Jérôme Lefèvre, directeur artistique de la foire Art-Paris, rencontre à la veille de l’événement par Lorraine Alexandre
Posté par angelique lagarde le 30 mars 2011
JM Basquiat 1984 – Porter – courtsesy Enrico Navarra
Art-Paris, Just Art !
Foire d’art contemporain
Du 31 mars au 3 avril 2011
Nef du Grand Palais
Les nouvelles impulsions d’Art Paris
Jérôme Lefèvre est directeur artistique de la foire Art-Paris, événement prépondérant du printemps pour l’art contemporain. Fort de son passé de commissaire d’exposition et de critique d’art, il met en place depuis deux ans, aux côtés de Lorenzo Rudolf, un projet à long terme dont le but est d’insuffler une nouvelle impulsion à la foire. Il nous présente ici les moyens mis en place cette année pour faire rayonner l’événement et transcender les limites traditionnelles de la Nef du Grand Palais.
KA : Cette année, la foire Art-Paris sort de ses frontières habituelles, celles de la Nef du Grand Palais. Elle nous propose deux événements annexes. D’abord, « Les nuits Parisiennes », hommage assumé à la « Nuit américaine » de Truffaut, et qui sont constituées de neuf événements dans différents lieux. Ensuite, « Move for Life ». Pouvez-vous nous présenter ces projets ? Pourquoi avoir éclaté l’espace de la foire ?
JL : La foire, en tant que telle, reste au Grand Palais, mais nous développons deux projets spéciaux en périphérie. Le premier propose un parcours venant en complément du parcours habituel des institutions partenaires de la foire, et le second, de l’art monumental. Ce dernier, « Move for Life » est un projet auquel je tiens beaucoup. C’est un projet d’art public, monumental et mobile qui consiste en une suite de huit camions utilisés comme supports d’une œuvre d’art monumentale. Il cumule ainsi trois aspects. Nous pouvons le considérer comme un art public car il prend place dans la ville qu’il traverse et devient visible pour tous sans droits d’entrée ! Il est monumental par son envergure, les camions comptent parmi les plus grands au monde, ils font douze mètres de long sur trois de haut et sur deux faces. Ce projet est, également, mobile car les camions vont traverser, non seulement Paris, mais aussi l’Europe. Nous avons, en effet, un partenariat avec le transporteur qui va conserver quelque temps les œuvres qui recouvrent les camions pour leur donner une visibilité pendant cette traversée européenne. Chacun des huit camions est le support de l’œuvre d’un artiste sélectionné et dont certains ont été produits spécialement pour cette occasion. Nous retrouvons : Robert Rauschenberg, Atelier Van Lieshout, Daniele Buetti, Jochen Gerz, Mark Titchner, Damien Deroubaix, Isabel Munoz et Ben Vautier.
KA : Et quel est le parcours des « Nuits parisiennes » ?
« Les nuits parisiennes » forment un parcours à travers différents lieux dont certains sont apparentés à l’art, mais des lieux ouverts au public qui ne font pas forcément partie de nos partenaires habituels et auxquels nous venons apporter un contenu. Généralement, les foires comme Art-Paris travaillent avec un réseau d’institutions partenaires. Ces partenariats signifient que les VIP invités peuvent accéder à un service voiturier et venir dans les cocktails et les conférences organisés dans ces lieux à l’occasion des foires. Mais, cette année, nous avons voulu passer une nouvelle étape, aller plus loin. Nous avons donc investi de nouveaux lieux comme l’Espace culturel Louis Vuitton, la Fondation d’entreprise Ricard, Artcurial, Hotel le Meurice, Hotel Royal Monceau – Raffles Paris, L’Eclaireur, le Village Royal/Artpress et la Villa L.
Mark Titchner, 2011 © Littmann Kulturprojekte
KA : Quelle est l’ambition de ces deux programmes ?
