Rapport sur le Prix Europe pour le Théâtre – 13ème édition – du 31 mars au 5 avril 2009 à Worclaw (Pologne) par notre envoyée spéciale Marie- Laure Atinault
Posté par angelique lagarde le 6 mai 2009
Un prix très européen entre Pologne, Italie, Espagne, France et Belgique pour un palmarès très… consensuel.
Le Prix Europe pour le théâtre est né en 1986-87. Son but est de promouvoir la connaissance et la diffusion de l’art théâtral en Europe, en contribuant ainsi au développement des rapports culturels et au renforcement de la conscience européenne. Le prix est décerné aux personnalités ou aux institutions théâtrales qui ont contribué à la réalisation d’événements culturels déterminants pour la compréhension et la connaissance des peuples. Les lauréats sont des artistes au talent reconnu tandis que le prix des nouvelles réalités donne un coup de pouce à de plus jeunes compagnies dont le travail, déjà remarqué, est ainsi favorisé.
Factory 2 © Karol Liver
Le Prix Europe pour le Théâtre se situa pour la première fois hors du bassin méditerranéen. La Pologne fut à l’honneur avec Krystian Lupa qui reçoit le grand prix pour l’ensemble de sa carrière. Il est bien connu du public français. Son univers est marqué par une culture ancrée dans la tradition mais qui a largué les amarres pour se frayer sa propre route. Les festivaliers ont ainsi pu voir trois de ses mises en scène :
- Factory 2 une œuvre collective inspirée par Andy Warhol.
- Les présidentes de Werner Schwab pour lequel les trois comédiennes ont l’adhésion de tous.
- Persona dont la longueur du spectacle et le travail inabouti ont mis à l’épreuve certains spectateurs qui ont préféré une retraite bien compréhensible !
Krystian Lupa a été parfaitement disponible pour les questions et les rencontres, mais le symposium organisé fut une réussite des plus mitigées puisque les intervenants ayant soigneusement préparé leur discours à la gloire de Lupa ont lassé un public, pourtant de professionnel par des lectures aussi interminables que laborieuses. Les trois spectacles présentés ne sont pas représentatifs de l’œuvre de ce grand metteur en scène, qui est la pierre angulaire du théâtre polonais.
Prix Europe Nouvelles Réalités Théâtrales – 11ème édition
Le jury n’a pu ou n’a pas voulu départager les cinq premiers noms des metteurs en scène les plus souvent citer. Et pourquoi pas les dix ou les cinquante premiers ?
Sunken Red © Karol Liver
Guy Cassiers s’est imposé très rapidement comme l’un des créateurs les plus novateurs, les plus raffinés du moment. Cet artiste Flamand sait mieux que personne habiter l’espace scénique par des images fortes jouant avec la technologie qui, chez lui n’est pas un gadget mais un surligneur de sens et de sensation. Ses spectacles présentés au festival d’Avignon sont pris d’assaut par un public convertit au « Cassierisme ». Le spectacle présenté à Wroclaw n’était pas représentatif de son œuvre en devenir, et l’on a remarqué un certain scepticisme chez ceux qui n’ont vu que Sunken Red , un texte dense et difficile. Le symposium organisé autour de son œuvre était passionnant, mais quel dommage que l’omniprésent George Banu ne donna pas la parole au public.
Pippo Delbono © Karol Liver
Pippo Delbono fut à l’applaudimètre la véritable star de Wroclaw.
Provocateur, génie généreux, Pippo Delbono est un habitué des scènes françaises. Les rencontres organisées avec lui et une partie de sa troupe firent salle comble et ont déclanché un véritable enthousiasme. Disponible et affable, supportant avec philosophie certain raseur, il a su donner des réponses claires y compris à ses détracteurs. On peut très bien ne pas être un inconditionnel du créateur de Il silencio et être sensible au charme inhérent de ce grand bonhomme. Il nous a offert Le temps des assassins, son duo tragi-comique avec Pepe Robiedo créé en 1976 et qui a fait depuis le tour de la planète, puis Questo buoi feroce, fresque digne d’un Fellini mais sans les clowns. Une époque où le mal du siècle est le sida génère des spectacles à la fois baroque et profondément bouleversant. Le public aime ou déteste, le moins que l’on puisse dire est que Pippo Delbono n’inspire jamais la tiédeur !
