Le théâtre par Alain Viala et Daniel Mesguich – Collection « Que sais-je ? » par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 5 mai 2011
Le théâtre
Alain Viala et Daniel Mesguich
Collection « Que sais-je ? » Aux Presses Universitaires de France
Qu’est-ce que le théâtre ?
Peu d’activités sont aussi universelles et inextricablement liées à l’existence humaine que le théâtre. Quelles que soient ses fonctions et ses formes, rituelles, sacrées ou profanes, il n’y a pas de société sans art dramatique. Peu d’activités aussi ont suscité autant d’interprétations, d’analyses, de commentaires, de définitions parfois contradictoires que la pratique théâtrale. Dans le petit volume publié dans la célèbre collection Que sais-je ? intitulé sobrement Le théâtre, écrit en forme de dialogue, Alain Viala et Daniel Mesguich, croisant leurs regards, l’un d’historien, théoricien du théâtre, l’autre de praticien de la scène, interrogent le théâtre en revenant à ses données fondamentales.
Sans prétendre apporter des réponses définitives ils abordent les questions des lieux théâtraux, du texte dramatique, des troupes et des acteurs, de l’illusion théâtrale, des émotions que provoque le spectacle et des valeurs qu’il met en jeu. Comme dans une joute intellectuelle la pensée, l’écrit théorique et l’expérience de la scène se confrontent, se complètent, se frottent, se contredisent parfois. Ecrit avec clarté et simplicité dans un style brillant, léger, dépouillé du jargon universitaire et accessible à tous, ce livre est une excellente introduction aux pratiques, aux techniques et aux esthétiques de l’art du théâtre.
Depuis toujours, à ne remonter que jusqu’à Aristote, on a pensé, commenté, théorisé, défini le théâtre, ses formes et ses règles. Les écrits sur le théâtre et les œuvres tracent son histoire. Il n’en est pas moins vrai que l’acte même de théâtre, le temps partagé entre les spectateurs et les acteurs, éphémère et ireproductible par définition, n’est pas réductible aux mots, échappe à l’écrit. Et si la pensée, l’écrit sur le théâtre et l’expérience vécue de la scène, le savoir théorique, objectif de l’historien de théâtre et le savoir direct, vivant de l’artiste, se mettaient à dialoguer, à se confronter en questionnant chacun de son point de vue les données fondamentales du théâtre ?
Alain Viala, théoricien du théâtre, professeur à l’Université d’Oxford et professeur émérite à Paris III Sorbonne et Daniel Mesguich, acteur et metteur en scène, relèvent le défi de croiser dans ce livre, Le théâtre, leurs regards chacun depuis sa pratique. La matière de leur dialogue circonscrite en sept chapitres et un épilogue va, à travers leur double approche, du spectacle, des lieux du théâtre, des textes, des acteurs et des troupes, de l’illusion théâtrale, des émotions, des institutions et des valeurs jusqu’aux spectateurs.
Chaque chapitre prend pour référence une œuvre majeure, ainsi : Le songe d’une nuit d’été pour parler du spectacle; Les Atrides pour aborder la question des lieux, des techniques et des styles; Don Juan pour l’analyse de la complexité du texte, les genres, les conventions du texte, du statut de l’auteur; le Faust de Goethe pour traiter des aventures collectives, des acteurs, des personnages, des metteurs en scène et des directeurs de théâtre; L’illusion comique pour la réflexion sur l’illusion vraisemblable, les unités et le plaisir ludique; Mère courage et ses enfants pour aborder les concepts de la mimésis et de la catharsis, enfin Hamlet pour les questions des institutions théâtrales, de la censure, du jeu, des émotions et des valeurs.
Chaque aspect de la problématique du théâtre est d’abord présenté et inscrit dans une perspective historique par Alain Viala auquel Daniel Mesguich répond dans les notes en bas de page. Cette façon de réagir immédiatement au propos de son interlocuteur, de juxtaposer les deux points de vue, les deux logiques, confère une vivacité, une spontanéité à leur dialogue. Ainsi, par exemple à l’explication de l’origine du terme théâtre, venant du mot grec theatron, le lieu où l’on regarde, donnée par Alain Viala, Daniel Mesguich apporte le point de vue de l’acteur depuis la scène pour qui le théâtre est un lieu où l’on voit mais aussi le lieu d’où l’on voit. Les deux points de vue se renvoient l’un à l’autre comme dans un miroir. Le théâtre serait finalement ce lieu « où l’on voit ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne pourrait pas où on ne devrait pas voir, on voit ce que la vie quotidienne nous empêche de voir ». On suit ainsi, tout au long du livre, une brillante joute intellectuelle dans laquelle Daniel Mesguich prodigue les arguments, poussent à l’extrême, avec virtuosité, la logique de ses démonstrations.
Quand Viala décrit les diverses configurations du lieu du théâtre depuis les traditions orientales en passant par le théâtre élisabéthain, le théâtre grec, médiéval, le théâtre de Jeu de Paume, à l’italienne, etc… A propos de ce dernier Mesguich aborde la question du jardin et de la cour, les deux termes venant de la même racine indo-européenne « ghorto » ce qui, dans sa démonstration poussée au bout, ramène le théâtre à un point. Tout aussi brillante est sa démonstration des multiples lectures auxquelles le texte de Don Juan de Molière pourrait donner lieu. Au sujet des acteurs qui, selon le théoricien, donnent vie aux personnages, Mesguisch développe sa vision de l’acteur et du spectateur comme « une anthologie » constituée de bribes de livres invisibles.
Dans ce dialogue, offrant un plaisant jeu d’esprit, l’énoncé objectif de l’historien du théâtre sert en quelque sorte à la fois de tremplin et de faire-valoir pour l’acception très personnelle, subjective, du théâtre de Daniel Mesguich. Elle s’incarne dans son rapport à Hamlet, son œuvre fétiche « la matrice de tout le théâtre ». Et les spectateurs dans tout cela ? Qui sont-ils ? Que viennent-ils chercher ? Qu’attendent-ils du théâtre ? Questions auxquelles, depuis la Grèce antique jusqu’à nous, on ne cesse de chercher à répondre. Le théâtre est-il un art élitaire ou populaire ? Le théâtre n’est pas plus affaire d’une élite que la physique, la biologie ou la philosophie, répond Mesguich pour qui le « spectateur populaire » est un concept vide. En reprenant la formule d’Antoine Vitez « élitaire pour tous », « le théâtre, dit-il, doit s’adresser au public en devenir et non pas à un public tel qu’il est, dans l’état où il est ». Voilà une voie toute tracée pour tous les égarés dans les impasses du théâtre populaire, citoyen, engagé, de l’art pour chacun…
Irène Sadowska Guillon
Le théâtre
Alain Viala – Daniel Mesguich
Collection « Que sais-je ? » aux PUF
Paris 2011,126 pages, 9 euros