ai envie de monter l’année prochaine.  Il y a beaucoup de projets qui s’organisent…

KA : Merci beaucoup Lilo Baur, nous sommes maintenant impatientes d’assister à cette représentation de Didon et Enée !

Propos recueillis par Marie-Laure Atinault et Angélique Lagarde

 

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