JL : Ces deux programmes ont une ambition très simple. Ils servent à faire rayonner la foire. Car si la foire est bien un événement en tant que tel, il devient indispensable aujourd’hui d’en faire un événement social. Les foires doivent pouvoir évoluer et se dépasser. Par exemple, on va à Bâle non seulement pour son prestige et son luxe, mais aussi parce que c’est un lieu de rendez-vous qui attire différents publics au-delà de celui attendu des collectionneurs et des professionnels de l’art contemporain. Il existe un public qui suit ce type d’événements sociaux. C’est donc dans cette idée que nous avons voulu inscrire ces deux projets, mais la foire en elle-même garde ses bases.
KA : Ce parcours, ajouté à la foire, est plutôt dense, comment pensez-vous inciter les gens à le suivre ?
JL : Il faut, en effet, compter plusieurs jours pour tout voir. Il faut prendre une journée pour la foire elle-même. Ensuite, il faut savoir que ce type de projet est plutôt pensé pour des nocturnes, par exemple. C’est une étape complémentaire.
KA : Nous remarquons que ce parcours reste limité à un quartier très favorisé et plutôt touristique ? Ne craignez-vous pas de donner raison à ceux qui disent l’art contemporain élitiste ?
JL : Vous avez raison, ces quartiers sont limitrophes du Grand Palais, un secteur parisien privilégié et touristique comme les Champs Elysées, la Concorde, la Madeleine, la rue de Rivoli ou encore Monceau. Mais avec cette concentration spatiale, nous répondons à un besoin purement logistique. Nous avons clairement défini ce périmètre en assumant le fait qu’il s’agissait d’un choix pratique. Il est difficile de proposer aux gens de trop importants déplacements dans tout Paris.
KA : Cette année, vous organisez un dîner pour l’association « Dessine l’Espoir » ? Comment cela s’est-il décidé et de quoi s’agit-il ?
JL : Le dîner que nous organisons pour cette association est caritatif. « Dessine l’Espoir » a pour fonction d’aider des femmes atteinte par le HIV en Afrique en les réinsérant, notamment professionnellement. Ces femmes ont confectionné des objets que l’association met en vente et que nous allons donc montrer et valoriser. Le 29 mars, nous organisons une vente aux enchères en clôture du dîner de Gala afin d’obtenir des bénéfices intégralement reversés à l’association. Elle y trouvera ainsi une aide substantielle, non seulement pour permettre un accès aux soins très coûteux en Afrique, mais aussi pour produire un vrai travail de réinsertion de ces femmes dans leur vie sociale. C’est pour cette raison que leur projet nous semble intéressant. Cette soirée va aussi attirer un autre public complétant le public habituel des salons.
KA : Sur quels critères avez-vous retenu cette association alors qu’il en existe tant ?
JL : L’association a elle-même fait la démarche en nous sollicitant directement et nous avons très vite enchaîné, avec beaucoup de naturel.
KA : Vous venez de nous présenter des événements tout à fait nouveaux dans le cadre d’une foire d’art contemporain, mais malgré cela, avez-vous d’autres évolutions notables à nous signaler ?
JL : Ces programmes organisés en périphérie constituent, de toute évidence, la principale évolution de la foire, mais d’autres points sont à signaler. L’année dernière, Lorenzo Rudolf et moi-même avons apporté un programme. Par exemple, nous avons amené de jeunes galeries du Marais et de Saint-Germain. Nous avons pensé un placement assez arbitraire. Cette année nous allons plutôt dans une certaine continuité. Nous gardons toujours les bases, l’historique en quelque sorte, de la foire Art-Paris que nous consolidons et fédérons, notamment avec des galeries comme Daniel Templon ou encore Daniel Lelong. Et, à cette base, nous avons ajouté des galeries comme Lara Vincy ou Catherine Issert, par exemple. Lara Vincy a marqué l’art contemporain, notamment, avec Ben Vautier ou encore avec la poésie sonore… Ces galeries sont très intéressantes et ont déjà un spectre assez large. Et nous faisons entrer de nouvelles galeries qui apportent un programme plus international et dont certaines sont très jeunes. Par exemple, nous avons fait entrer la galerie Deweer qui apporte des artistes comme Wim Delvoye et des plus jeunes ; ou des marchands comme Enrico Navarra, ou Guy Pieters, des galeries comme Nosbaum & Reding qui ont un programme très pointu ou encore Olivier Robert.
