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Lilo Baur met en scène Le Mariage de Gogol au Théâtre du Vieux-Colombier/Comédie-Française – Rencontre

Posté par angelique lagarde le 23 novembre 2010

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Il y a quelque chose de Shakespeare au royaume de Russie

En exclusivité pour Kourandart, le Vieux-Colombier nous a ouvert ses portes pour assister à une répétition du Mariage de Gogol mis en scène par Lilo Baur avec les Comédiens Français. Nous avons rencontré cette femme de talent qui s’est fait un nom comme comédienne et prouve aujourd’hui qu’elle a aussi l’envergure d’un metteur en scène.

Kourandart : Il y a une vraie fascination chez vous pour le théâtre russe, quelle en est l’origine ?

Lilo Baur : Je pense que ce sont les histoires courtes, de Tchekhov, de Gogol… Puis, j’ai aussi lu Lermontov et Pouchkine, mais c’était plus des poèmes, ce n’est pas du tout dans la même veine évidemment, mais en effet, il y a quelque chose qui me fascine. J’ai d’abord connu les nouvelles et quand j’ai lu les pièces, j’ai été un peu étonnée. C’était au moment où l’on travaillait Le Conte d’Hiver de Shakespeare en Angleterre et je cherchais des histoires de bergères parce que je jouait Perdita. Et je trouvais justement que Tchekhov parlait de toutes les classes sociales avec un regard très humain. Ensuite mon amie Hélène Patarot a adapté certains de ces textes pour moi et j’ai pu monter Fish Love, voilà pour Tchekhov. Puis après, chez Gogol, que ce soit dans Le Manteau, Le Nez ou Le Journal d’un Fou, j’ai trouvé un surréalisme, une absurdité…

KA : Dans les nouvelles russes, on trouve un rapport au fantastique qui n’est peut-être pas là dans les pièces… On est dans le même univers qu’un Edgard Allan Poe…

LB : Tout à fait, et je crois que c’est ça qui me fascine. Si on me parle du théâtre russe, la base pour moi, ce sont vraiment les nouvelles. J’ai donné beaucoup de stages en Grèce et en Espagne par exemple, et bien avant de savoir que j’allais monter Le Mariage, j’avais pris Le Journal d’un Fou pour faire travailler les comédiens parce que justement il y a cette folie, avec les chiens qui parlent, la tapisserie qui se réveille… Puis dans certains textes, il y a aussi cette langueur…C’est quelque chose qui me fait rêver ou voyager, il y a une vraie sensation de dédoublement. J’ai aussi travaillé La Rue des Crocodiles de Bruno Schulz avec le Théâtre de Complicité et, j’ai réalisé qu’à l’Est, ils ont vraiment cette écriture qui peut transformer un mur en visage, un plafond en animal…un imaginaire à la fois très développé et très détaillé et je crois que c’est ça que j’adore !

KA : Le théâtre russe n’aurait-il pas plus de correspondances avec le théâtre élisabéthain qu’avec le théâtre français ? On retrouve cet aspect surnaturel qui n’est pas aussi présent dans l’écriture française…

LB : Oui, c’est vrai. Ça me rappelle Tchekhov qui confiait qu’il ne savait plus quoi faire parce qu’il disait avoir écrit une comédie mais que Stanislavski l’avait transformée en drame. Je crois que c’est surtout un humour différent. Personnellement, je ne connais pas l’humour russe, mais l’humour de ses nouvelles me parle. J’ai vécu et travaillé douze ans en Angleterre et au début je ne comprenais pas les Monty Python qui est un exemple type de l’humour anglais et il m’a fallu sept ans pour apprécier et comprendre ce qui plaisait tant !

