L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht – Mise en scène de Laurent Pelly à la Comédie-Française par Edouard Brane
Posté par angelique lagarde le 26 avril 2011
L’Opéra de quat’sous © Brigitte Enguérand
L’Opéra de quat’sous
De Bertolt Brecht
Musique de Kurt Weill
Traduction de Jean-Claude Hémery
Basé sur la traduction par Elisabeth Hauptmann de L’Opéra des gueux de John Gay
Mise en scène et costumes de Laurent Pelly
Direction musicale : Bruno Fontaine
Avec Véronique Vella, Thierry Hancisse, Sylvia BergÈ, Bruno Raffaelli, Jérôme Pouly, Laurent Natrella,Christian Gonon, Léonie Simaga Serge Bagdassarian, Marie-Sophie Ferdane
Et les élèves-comédiens de la Comédie-Française
A la Comédie-Française du 02 avril 2011 au 19 juillet 2011
La Comédie-Française chante un film noir
Tout commence en 1728 avec L’Opéra des gueux de John Gay. Cet opéra-ballade était alors une satire de la société anglaise de l’époque, bien avant que Brecht et Weill s’en inspirent à leur tour en 1928 et connaissent un succès immédiat dans l’Allemagne d’avant-guerre. L’Opéra de quat’sous est à la fois une critique violente de la bourgeoisie vivant dans une société menée par l’argent et la corruption, et une annonce la montée du nazisme. Cette histoire de deux gangsters se faisant la guerre était alors le reflet d’une société parallèle hystérique gérée par des milices privées dont Fritz Lang par exemple, au cinéma, en livrera une autre vision dans M, le maudit.
A l’heure où la crise économique bat son plein en 2011, l’œuvre semble sonner de nouveau l’alarme par ses dialogues acerbes et violents. Ce n’est pourtant pas ce qui ressort à première vue de la nouvelle mise en scène conçue par Laurent Pelly à la Comédie-Française. Ancrée dans la farce et le comique de situation, cette version post-Tatcherienne s’attache plutôt à porter un regard naïf et dépassé de la société occidentale contemporaine. Elle prend à l’inverse un certain recul sur l’aspect politico-social de l’œuvre au profit d’une absurdité cinématographique parodique. On pourrait ainsi se croire dans un film noir de Henry Hataway ou encore dans le Londres pluvieux et humide de Guy Ritchie.
Sa proposition fascine par une direction d’acteur précise ainsi qu’un ballet de décors inventifs et efficaces signé Chantal Thomas agrémenté du jeux de lumière expressionniste de Joël Adam. Mais si on prend plaisir à voir cette production qui souffre toutefois de quelques longueurs, c’est avant tout grâce à la troupe de la Comédie-Française qui s’en donne à cœur joie à travers la musique de Kurt Weill qu’ils entonnent à gorge déployée. Dès le lever de rideau, seul le visage blême de Serge Bagdassarian apparaît ainsi sur scène pour livrer une somptueuse version de La complainte de Mackie-le-surineur.
A partir de cet air de foire qui annonce la couleur, le chef d’orchestre Bruno Fontaine prendra lui aussi plaisir à diriger dans une micro-fosse d’orchestre un Thierry Hancisse machiavélique et séducteur, une Véronique Vella catho-prato à souhait, un Bruno Raffaelli en chef d’entreprise castrateur ou encore une sublime Léonie Simaga qui hypnotise dans l’air Jenny-des-Corsaires. N’oublions pas le reste de la distribution parmi lesquelles les élèves-comédiens de la Comédie-Française qui proposent des mendiants et des filles de bordel d’une douce qualité. Dérangeant et plaisant, cet Opéra de quat’sous le demeure donc. Dans sa note d’intention, Laurent Pelly affirme qu’ « il s’agit au fond de se moquer du sérieux tout en restant sérieux ». C’est précisément ce qu’il arrive à faire le mieux, que cela soit dans sa vision architecturale d’Ariane à Naxos de Richard Strauss ou dans son anachronique Giulio Cesare de Haendel. Sa première création à la Comédie-Française ne trahit aucunement son talent et le déploie tout à nouveau.
Edouard Brane
Comédie-Française – Salle Richelieu
1 place Colette
75001 Paris
Réservations : 08 25 10 16 80
Site : www.comedie-francaise.fr