Hommage à Laurent Terzieff par Marie-Laure Atinault
Posté par angelique lagarde le 4 juillet 2010
La flamme du loup et la sagesse du maître
Laurent Terzieff s’est éteint vendredi soir. Le Théâtre Français est en deuil avec la mort de ce géant au cœur trop tendre. Dans sa carrière, on pourra remarquer trois époques, ou trois âges collant à son physique atypique. Pour les moins de trente ans, il est ce grand vieillard hiératique aux yeux immenses qui mangent un visage émacié, difficile pour eux d’imaginer qu’il fut la coqueluche de leurs grand-mères.
Lors de la cérémonie des Molières du 25 Avril 2010, il avait déjà fait l’événement avant même l’ouverture des enveloppes, puisqu’il était nommé deux fois dans la catégorie du meilleur comédien aussi bien dans le Théâtre Privé avec L’Habilleur que dans le Théâtre Public avec Philoctète. Comme toujours son intervention fut brillante, intelligente, donnant une belle réflexion aux partisans des chapelles théâtrales.
En 1958, le grand public découvre au cinéma dans le film de Marcel Carné, Les Tricheurs, un jeune premier aux yeux de braises, il a 23 ans. Ce fils d’un père sculpteur et d’une mère peintre est un fou de poésie. Il monte sur les planches dans la mise en scène de Jean-Marie Serreau en 1953 dans Tous contre tous d’Arthur Adamov, suivent Michel Vitold en 1954 puis Roger Blin, une filiation théâtrale qui marquera sa vie et sa carrière. Le cinéma s’empare de ce jeune garçon d’une beauté insolente, il y a désormais Delon et Terzieff. On pense notamment à Vanina Vanini de Rossellini, La Prisonnière de Clouzot, La voie lactée de Luis Buñuel, sans oublier Les culottes rouges de Joffé avec Bourvil où la gentillesse du grand comique est battue en brèche par ce jeune loup.
Parallèlement au cinéma, il continue ses aventures théâtrales qui sont le ciment de sa vie. Jean-Louis Barrault lui confie le rôle de Tête d’or de Claudel en 1959. Il fait découvrir aux spectateurs français Murray Schisgal, un jeune auteur américain (Les dactylos) et de même il fera également découvrir Sławomir Mrozek et James Saunders. Avec sa compagnie, il monte ses auteurs de prédilection. Au Théâtre du Lucernaire, il fera beaucoup pour les jeunes auteurs et pour la poésie. Sans lui, le poète Milosz n’aurait pas la notoriété qu’il a aujourd’hui. Il aimait ce rôle de diseur, de passeur de mots. Il comparait le travail de l’acteur et du verbe à celui de défricheur. Récemment, il avait triomphé au Lucernaire en compagnie de son ami et complice Claude Aufaure dans Hughie de Eugene O’Neill où il semblait venir tout droit de ces romans noirs qui suintent la chaleur et le désespoir. Le Lucernaire est marqué également par la comédienne Christine de Boysson, dont la mort précipita Laurent Terzieff dans sa troisième époque. Opéré du cœur vers la cinquantaine, ce grand malade qui ne s’écoutait pas ne pourra jamais se résoudre à la tempérance littéraire.
Sans arrêt, il explore les textes venus d’ailleurs. Dans Le Philanthrope de Christopher Hampton, il est d’une drôlerie acerbe, puis dans Le béret du fou de Pirandello, il pousse très haut son art de comédien, l’une de ses plus belles et fortes compositions, changeant sa démarche et sa voix. Au Théâtre Rive Gauche, il crée Le Regard de Murray Schisgal, pièce bouleversante sur la création, dans ce même théâtre L’Habilleur de Ronald Harwood est un nouveau triomphe. Il signe la mise en scène et joue un monstre de théâtre aux côtés, entre autres de ses amis et partenaires, Claude Aufaure et Philippe Laudenbach. Christian Schiaretti le met en scène dans un Philoctète qui restera l’un des plus beaux moments de théâtre de ces dernières années. Cette voix à nulle autre pareille résonnera encore longtemps dans les cintres du Théâtre de l’Odéon. Ce que voit Fox, Temps contre Temps, ces deux spectacles nous ont tellement marqués, tellement enrichis ; le second avec notamment l’extraordinaire Michel Etcheverry qui doit attendre son ami là-haut au paradis des comédiens.
Du jeune loup aux yeux bleus à l’homme à la maigreur impressionnante et au sourire empreint d’une infinie bonté, sa voix sera la même, une diction qui donne ses lettres de créances à tous les accords. Parfois il nous faisait peur, tous les vêtements semblaient trop grands pour lui, à chaque instant on croyait qu’il allait s’écrouler, et puis il parlait et les mots comme des béquilles célestes le faisaient se redresser. Il était un maître, un exemple, il savait écouter et vous regarder dans les yeux. Dans les siens, on y voyait une vraie modestie et une flamme, celle de la passion. Laurent Terzieff, vous nous manquez déjà !
Marie-Laure Atinault
En hommage à Laurent Terzieff L’Habilleur de Ronald Harwood sera diffusé sur France 2 mercredi 7 juillet à 22h10.