KA : Il est vrai que c’est un accord parfait entre le cynisme et le burlesque qu’on retrouve en effet dans l’écriture russe. En revanche, ce qui est un peu différent avec Le Mariage, c’est que vous avez décidé de l’envisager comme une véritable comédie…

LB : Oui, quand je l’ai lu, j’ai trouvé justement cette scène que vous venez de voir aujourd’hui (Nous avons assisté à la répétition de la scène où les prétendants viennent se présenter à la jeune fille NDLR), scène qui est le cœur de cette pièce, où ils viennent regarder la « marchandise ». Il y a à ce moment-là, une écoute formidable entre les acteurs qui interprètent la gêne, le malaise entre les personnages qui ne savent pas quoi dire. Ils viennent pour regarder et chacun est là pour une raison différente. J’ai trouvé tellement fort ce moment qui pour moi était comique. Il y a des scènes que l’on pourrait considérer comme tragiques mais les mots choisis les rendent comiques. Il y a constamment des ruptures du rire aux larmes et vice versa.

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Lilo Baur © Kostas Tsirouis

KA : Peut-on résumer l’intrigue en quelques mots ?

LB : Un jeune homme, Kapilotadov (Nâzim Boudjenah), conseiller surnuméraire reçoit depuis trois mois la marieuse qui vient lui présenter des jeunes filles. C’est quelqu’un de très indécis qui aime bien écouter mais pas agir. Lors d’une de ses visites, son ami Plikaplov (Laurent Natrella ) arrive et s’étonne de la présence de la marieuse, n’étant pas au courant. Ce dernier ayant eu une mauvaise expérience lui demande de mettre un terme à ces rendez-vous et lui propose de prendre les choses en main. Il y a donc ce conflit de départ entre une femme et un homme qui veulent s’occuper du mariage. Le jeune homme finit par se laisser persuader par son ami d’aller rencontrer une jeune fille. On découvre ensuite l’univers féminin avec Agafia Agafonovna (Julie Sicard), sa tante et leur domestique. D’une part et d’autre, ce rapport du valet et de son maître est très important. La jeune fille rêve de rencontrer quelqu’un et la marieuse arrive alors, prête à lui présenter six hommes dont Kapilotadov. Chacun d’eux se présente alors dans l’antichambre, pensant alors être seul et réalise qu’il a des « concurrents »…

KA : Ce qu’il faut comprendre c’est qu’à l’époque, les jeunes gens de plus de 27 ans en Russie, hommes et femmes confondus se devaient d’être mariés…

LB : Oui, et justement, tous ces prétendants ont les cheveux gris et ont un peu dépassé l’âge pour être marié. C’est un peu leur dernière chance. Agafia est de surcroît un beau parti, elle a une maison sur deux étages, une maison en bois, une maison en pierre et une dot intéressante. Elle est décrite avec une pelisse en renard, arrivant sur un traîneau à deux places. L’un des prétendants est huissier et l’on voit bien qu’il vient vérifier tout ce qu’elle a.

KA : Nous avons justement eu la chance de voir les comédiens répéter cette scène et nous avons trouvé tout à fait intéressant l’usage d’un banc minuscule qui met en valeur l’oppression que ressent la jeune fille et accentue l’effet comique…

LB : Oui, c’est venu au cours des répétitions car nous nous sommes retrouvés un jour avec une toute petite place pour poser les décors et c’est là où nous avons pensé que cette idée d’un tout petit banc serait parfaite. Pour moi, ils sont un peu aussi comme des enfants de chœur qui doivent être silencieux, peuvent regarder, mais n’ont pas le droit de toucher… Ils viennent vraiment admirer la marchandise.

KA : Hormis ce banc, évoquons ce très beau décor modulable en trois lieux et les costumes que vous avez choisi…

LB : Oui c’est un décor que les comédiens peuvent manipuler pour signifier les changements de scènes avec trois espaces principaux et la petite antichambre. Et ce que j’ai voulu recréer, ce ne sont pas typiquement des costumes d’époque, mais des silhouettes. C’est aussi quelque part un peu atemporel.

KA : Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec les acteurs de la Comédie-Française ?

