Le conte d’hiver de Shakespeare – Mise en scène de Lilo Baur au Théâtre de la Ville – Les Abbesses par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 7 avril 2011
Le conte d’hiver © Mario Del Curto
Le conte d’hiver
De Shakespeare
Mise en scène de Lilo Baur
Avec Hélène Cattin, Gabriel Charmé Buendia, Ludovic Chazaud, Pascal Dujour, Mich Ochowiak, Marie Payen, Kostas Philippoglou, Ximo Solano, Gaia Termopoli.
Au Théâtre de la Ville Théâtre des Abbesses jusqu’au 10 avril 2011
Un conte aux allures de cauchemar
Dans Le conte d’hiver Shakespeare amène la jalousie et l’amour à cet état d’étourdissement, de vertige où l’imagination l’emportant sur la raison rend tout possible. Comme dans les contes, dans Le conte d’hiver tout est bien qui finit bien, les injustices commises seront punies et rachetées, ceux qu’on croyait morts reviennent miraculeusement à la vie, l’enfant perdu et l’ami injustement accusé, retrouvés. Après les épreuves traversées, tels des naufragés d’une tempête, les protagonistes de l’histoire insensée « racontée par un fou » reprennent pied dans la réalité.
Comment le soupçon fait germer la jalousie qui, aux dépens de toute logique, s’emballe dans une fiction, dans une folie destructrice de la famille, de l’amour, de l’amitié ? Comment l’amour pur de jeunes gens rachète les fautes d’un homme qui par sa monstrueuse jalousie a perdu sa femme, ses enfants, son meilleur ami ?
Lilo Baur, la metteuse en scène suisse dont nous avons admiré Fish Love présenté au Théâtre des Abbesses en 2008,prend dans sa mise en scène le parti du conte aux allures de cauchemar raconté par un enfant dont les fabuleux interprètes qui savent tout faire nous captivent et ne cessent de nous surprendre, jonglant avec art de la drôlerie et du tragique.
Il était une fois un roi de Sicile, Léontès, qui, soupçonnant tout le monde de trahison, se met en tête que son meilleur ami Polixénès, roi de Bohême en visite chez lui, a séduit sa femme Hermione. Son imagination s’emballe, sa jalousie monstrueuse l’emporte sur la raison. Rien n’y fait, ni les avis de ses ministres convaincus de la vertu de la reine, ni les implorations de celle-ci qui réfute les accusations, ni même l’oracle de Delphes menaçant des conséquences désastreuses le roi prêt à commettre une injustice.
Carrillo chargé de tuer le roi de Bohême s’évade avec lui, craignant d’être un jour lui-même victime de son maître obsédé par la trahison. On va de catastrophe en catastrophe. Le jeune fils du roi, soupçonné d’être un bâtard, voyant la reine accusée meurt de chagrin, Hermione jetée en prison accouche d’une petite fille et meurt au cours de son procès. L’enfant échappe à la mort grâce à la pitié d’un courtisan qui l’abandonne à son destin. Comme dans les contes l’enfant, recueilli par de bonnes gens, par la conjonction de divers hasards et rencontres, sera l’instrument miraculeux des retrouvailles, de la réconciliation et du pardon.
Lilo Baur qui a fait ses armes comme comédienne avec le Théâtre de Complicité de Simon McBurney, puis avec Peter Brook, jouant dans La tragédie d’Hamlet, l’assistant ensuite pour Fragments de Beckett et pour Warum Warum, en a retenu l’esprit du travail, la simplicité, l’ellipse, l’invention, l’économie de moyens et l’art de suggérer, de faire naître dans l’imaginaire du spectateur tout un monde par juste quelques signes, des effets simples, artisanaux, de théâtre. Elle s’en sert avec maestria pour créer l’univers du conte magique où le réel et le merveilleux, le tragique et le grotesque se côtoient, s’interpénètrent, les identités s’échangent, les désirs et les passions extrêmes s’affrontent. La mixité de sa troupe, des acteurs originaires de cultures et de langues différentes, donne un caractère et une couleur particuliers à son travail.
Le conte d’hiver © Mario Del Curto
Sur scène peu d’éléments qui, instantanément, comme dans les jeux d’enfants, se transforment et ont de multiples usages. Au fond de scène un mur de grosses pierres décalées les unes des autres qui va se transformer selon les scènes et les situations, s’écarter, se scinder, dissimuler les changements de costumes, faire le passage d’un endroit à un autre. Quatre ou cinq paravents à trois panneaux apportés par des acteurs, placés soit de façon linéaire soit décalés, permettent des apparitions et des disparitions rapides, créent l’effet d’un cadrage ou d’un gros plan, ou encore évoquent les pages tournées d’un livre de conte. Ainsi, par exemple, dans la première scène quand le fils du roi présente les protagonistes du conte. Un baquet en bois sert de baquet mais aussi de berceau, renversé d’estrade, de socle pour la statue d’Hermione, un tapis et un juke-box à manivelle figurent l’atmosphère festive à la cour au début du spectacle, deux tables et des bancs sont amenés pour la scène de la fête campagnarde.
Les costumes stylisés, faisant référence par quelques signes ou éléments aux contrées où se passe l’action, roi de Bohême, tunique blanche à bandes noires, large ceinture, roi de Sicile, grand manteau royal, les bergers, chapeaux, costumes stylisés sur le vêtement de paysans, le fils du roi de Sicile en costume de marin pour enfant, costume coloré, stylisé sur l’habit populaire balkanique pour la princesse, fille du roi de Sicile, recueillie par des paysans de Bohême.
Comme chez Ariane Mnouchkine où chez Peter Brook, les effets scéniques sont produits avec des moyens théâtraux très simples et le jeu sonore. Ainsi par exemple pour faire la tempête les acteurs se tournent et agitent leurs grands manteaux sur un fond sonore faisant le vent. Ou encore à un autre moment les acteurs couchés par terre, enveloppés de leurs manteaux, font les souches des arbres, etc…Les effets sonores parfaitement synchronisés avec les actions participent à la narration scénique.
Le ton et la convention du conte sont donnés d’emblée « c’est un conte » dit le fils du roi de Sicile en nous présentant les personnages. La distance est installée. Certains acteurs jouent plusieurs personnages. Tous font preuve d’une excellente maîtrise du registre du jeu du théâtre populaire. Les divers accents des acteurs, les chansons chantées en plusieurs langues, accompagnées à l’accordéon, impriment à la Sicile et à la Bohême une couleur d’un ailleurs, d’un quelque part fantastique du conte. Avec un remarquable sens de la tension dramatique et du rythme Lilo Baur enchaîne les séquences, multiplie les effets comiques sans jamais les souligner, théâtralise avec de belles trouvailles scéniques le passage du temps et les ellipses temporelles. Elle réussit dans sa mise en scène cette alliance rare de la poésie, de l’art et du plaisir du théâtre.
Irène Sadowska Guillon
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
31 rue des Abbesses
7018 Paris
Réservations au 01 42 74 22 77