2′ 24″ de Pascual Carbonell et Jeronimo Cornelles en tournée en Espagne par Irène Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 7 mars 2010
2′ 24″ Mise en scène à Valencia © Sergio Vega
2′ 24″
Texte de Pascual Carbonell et Jeronimo Cornelles
Mise en scène de Jeronimo Cornelles
Création de la compagnie Bramant Teatre de Valence – Espagne
Avec Victoria Salvador et Juan Mandli
En tournée en Espagne
Le temps d’une correspondance
Pascual Carbonel est fondateur et animateur de la compagnie alicantine Atiza !!! Teatro. Jeronimo Cornelles dirige la compagnie Bramant Teatre avec laquelle il a créé 2′ 24″. La pièce qui s’écrivait au fur et à mesure des lettres échangées par les deux auteurs est conçue sur la forme épistolaire et ponctuée par de brefs commentaires et dialogues entre les deux protagonistes.
Pascual Carbonel (né à Alicante) et Jeronimo Cornelles (né à Miramar en Argentine) ont chacun trente-quatre ans et déjà des parcours d’auteurs, d’acteurs et de metteurs en scène notables et remarqués. Les deux auteurs réussissent remarquablement ici un thriller psychologique, à la frontière du réel, du fantasme et du délire.
Un homme et une femme étrangers l’un à l’autre partagent quasi quotidiennement, dans un wagon de métro, un trajet de 2 minutes et 24 secondes entre deux stations. Un jour, l’homme laisse tomber par terre un bout de papier, une lettre adressée à la femme qui y répond le lendemain par le même procédé. Ainsi, par ces missives interposées, une relation s’établit entre l’homme, Marcos, et la femme anonyme. En laissant peu à peu transparaître leurs obsessions et leurs désirs, ces deux êtres frustrés et solitaires font d’une relation à priori innocente, un jeu de séduction, puis de domination, pervers et destructeur.
Lui, Marcos, embourbé dans une existence médiocre, s’engouffre dans une passion amoureuse pour une femme inconnue dont il ne connaîtra jamais le nom et pour laquelle il accepte de tuer son épouse et sa fille. Elle, froide et manipulatrice, déploie tout un registre de tentation, de séduction, de sensualité, de provocation sexuelle, voire de domination, transformant Marcos en son objet de désir. Pour la conquérir, la posséder, atteindre « la tour enchantée », dans une sorte de parcours initiatique, il doit faire preuve d’une absolue soumission, d’obéissance et de sacrifice. L’inconnue lui fournira trois balles dont deux serviront à tuer sa femme et sa fille…Son réveil est brutal. La femme inconnue affirme qu’elle ne lui a jamais écrit aucune lettre.
Poursuite d’un rêve, du désir qui s’incarne dans un fantasme, fiction substituée au réel, la pièce ouvre sur une pluralité de lectures. Maniant avec finesse la métaphore, l’ellipse, l’incertitude, le suspense tenu jusqu’au bout, les deux auteurs font preuve d’une absolue maîtrise de la construction dramatique.
La mise en scène a toutefois du mal à créer cette zone à la frontière du réel, inquiétante, d’un vécu fantasmé, pourtant l’idée du décor est excellente. Sur toute la longueur d’une partie surélevée du plateau, un simple élément en tube évoque un banc de métro et au fond sur un grand écran sont projetées des images du métro dans un tunnel, de l’homme (jamais de la femme), du passage du temps, 2′ 24″ qui s’affiche. L’intégration du langage audiovisuel est parfaite : les images, les effets sonores, se fondent dans la dramaturgie et dans le jeu scénique. Enfin, notons un beau travail d’éclairages et un rythme parfaitement tenu.
La seule réserve concernerait le jeu des acteurs, deux personnalités affirmées et très populaires de la scène valencienne. Ni Juan Madli, ni Victoria Salvador n’arrivent à se débarrasser d’un certain réalisme pesant, parfois démonstratif. Victoria Salvador joue à fond les clichés de la domination, de la provocation, de la sensualité débridée, parfois presque dans la caricature. Trop présente, elle enlève le mystère, la substance chimérique, à son personnage, de sorte qu’on a du mal à croire qu’elle puisse être une création du désir, de l’imaginaire de Marcos.
La pièce nécessiterait sans doute une interprétation plus fine, plus troublante, plus dans le clair-obscur, laissant aux personnages leur part d’énigme.
Irène Sadowska Guillon
Site de la compagnie : www.bramanteatre.com