LB : Pour moi, c’était un bonheur absolu. Je ne connaissais pas du tout leur façon de travailler. Ils ont à la fois une maîtrise et un savoir incroyable puisqu’ils connaissent un nombre démentiel de pièces. J’en suis étonnée et fascinée. Ce que j’ai souhaité faire, c’était créer un « ensemble » pendant notre temps de travail et de trouver un langage commun. Je leur ai montré de vieux courts métrages russes que j’avais trouvés et je leur ai lu une nouvelle de Gogol pour leur exprimer sur quel ton j’avais envie de travailler. Je voulais qu’on puisse recréer cet univers du burlesque et de la folie. Je suis très impressionnée par Buster Keaton qui par exemple exprime énormément de choses de manière physique, puisque, bien entendu, il ne parle pas. Les dix premiers jours, nous avons beaucoup travaillé en improvisation et c’était formidable. On a notamment invité un ami qui travaille avec la méthode de rééducation Feldenkrais qui permet d’aborder en douceur le travail du corps pour les comédiens. J’avais envie entre autres qu’on travaille sur un ralenti à un moment donné et cette méthode nous a beaucoup aidé.

KA : Lilo Baur, vous êtes une véritable polyglotte ?

LB : Oui, suisse allemande, mais mes parents nous ont beaucoup parlé français. Ensuite, à l’école, nous avions le choix entre l’anglais et l’italien et j’ai pris les deux ! J’ai fait mes études à Paris pour les poursuivre aux Etats-Unis et j’ai ensuite passé douze ans en Angleterre.

KA : Quand le théâtre est-il apparu dans votre vie ?

LB : Quand j’étais à l’Université, mais au départ, mes parents s’y sont opposé, ils voulaient d’abord que j’obtienne un diplôme plus « sérieux »… le fameux « Passe ton BAC d’abord ». C’est apparu plus tôt que je n’ai pu m’y lancer. Nous avons néanmoins une fibre artistique dans la famille, nous avons grandi dans la musique et mon frère est devenu pianiste professionnel.

KA : Vous avez un beau parcours de comédienne, vous avez notamment travaillé avec Peter Brook… Aujourd’hui, vous êtes à la mise en scène, qu’est-ce qui a provoqué ce déclic, cette envie de passer de l’autre côté ?

LB : Je crois que c’est un peu la vie qui a fait ça. J’ai travaillé pendant douze ans en Angleterre et ici en France avec Peter Brook et de temps en temps je donnais des stages. J’ai fait ça par exemple à Barcelone dans une école où ils m’ont demandé de mettre en scène un Feydeau, La Puce à l’Oreille. Et peut-être parce que je me sentais très protégée en étant dans une école, j’avais envie de le faire et de me lancer dans le comique parce qu’à l’époque, je jouais beaucoup de tragédies. J’ai ensuite travaillé en Grèce pour donner un autre stage de théâtre et c’est là où un metteur en scène m’avait vu jouer avec le Théâtre de Complicité, m’a reconnue et m’a proposé qu’on travaille ensemble. La première grande mise en scène en Grèce, on l’a donc faite à deux, chacun a amené son savoir et son expérience. Puis, j’ai dû aussi apprendre le grec (rires). Suite à cela, j’ai fait plusieurs mises en scène en Grèce.

KA : Et c’est par la grande porte que vous arrivez en France aujourd’hui, au Théâtre de la Ville puis ici au Vieux-Colombier/Comédie-Française…

LB : Justement c’est René Gonzalez, le directeur du théâtre de Vidy Lausanne qui m’a donné l’opportunité de créer Fish Love. J’avoue que je n’étais pas en France donc je ne connaissais pas les acteurs de la Comédie-Française. J’ai choisi de les aborder sans a priori et j’ai découvert des comédiens fantastiques avec beaucoup d’humour ! Ils ont accepté l’improvisation et nous sommes parvenus à créer notre langage commun. Ce sont des travailleurs acharnés et ils ont aussi beaucoup de poésie, cela ajoute le petit plus nécessaire à cette comédie qu’est Le Mariage.

Propos recueillis par Marie-laure Atinault et Angélique Lagarde

Théâtre du Vieux-Colombier/Comédie-Française
21, rue du Vieux Colombier
75006 Paris
Réservations : 01 44 39 87 00 / 01
Site : www.comedie-francaise.fr

 

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