Arrojad mis cenizas sobre Mickey © Karol Liver
Rodrigo Garcia a-t-il fait le tour de lui-même ? Celui dont on a tant aimé certains textes, dont l’insolence et la violence, (qu’il combat ?) avaient chaviré le public du festival d’Avignon. Le pourfendeur de la société de consommation a présenté trois spectacles.
Il a mis en scène des comédiens polonais dans El perro un texte assez indigent sur les relations entre les hommes et les chiens. Une grosse production avec sac de croquettes éventrés, dont l’emballage servira à faire des masques !
Dans Arrojad mis cenizas sobre Mickey on a trouvé des tranches de pain de mie, du miel, de la boue, des cheveux de femme et de pauvres petites bêtes que l’on a fait mine de noyer. Stupide, bête à pleurer. On fut blasé de voir les corps nus des comédiens badigeonné de miel ou de boue, d’une scène de sexe aussi inutile que pitoyable qui ne choque personne. En revanche, on fut révolté par une scène qui renvoie à l’histoire peu glorieuse des hommes enfin victorieux qui se venge sur des femmes en les rasant. Une jeune femme est payée tous les soirs pour être mal rasée devant un public dégouté pour ceux qui comprennent tout ce que cela véhicule de violence et de bassesse.
Une certaine naïveté est ensuite apparue chez Garcia dans Accidens (matar para comer) ( Accident tuer pour manger) qui aurait soudainement découvert que derrière un steak il y avait un bœuf ! Les spectateurs entraient dans une salle presque obscure où le comédien fétiche de Rodrigo Garcia, Juan Lorente fumait un gros cigare. Il considérait l’assistance avec un regard haineux. Au bout d’un très long moment, il se levait prend un homard et le pendait à des fils muni d’un micro pour entendre les palpitations du crustacé. Scène longue, obscène et inutile. Un spectateur courageux s’est levé, tranquillement il a dépendu le homard et l’a remis dans l’eau. Déchainement de Rodrigo Garcia, qui est descendu de la régie et a réagit très violemment, estimant que le sauveur n’avait pas le droit d’interrompre la représentation. Le spectateur fut éjecté manu militari. Les autres sont restés au supplice du homard. Lorente lui coupa les antennes avec des ciseaux, ce qui correspondrait à se faire arracher un oeil, sympathique non ? Muni d’un grand couteau, il dépeça vivant le homard et le fit (mal) cuire. Garcia nous a confié « je ne vois pas ce qui vous choque. Des milliers de homards sont cuisinés comme ça dans les restaurants ! » .Que l’on ne se trompe pas de combat, il n’y a aucune sensiblerie excessive mais on ne comprend pas où il veut en venir. Que veut-il prouver, que l’on tue pour manger, que l’homme est une bête pour l’homme ? Rodrigo Garcia est un provocateur qui ne supporte aucune provocation, il ne répond pas aux questions embarrassantes, élude par une pirouette les questions de fond car il est intelligent. Il ressemble à un sale gosse qui vous dira naïvement que sa grenouille est devenue sourde et ne saute plus depuis qu’il lui a arraché toutes les pattes.
Arpad Schilling a étudié le théâtre à l’académie de Budapest. Ses mises en scène sont visibles dans toute l’Europe et le Théâtre de Bobigny reçoit régulièrement ses créations. Il fut particulièrement discret lors de ce prix.
François Tanguy du Théâtre du Radeau offre depuis plus de vingt ans des spectacles qui ne ressemblent à rien d’autres. Une énergie, une esthétique propre à leur démarche artistique. Foisonnement, images chocs, François Tanguy le Théâtre du Radeau donnent à voir des spectacles atypiques. Ricercar a converti un public polonais séduit par une dramaturgie des plus originales.
Le bilan de ce XIII Prix sera, quant à nous mitigé, une organisation polonaise parfaitement aléatoire, à moins que ce soit une forme d’humour de faire partir des navettes à la mauvaise heure ou de perdre le public ! Aucun lieu de rencontre et d’échange. Quel dommage que les rencontres avec les artistes polonais ne furent que le fruit du hasard. En revanche, l’engouement du public polonais a dépassé les prévisions, obligeant à doubler certaines représentations. Espérons que le prochain prix saura tirer les leçons de cette édition.
Marie- Laure Atinault