Wim Delvoye, Saraye Bouali, 2009, courtesy Guy Pieters Gallery
KA : Art-Paris fonctionne souvent selon le principe des coproductions de projets ? Pouvez-vous nous expliquer leurs avantages pour le réseau professionnel ainsi que pour les démarches artistiques ?
JL : Par exemple, pour l’événement « Move for Life », nous avons directement produit de nouvelles œuvres, un avantage évident pour les artistes et les galeries qui les représentent. Étant monumentales, ces oeuvres marquent une étape importante pour la carrière des artistes. La coproduction est donc très pertinente sur le plan artistique. Je pense, par ailleurs, que cela enrichit vraiment le contenu de la foire elle-même. D’une manière générale j’aime les projets d’envergure.Par ailleurs, en circulant, les camions vont nous permettre de toucher potentiellement des gens qui ne s’intéresseraient pas spontanément à l’art contemporain. Nous ignorons s’ils viendront pour autant voir la foire au Grand Palais mais notre volonté est bien d’aller vers eux, de leur proposer de l’art contemporain. Quoi qu’il en soit, ces œuvres risquent de ne pas passer inaperçues ! Car compte tenu de la taille des remorques, le mot monumental n’est pas utilisé mal à propos ! Pour « Les Nuits parisiennes », nous avons joué la carte de la transversalité. Certains lieux choisis sont directement apparentés à la mode comme L’Eclaireur ou encore l’Espace culturel Louis Vuitton. S’associer à ces nouveaux lieux permet d’attirer le public de la mode. Nous pouvons ainsi nous offrir une visibilité dans un circuit plus « Life Style » (mode, design, luxe…) au-delà du public habituel et plus restreint de l’art contemporain. Nous revendiquons ainsi un élargissement des publics. C’est pour cette raison que nous commençons à faire entrer quelques galeries de design ou des galeries d’art portant des projets de design sur la foire.
KA : Alors, nous avez joué un petit tour de passe-passe entre l’année dernière et celle-ci. Vous étiez alors directeur adjoint de la foire, ce qui suppose un rôle plutôt administratif. Et aujourd’hui, vous voilà directeur artistique dont la fonction est tout autre, plus curatoriale. Nous connaissons votre passé de commissaire d’exposition et de critique d’art, avez-vous cherché à revendiquer ces premières fonctions ? Pourquoi ce changement ?
JL : En effet, être directeur adjoint induit de travailler le budget et tous les aspects administratifs. Mais mon vrai métier concerne la partie artistique. La direction artistique nécessitait une attention toute particulière. Mon rôle actuel concerne donc plutôt le choix des stands et de leur contenu. Le programme que nous avons conçu Lorenzo Rudolf et moi est un plan sur 4 ans, induisant une progression par étape à respecter précisément. C’est la deuxième année que j’y travaille et la première année uniquement avec la nouvelle équipe. Notre principale idée cette année est de défendre un programme diversifié pour valoriser les idées que les galeries viennent défendre. Le programme des autres foires nous semble un peu trop proche d’une vision peut-être trop prospective, d’où l’importance, à nos yeux, de mener à bien ce travail. C’est pourquoi, nous avons vraiment porté et dirigé les galeries pour qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Cette approche permet de découvrir des artistes intéressants. Les galeries ont sorti leurs plus belles pièces. Nous y avons veillé ! Et vous pourrez vous en rendre compte que ce soit dans la foire elle-même ou dans son catalogue. Je tiens notamment à signaler la présence de nombreux « Solo Shows », par exemple, Olivier Robert fera quelque chose de très spécifique avec Elodie Lesourd. La galerie Analix Forever invite Paul Ardenne comme commissaire d’exposition pour « Réalité Revisitée » afin d’avoir un stand réellement curaté avec un vrai contenu ressemblant à une véritable exposition plus qu’à un stand de foire. Nous vous réservons quelques surprises de taille, disons ouvertement monumentales, je ne vous en dis pas plus…
Propos recueillis par Lorraine Alexandre
Plus d’informations sur le site : http://artparis.fr/2011/fr/